Le trublion du Web s’assagit

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Après avoir attiré le gratin du CAC 40 dans son capital, Jean-Baptiste Descroix-Vernier, fondateur de Rentabiliweb, aussi controversé que talentueux adopte peu à peu les codes de ses actionnaires. Mais ce mystique assure en même temps ne pas vouloir se “laisser bouffer par le système”.

Après avoir attiré le gratin du CAC 40 dans son capital, cet entrepreneur aussi controversé que talentueux adopte peu à peu les codes de ses actionnaires. Mais ce mystique assure en même temps ne pas vouloir se “laisser bouffer par le système”.

Il a choisi la brasserie Le Coq, place du Trocadéro. Ambiance lounge, décor soigné et relooké par les frères Costes qui colle bien avec son nouveau style. Veste, pantalon et pull-over noirs, fines nattes sagement tressées sur le crâne, Jean-Baptiste Descroix-Vernier vient d’enchaîner une série de road shows dans les salons feutrés de la finance européenne pour présenter aux investisseurs Rentabiliweb, sa société spécialisée dans la monétisation de l’audience sur Internet. Il se serait bien passé de cet exercice imposé. Mais il s’est fait violence, il a préparé ses slides et affiné avec ses conseillers en communication les messages à faire passer aux investisseurs. Sans emphase.

Mais qu’est donc devenu l’entrepreneur anticonformiste apparu pour la première fois devant les analystes financiers en dreadlocks, kilt et bottes cloutées ? C’était en 2006, à l’occasion de l’introduction en Bourse de Rentabiliweb. Médusés, les milieux d’affaires découvraient alors un entrepreneur atypique au style néogothique reclus au milieu de ses chats et d’icônes religieuses sur une péniche amarrée à Amsterdam.

A 39 ans, celui que l’on appelle en interne “JBDV” n’a plus le choix. Après avoir conviéà son capital le gratin du capitalisme français – Bernard Arnault, le patron de LVMH, Stéphane Courbit, l’ex-enfant de la télé, et depuis peu François-Henri Pinault (PPR) et Pierre Bergé -, il doit attirer des investisseurs institutionnels. Rentabiliweb est passé du statut de small cap à celui de blue chip. Et si la société veut poursuivre sa croissance, elle doit ouvrir son capital à de grands fonds anglo-saxons que trop d’excentricité pourrait effrayer. Un Arnault, un Pinault, un Bergé, sont habitués aux frasques de leurs créateurs et de leurs desi-gners. Pas un fonds de pension à qui des millions d’Américains confient leurs retraites.

Le patron de Rentabiliweb est donc prié de s’institutionnaliser fissa. Sa holding, initialement nommée Golden Glaouis (“couilles en or”), a été sagement rebaptisée Saint-Georges Finance. Il en convient d’ailleurs : “On n’est plus une start-up. Je ne peux plus donner l’image d’un patron trop atypique, qui pourrait faire peur. C’est juste du bon sens.”

Il a “réconcilié” Pinault et Arnault
L’affaire Mailorama, du nom de cette filiale de Rentabiliweb qui voulait organiser, fin 2009, un lâcher de billets de banque à Paris, est aussi passée par là. L’opération, trop médiatique, a finalement été annulée par crainte de débordements, provoquant un début d’émeute dans le quartier de l’Ecole militaire. Vitrines brisées, magasins vandalisés, une voiture renversée : le coup de pub a tourné au fiasco. Mailorama est assignée en justice par Brice Hortefeux, le ministre de l’Intérieur. Pour la première fois, l’image iconique de Jean-Baptiste Descroix-Vernier est entachée. Surtout que, à peine l’affaire enterrée, un article du Canardenchaînédétaille dans le menu le contenu des sites pour adultes contrôlés par Rentabiliweb, notamment EuroLive, une sorte de peep show en ligne accessible via une webcam. Sous la pression de ses actionnaires, les sites les plus hard avaient été revendus au printemps 2008. Trop tard, le mal est fait. Lui qui a passé ces deux dernières années à parfaire son image, suivant les conseils avisés d’Anne Méaux, la grande papesse de la communication des patrons du CAC 40, “le voilà dépeint en monstre cupide, en pornocrate, quand ce n’est pas en exploiteur de la misère sociale”, s’est offusqué son ami Bernard-Henri Lévy.

