La fermeture annoncée comme imminente de Google.cn ne signifie pas la fin des activités du géant internet en Chine ni la fin de toute offre de moteur de recherche. Les conséquences politiques, économiques et pour les internautes n’en seront pas moins réelles.
A peine plus de deux mois après avoir annoncé qu’il était prêt à ” reconsidérer [son] approche de la Chine “, Google (31,3% du marché chinois) tirera probablement sa révérence le 10 avril prochain, après 4 ans de présence et de compromis avec la censure sur le territoire chinois. La nouvelle est arrivée par le China Business News qui cite un commercial de Google. Il y a une semaine, le Financial Times évoquait lui aussi une probabilité de 99,9% pour que le moteur de recherche chinois de Google disparaisse des écrans.
Quelles conséquences pour les internautes ?
En janvier, les internautes chinois les plus sensibles à la nouvelle n’avaient pas mâché leurs mots pour dénoncer l’état d’obscurantisme dans lequel ils redoutaient d’être plongés. ” Attitude pleine d’honneur de Google ! La liberté ou la mort !”… Pourtant, qui dit disparition de Google.cn ne signifie pas la fin de Google.com en chinois, sur lequels les internautes pourront a priori se reporter. ” Depuis le début, il y a un malentendu sur le départ de Google, explique Renaud de Spens, spécialiste des médias chinois. Sauf rétorsion de Pékin, Google.com continuera à fonctionner. “ Si Pékin s’avise en revanche de resserrer la vis, en ralentissant, voire en bloquant l’accès, les internautes pourraient se reporter sur un moteur plus stable.
Autre conséquence possible : une utilisation croissante des outils de contournement de la censure, tels les VPN payants (réseaux privés virtuels, 30 dollars par an environ) et proxys. Entre octobre 2009 et mars 2010, les entreprises proposant des services VPN seraient ainsi passées de 3 ou 4 à une trentaine. Le départ de Google pourrait aussi signer la mort de la cartographie sur portable ou d’un service de musique gratuite accessible via Google.cn. Plus généralement, le départ d’une locomotive de l’innovation ne favorisera pas non plus la montée en gamme du secteur, faute de pression de la concurrence.
En ce qui concerne le contenu proprement dit, rien ne devrait beaucoup changer. ” Les résultats de Google.cn et de Baidu, n°1 chinois, ne sont guère différents “, estime Benjamin Joffe, directeur général du cabinet de consulting Plus 8 Star. Même conclusion pour le journaliste et bloggeur Michaël Anti : ” Puisque que les internautes ont les moyens d’accéder aux résultats non censurés de Google.com, pourquoi auraient-ils besoin d’un Google.cn émasculé ? “.
Qui récupèrera l’héritage de Google?
Dans un premier temps, Baidu, qui contrôle déjà 63,9% du marché, en profitera pour encore accroître sa domination. Mais de jeunes rivaux frappent déjà à la porte, tel Bing (moins de 1% du marché), le moteur de recherche de Microsoft. D’autres, comme Tencent, premier opérateur de chat, avec son célèbre QQ et une capitalisation boursière de 38 milliards de dollars, lorgnent déjà sur les futurs ex-salariés de Google. Tencent développe d’ailleurs son propre moteur de recherche, Soso. A cela s’ajoutent Youdao (163.com) et Sougou, le moteur de recherche du portail Sohu. Pour les opérateurs étrangers, la décision de Google remet néanmoins en cause un dogme jusqu’ici inébranlable, à savoir la présence en Chine, quel que soit le prix à payer.
Quelles conséquences politiques ?
Si le retrait de Google ne fait qu’ajouter un couac dans la cacophonie des relations sino-américaines, il marque un échec pour Pékin. Pour Hacène Taibi, qui dirige la société de services en ligne Them, “c’est un mauvais signal envoyé à l’étranger, qui augmente le risque pays “.
Sur le plan de la politique intérieure, cela pourrait aussi augmenter la rancoeur des internautes les plus revendicatifs. ” Nous sommes aujourd’hui dans un contexte quasi explosif tant sur internet que dans la presse, explique Renaud de Spens. Les revendications sont parfois impressionnantes. Récemment, des centaines de journalistes ont envoyé une pétition en ligne pour réclamer la démission du gouverneur du Hubei, accusé d’avoir maltraité une journaliste “. Le texte parle de lui-même : ” Notre tolérance arrive à sa fin et n’est pas extensible. (…) Le temps est venu pour lui (le gouverneur) de voir et d’entendre la colère de la profession “.
Enfin, une autre suite possible de l’affaire Google est la probable sortie, appelée de ses voeux par Hillary Clinton dans son discours du 21 janvier, d’un outil de contournement de la censure financé par les Etats-Unis. Comme l’explique le blog ReadWriteWeb, dédié aux technologies internet, ” face au clan des nations qui censurent semble se mettre en place une coalition faite d’entreprises, d’un Etat, et d’ONG bien décidées à tout faire pour sabrer toute tentative de censure “.
Quelles conséquences pour les entreprises en Chine ?
” Aucune pour les entreprises étrangères “, si l’on en croit le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Qin Gang. Sauf évidemment si Google.com, dont les résultats ne sont pas censurés mais filtrés par Pékin, est bloqué du jour au lendemain, comme c’est arrivé à Facebook ou Youtube. Certes, Pékin n’a pas intérêt à prendre une mesure aussi radicale, qui pénaliserait beaucoup de secteurs de son économie. “Les entreprises pourront toujours avoir leur propre système d’accès digital en sous-louant de la bande passante “, remarque Eric Sautedé, professeur à l’Institut Inter-universités de Macao.
Autre problème : l’accès au marché de l’internet chinois, forcément plus difficile. ” Pékin a bloqué l’achat des domaines en .cn, ce qui veut dire que les étrangers devront passer par le Chinois Baidu, et avoir une entreprise chinoise “, souligne Hacène Taibi. Les entreprises chinoises, qui utilisent les services de publicité Google (AdWords), pourraient également y laisser des plumes. Google leur offrira-t-il une compensation pour les contrats interrompus ?
Quelles conséquences pour Google ?
Depuis son arrivée en Chine, Google a investi 1,3 milliard d’euros. Pourtant, son chiffre d’affaires chinois ne représente que 2% de ses recettes totales et les ventes 2009 -246 millions d’euros selon Analysys International- proviendraient surtout des publicités d’entreprises orientées sur l’export. Pourtant, selon une source bien placée, Google se serait aperçu que beaucoup de résultats, sur ses statistiques de publicités, seraient faux, mettant en danger son business model. C’est ce qui aurait motivé son départ. ” Des logiciels robots, pilotés par des mafias chinoises, simuleraient des clics de personnes physiques “, estime la source.
Reste que quelle que soit l’ampleur réelle des pertes, Google se coupe en revanche définitivement du marché chinois et de ses 384 millions d’internautes, qui pourrait croître de 61% d’ici 2013 selon eMarketer. Ses 700 salariés se sont vu proposer des postes aux Etats-Unis. En Chine, Google pourrait néanmoins conserver son centre de R&D pékinois, ainsi que son activité publicitaire et de téléphones portables (notamment le système Androïd).
Hélène Duvigneau, à Pékin
Trends.be, L’Expansion.com