Amazon est-il dangereux pour nos libraires ?

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Le champion mondial de l’e-commerce dessert notre marché notamment via sa filiale française. Les livres y sont souvent moins chers qu’à la librairie du coin et représentent une part non négligeable des ventes pour certains éditeurs.

Depuis l’an dernier, Amazon est devenu un concurrent redoutable pour les librairies et les magasins de disques et de DVD. L’entreprise américaine a lancé en 2009 une discrète offensive sur le marché belge, en supprimant les frais de port pour les achats au-dessus de 20 euros, au départ des sites français et allemand. Un accord a été conclu avec la poste belge, qui assure l’acheminement des colis dans un délai plutôt bref – de deux à trois jours, lorsque la marchandise est de stock.

Cela place Amazon dans une position très concurrentielle. En particulier pour les livres, qui sont souvent moins chers sur son site français qu’à la librairie du coin. Voici deux exemples pris au hasard, dans une grande librairie bruxelloise : le livre Staline – La cour du tsar rouge, de Simon Sebag Montefiore (éditions des Syrtes), est vendu au prix de 31,65 euros en librairie et à 28,02 euros par Amazon.fr, livraison comprise. Le Dictionnaire amoureux de l’Espagne, de Michel del Castillo, édité par Plon, est affiché à 24,35 euros en librairie et à 20,90 euros sur Amazon.fr (1). Pour les CD et les DVD, l’écart est moins systématique.

Les rayons d’Amazon France sont très larges : ils contiennent également des ordinateurs, des appareils photo, des chaussures, du matériel de cuisine… Pour se faire une idée de la place prise par Amazon en Belgique, pas la peine de le demander à la société. Elle ne compte pas de filiale en Belgique, et la filiale française, grand fournisseur du marché belge, refuse de fournir la moindre précision sur ses activités belges. Les fournisseurs qui utilisent ses services en disent davantage, ce qui permet de se faire une petite idée.

L’éditeur André Versaille estime qu’Amazon est sa première librairie. “Elle représente sans doute 3 % de nos ventes, estime-t-il, mais je ne pourrais pas préciser comment celles-ci se répartissent entre la Belgique et la France.” Selon lui, Amazon joue un rôle dans un marché où les points de vente tendent souvent à se concentrer sur les nouveautés et à éviter le stock. Même souci chez De Boeck, société belge filiale du groupe français Editis, qui écoule également une partie de ses livres via Amazon.fr, en France et en Belgique. “Nous observons que les ventes sur Amazon n’entraînent aucune baisse pour la distribution en librairie”, souligne Marc-Olivier Lifrange, le directeur commercial.

Chez Universal Belgique, Arnaud Rey, product manager, situe le poids d’Amazon dans les CD entre 5 et 10 % du marché belge. Difficile pour lui d’être plus précis : dans chacune des filiales d’Universal, le chiffre d’affaires dégagé via Amazon est directement incorporé aux ventes nationales d’Universal.

Une stratégie de débordement… qui provoque des problèmes chez les éditeurs belges

Pour Amazon, la Belgique est un marché fort modeste et linguistiquement compliqué. Ces deux raisons expliquent l’absence d’une filiale dans notre pays. Outre les Etats-Unis, la société est présente en Chine, au Japon, au Royaume-Uni, en France, en Allemagne et au Canada. Amazon a besoin d’un très grand flux de commandes pour amortir ses installations logistiques et son organisation. Elle touche donc les petits marchés par débordement, sans vraiment adapter son offre.

Ainsi, Amazon ne vend pas de livres en néerlandais. Son offre est donc, dans ce rayon, peu intéressante pour le nord du pays. La clientèle flamande se rend sur Amazon.fr pour les livres en anglais et les CD, et pour profiter de la livraison gratuite. Le site britannique, quant à lui, continue à faire payer le transport. Pour certains achats, les Flamands commandent parfois sur le site Amazon.com (Etats-Unis) – mais dans ce cas, il faut en plus payer la taxe d’importation dans l’Union européenne.

Cette situation de marché annexe entraîne quelques soucis. Les petits éditeurs belges qui veulent vendre via Amazon.fr sont embarrassés car ils sont obligés de prendre un numéro de TVA français pour la facturation. “A l’heure européenne, c’est une distorsion de concurrence singulière entre les éditeurs belges et français”, estime Bernard Gérard, directeur de l’Association des éditeurs belges (ADEB). “Ces éditeurs doivent passer par une société de distribution française pour vendre à Amazon.fr, ce qui fait passer la commission de distribution de 30 % à environ 50 %”, conclut-il.

La pression d’Amazon explique en partie la stagnation de Proxis.be. Proxis – un département de la chaîne Club (groupe Distriplus, filiale de GIB, filiale conjointe d’Ackermans & van Haaren et de la CNP) – a été fondé en 1997, sur le modèle d’Amazon, suite à… l’absence de la machine américaine en Belgique. “Nous sommes en train de revoir l’organisation de Proxis.be”, confie Eric Collet, responsable du service en ligne. Proxis.be a rejoint les locaux du groupe Distriplus, situés à Anderlecht. La logistique est totalement sous-traitée chez Katoen Natie. En outre, le service devrait être utilisé pour les autres activités du groupe, où l’on compte, à côté de Club, les chaînes Di et Planet Parfum. Cela pourrait déboucher, par exemple, sur la vente en ligne de parfum.

Proxis relancé grâce à la sous-traitance ?

“Nous sommes toutefois concurrentiels avec Amazon sur les livres en néerlandais, secteur dans lequel Amazon est absent”, note Eric Collet. Sur ce marché, c’est en fait Bertelsmann Online (BOL) qui concurrence Proxis. Le service BOL couvre la Belgique depuis les Pays-Bas, où l’entreprise réalisait un chiffre d’affaires de 268 millions d’euros en 2009 (+ 20 %).

Proxis connaît une stagnation alors que le marché de l’e-commerce a enregistré une croissance de 17 % en 2009, selon l’association BeCommerce, dont le site est membre. L’organisation réunit des services d’e-commerce belges, et Amazon n’en fait pas partie. “En sous-traitant la logistique, nous allons pouvoir élargir la gamme des produits vendus, et relancer les ventes”, estime Eric Collet. Le service de Proxis était limité par les locaux et l’organisation logistique interne, installés à Zaventem jusqu’il y a peu.

Chez nous, l’offre importante d’Amazon pourrait transformer la société américaine en une sorte de La Redoute ou de 3 Suisses mais son marketing assez discret l’empêchera peut-être de déborder sur d’autres produits que les livres, les CD et les DVD. La maison ne fait pas de publicité en Belgique et concentre ses efforts de marketing sur les clients existants. Une fois le client ferré, il s’agit de le convaincre d’acheter plus et plus souvent. Amazon compte en outre sur les vertus du bouche à oreille.

L’enfant terrible de l’e-commerce continue en tout cas à progresser de manière impressionnante. Le deuxième trimestre 2010 affichait une hausse des ventes de 41 %, passant de 4,65 milliards de dollars, pour la même période en 2009, à 6,57 milliards. L’international représente 45 % de ce chiffre. Le bénéfice net a suivi la même évolution. C’est un exploit pour une entreprise fondée en 1994.

Robert van Apeldoorn

(1) Le prix du livre est encadré en France, les libraires ne peuvent faire plus de 5 % de réduction. En Belgique, le tarif est libre mais dans les faits, le prix conseillé est en général plus élevé pour les ouvrages édités en France que le montant indiqué sur la couverture…

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