Mais qu’a-t-il de si exceptionnel pour qu’un BHL se presse ainsi de lui apporter son soutien ? Pour que les frères ennemis du capitalisme hexagonal, François-Henri Pinault et Bernard Arnault, acceptent de déposer les armes et d’investir côte à côte dans une société pesant tout juste 65 millions d’euros de chiffre d’affaires ? Jean-Baptiste Descroix-Vernier n’est pourtant pas des leurs. Entre une mère institutrice et un père apiculteur, il a gran-di avec comme ligne d’horizon les barres de HLM de Vénissieux, près de Lyon. Cela ne l’empêche pas de faire de brillantes études au lycée catholique Don-Bosco, où les pères salésiens lui offriront la scolarité. Diplômé de droit des affaires, il embrasse à 23 ans la profession d’avocat. Pas par conviction : “Je venais d’un milieu où, pour réussir, il fallait être médecin ou avocat”, dit-il avec un haussement d’épaules. Il en garde un souvenir “mitigé”. Me Gérard Chanut, l’un de ses anciens associés, se souvient d’un confrère “rongé par l’envie de déborder le rôle de conseil, lui préférant celui d’entrepreneur”. Selon un autre avocat lyonnais, “il se préoccupait plus d’affaires que de justice. Le souci de gagner de l’argent l’emportait souvent sur l’art du métier”. Est-il allé trop loin ? A-t-il mélangé les genres ? Une chose est sûre : le barreau de Lyon n’était pas mécontent de voir ce trublion quitter brutalement la profession, en 1999. “Il n’était pas fait pour ça”, tranche son ami lyonnais Thierry Ehrmann, fondateur d’Artprice, qui l’a rencontré alors qu’il venait de prêter serment.

Gentiment dérangé, mais redoutablement efficace
Tout le monde en convient, JBDV a l’âme d’un entrepreneur. Gentiment dérangé, mais redoutablement efficace. “Un individu atypique, attachant et horripilant, mais talentueux”, dit un actionnaire. La société qu’il crée alors que la bulle Internet vient d’éclater devient rapidement une des start-up les plus en vue. Aidé de son armée de développeurs informatiques basés en Russie, qu’il surnomme ses ninjas, le fondateur de Rentabiliweb aurait-il inventé la nouvelle killer application du Web ? Le nouveau Google ? Le futur Twitter ? Même pas. Son métier, c’est le micropaiement et la monétisation de l’audience par la publicité, le marketing direct, les sites de rencontres et de charme, le téléchargement de jeux. Pas de quoi affoler le Nasdaq. Seulement, voilà, l’entreprise est rentable. Très rentable, même. Agrégés autour d’une plateforme technologique, les métiers de Rentabiliweb sont une véritable cash machine(lire notre encadré”Les secrets de Rentabiliweb, la bien nommée”). Sur Internet, par les temps qui courent, c’est rare, d’autant que la société n’a pas de dettes. C’est ça que flairent les grands investisseurs. Ils sont fascinés par ce patron qui maîtrise la technologie informatique et anticipe les nouvelles tendances du Net. Ils sont là pour apprendre. Qu’importe si une bonne partie du cash généré par Rentabiliweb provient de sites pour adultes. Dans un milieu où les entrepreneurs sont prêts à diluer leur participation à la première occasion pour lever un paquet d’argent – et le brûler aussitôt -, Jean-Baptiste Descroix-Vernier contrôle toujours 50,6 % de son capital.

Anne Méaux l’a prévenu : sa priorité doit être de “rapidement staffer l’entreprise pour qu’un nouvel incident de type Mailorama ne se reproduise pas”. Rentabiliweb s’est cons-truite autour de jeunes issus du Web underground dont la moyenne d’âge ne dépasse pas 26 ans, à l’image de Stéphane Boukris, le jeune patron de Mailorama par qui le scandale est arrivé. Ou de Matthieu Loudes, dénichéà 17 ans sur Internet comme développeur en 1999 et qui chapeaute toute l’équipe technique. S’il y a une chose à laquelle il ne touchera pas, c’est la façon dont il gère Rentabiliweb, à distance, connecté avec ses ninjas par Internet, qu’ils soient basés à Paris, à Lyon, à Bucarest ou à Novossibirsk, en Sibérie. “Ce système a fait ses preuves, assure Matthieu Loudes. Grâce à Skype, on est toujours en contact, et Jean-Baptiste est bien plus disponible qu’un patron installé dans un bureau à côté. Il organise régulièrement des conference calls où il explique ce qui se passe. Tout le monde sait exactement dans quelle direction on va. C’est simple, en 10 ans, je ne l’ai vu que deux ou trois fois. Et pourtant, on se connaît très bien.”

