Les coursiers de Deliveroo veulent leur part du gâteau

L' "ubérisation" du travail permet à certains de cumuler les petits jobs pour arrondir les fins de mois ou satisfaire un besoin de liberté. © Mélanie Wenger/Isopix

Forts d’une victoire en justice décrochée fin octobre par deux chauffeurs Uber au Royaume-Uni, des coursiers londoniens de la plateforme de livraison de repas à vélo Deliveroo vont réclamer lundi davantage de droits devant des juges britanniques.

La requête, portée par le Syndicat des travailleurs indépendants de Grande-Bretagne (IWGB), a été déposée au nom d’un groupe de livreurs de Camden, quartier du nord de la capitale britannique. Mais la décision pourrait faire jurisprudence pour les coursiers du reste de la ville.

Deliveroo, qui rémunère ses “bikers” londoniens à l’heure ou à la tâche – comme à Camden -, considère ces derniers comme des auto-entrepreneurs, leur refusant le droit à un salaire minimum ou à des congés payés.

Mais en portant l’affaire devant le Central Arbitration Committee de Londres, une instance de régulation rattachée au gouvernement britannique, le syndicat IWGB espère obtenir un accord collectif pour les coursiers de Deliveroo, au nombre de 8.000 au Royaume-Uni.

“Cela sera la première convention collective de la +gig economy+”, l'”économie des petits boulots” ou “économie à la demande”, a affirmé à l’AFP Jason Moyer-Lee, le secrétaire général du syndicat.

“A travers l’action d’aujourd’hui, le IWGB s’attaque une nouvelle fois aux cas d’exploitation propres à cette économie (…). Les travailleurs veulent des droits fondamentaux”, indique-t-il dans un communiqué publié lundi.

Pour Deliveroo, cependant, le syndicat ne représente pas la “très grande majorité” de ses coursiers.

“Deliveroo est fier de pouvoir offrir du travail flexible et bien payé, qui permet aux livreurs de composer avec leurs autres obligations”, affirme la start-up fondée à Londres en 2013, qui s’est étendue depuis à 68 villes à travers l’Europe, l’Asie, l’Australie et le Moyen-Orient.

Le précédent Uber

Le modèle est simple: la plateforme noue des partenariats avec des restaurants indépendants ou des chaînes de restauration dépourvus de service de livraison, et facture au client 2,5 livres (3 euros) par course, en prenant une commission auprès du restaurant.

Et cela marche. Deliveroo a bouclé en août une levée de fonds de 275 millions de dollars (260 millions d’euros), valorisant le groupe à plus d’un milliard de dollars, afin de doper son développement à l’international.

Fin octobre, la justice britannique a donné raison à deux chauffeurs de véhicules de la plateforme américaine qui l’accusaient de ne pas respecter le droit du travail. Les juges ont estimé que les chauffeurs avaient droit à un salaire minimum et à des congés payés, mais Uber a fait appel de la décision.

Certains livreurs sont amers…

L’heure du déjeuner vient de sonner à Camden, quartier grouillant du nord de Londres. Billy Shannon, coursier à vélo, s’apprête à accélérer la cadence pour livrer au plus vite leurs repas aux ventres creux. Vêtu de collants noirs pour faire barrière au froid automnal, le jeune homme de 18 ans, sac isotherme carré sur le dos, enfourche son vélo de course à peine une commande reçue. Contrairement à d’autres livreurs, lui est payé à la tâche, et non à l’heure.

“Hier, en six heures, je n’ai fait que six livraisons. J’ai gagné 3,75 livres (4,40 euros) de l’heure seulement”, explique Billy à l’AFP.

Une rémunération bien en deçà du salaire horaire minimum en vigueur au Royaume-Uni pour les 18-20 ans, fixé à 5,55 livres (6,50 euros), qui a poussé Billy à se joindre à une action collective en justice contre la plateforme de livraison de repas Deliveroo, basée à Londres.

“Nous voulons être reconnus comme des salariés à part entière, avoir droit à un revenu minimum, à des congés payés et à une protection sociale”, détaille le jeune homme au visage poupin au coeur de Camden, un des quartiers les plus vivants de Londres, connu pour son marché où s’agglutinent des touristes du monde entier.

Dans la capitale britannique, la plupart des coursiers à vélo Deliveroo, l’un des leaders du secteur, sont payés 7 livres (8,20 euros) de l’heure, auxquelles s’ajoute une prime d’une livre pour chaque course effectuée.

Mais à Camden, le salaire des coursiers est régi par un nouveau système qui prévoit une rémunération de 3,75 livres par livraison, sans part fixe.

‘Je me sens exploité’

“Je ne gagne de l’argent que quand je livre. Pour Deliveroo, patienter sous la pluie, ou attendre une commande les yeux rivés sur mon appli, ce n’est pas du travail”, peste Billy dans sa veste grise et turquoise, les couleurs de la start-up londonienne.

Les jours précédents n’ont pas été bons mais là, les affaires reprennent, sous un ciel menaçant et au milieu des bourrasques de vent. A peine connecté à l’application de livraison, Billy reçoit sa première commande. Puis une deuxième. De quoi lui assurer 7,50 livres en l’espace d’une heure.

Cycliste amateur, Billy s’est lancé dans l’activité de coursier l’été dernier, après la fin du lycée. Ses écouteurs dans les oreilles pour suivre les indications du GPS, il est venu s’ajouter à l’armée de livreurs à vélo qui fusent dans les rues de Londres.

Deliveroo ne les reconnaît pas comme des salariés, mais comme des auto-entrepreneurs, leur refusant le droit à un salaire minimum ou à des congés payés.

Lundi, Billy et d’autres coursiers de Camden plaideront leur cause devant un tribunal de Londres. Si les juges tranchent en leur faveur, Deliveroo devra requalifier leurs contrats de travail.

“Je me sens exploité. Pour faire le maximum d’argent, tous les coûts sont à ma charge ou à celle du restaurant. Deliveroo ne prend aucun risque”, fulmine Billy. “Ils sont là, assis dans leur bureaux, à faire des millions et des millions… pendant que, moi, je me bats à chaque course pour gagner le salaire minimum”.

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