La pub autour de sa personne ne lui rend pas service
Aux prises avec ses propres contradictions, JBDV est aujourd’hui tiraillé entre son succès médiatique et son envie de vivre reclus sur sa péniche, de se laisser absorber par ses lectures théologiques. C’est son côté mystique. L’ancien auditeur libre de la faculté de théologie de Lyon a toujours été tenté par une forme de spiritualité. Au point d’envisager de devenir prêtre. “Une fois par an, il glisse quelques milliers d’euros dans une enveloppe et la donne au premier SDF venu en lui soufflant à l’oreille : Tu vois, Dieu ne t’a pas abandonné !”, relate un ami. En quête d’un prolongement de la théologie, il est même devenu à 21 ans le plus jeune franc-maçon de France. “Je pensais y retrouver Voltaire ou Benjamin Franklin, je suis tombé sur Gilbert x., employé aux assurances, qui distribuait ses cartes de visite. J’ai dû me tromper de loge.” L’aventure ne durera que neuf ans. “Je dois prendre garde à ne pas me laisser bouffer par le système”, dit-il encore en analysant rétrospectivement les événements de ces derniers mois. “Toute cette publicité faite autour de sa personne, de son côté atypique, ne lui rend pas service”, juge un actionnaire. C’est l’avis de Thierry Ehrmann, qui, tel un grand frère, sermonne : “Il est en train de se perdre. Il doit impérativement redonner du sens à son action, être lui-même, et non plus cette image marquetée qu’il nous a donnée à voir ces derniers temps.”

L’épilogue de l’affaire Mailorama en est peut-être une démonstration. Dans les heures qui ont suivi le fiasco de l’opération publicitaire, croyant bien faire, Jean-Baptiste Descroix-Vernier annonce qu’il reversera les 100.000 euros non distribués au Secours populaire français, qui les accepte, mais du bout des lèvres. JBDV fulmine : “La prochaine fois, je donnerai aux Restos du coeur !” Au moins est-il fidèle au refrain entonné par ses ninjas dans une vidéo postée sur YouTube : “Allez go, go, go, never give up !”

Les secrets de Rentabiliweb, la bien nommée

Derrière Rentabiliweb se cachent une multitude de métiers et de services qui a priori n’ont rien à voir les uns avec les autres. On y trouve du micropaiement, des sites Internet et du marketing direct. Tout le talent de JBDV est d’avoir su exploiter commercialement une base de données commune.

Qu’un internaute s’aventure sur l’un des 650 sites de Rentabiliweb, et il sera, selon ses goûts, incitéà visiter le site de rencontres sexy Yesmessenger, à”mater et chatter” via une webcam avec les modèles dénudés d’EuroLive, ou, plus sagement, à commencer une partie de yams ou de belote sur le site de jeux en ligne Toox. On ne manquera pas de lui proposer les services de médiation de Justiceprivée, et son adresse sera massivement utilisée pour faire du marketing direct. Bref, comme on dit dans le jargon du Net, il sera “monétisé”.

“A chaque fois qu’il ajoute une brique à sa société, Jean-Baptiste Descroix-Vernier duplique le modèle. Ce qui en fait une vraie machine à cash”, explique Stephan Dubosq, analyste financier à Arkeon. Prochain terrain de jeu : le système de paiement des sites d’e-commerce. Un marché que JBDV rêve de contrôler lorsqu’il aura obtenu le feu vert de la Commission bancaire. C’est là que ses nouveaux actionnaires vont lui être d’un précieux secours. “On a déjà appelé François-Henri Pinault pour qu’il nous mette en contact avec La Redoute”, fanfaronne- t-on chez Rentabiliweb.

Géraldine Meignan

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