The Little Car Company: la folie des mini-voitures vintage
Dans l’Oxfordshire, The Little Car Company ressuscite de vieux modèles iconiques à taille réduite. Après le succès de la Baby II, héritière de la mythique Bugatti Type 35, la société a signé d’autres partenariats avec des marques de luxe, soucieuses de tisser des liens avec les jeunes générations qui s’intéressent peu à l’automobile. Reportage à Bicester, temple de la voiture vintage.
A Bicester Heritage, le temps paraît s’être arrêté. La route qui traverse cette ancienne base de la Royal Air Force, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Londres, sinue entre les hangars de brique rouge, laissant découvrir, ici un aéroplane, là une vieille Riley. Au loin, on devine l’ancienne piste de décollage, devenue un circuit réputé pour les rassemblements de véhicules anciens. C’est dans ce paradis du vintage qu’est nichée The Little Car Company, une jeune société qui ressuscite de vieux modèles iconiques… à taille réduite.
Ceux pour qui Bugatti évoque le vrombissement d’un moteur de 16 cylindres ne connaissent pas encore la Baby II. Dans son atelier flambant neuf, Ben Hedley dégage l’enthousiasme d’un gamin au pied du sapin de Noël devant sa réplique de la Type 35, la célèbre voiture de course conçue par Ettore Bugatti, connue pour ses nombreuses victoires en compétition au tournant des années 1930. Cette version moderne est une reproduction quasi à l’identique, à échelle 75%. “Rien n’est inventé, nous avons reproduit autant de pièces que possible, du moins en respectant les contraintes de sécurité qui ne sont plus les mêmes qu’il y a 100 ans”, affirme l’entrepreneur.
Moteur électrique
Chaque pièce de la voiture originale a été numérisée, mais le modèle a été mis au goût du jour. On y retrouve la carrosserie encastrée entre quatre roues élancées, le tableau de bord argenté, le volant à quatre rayons et le frein à main extérieur. La pompe pour le carburant a été remplacée par le levier de vitesse. Bien dans l’air du temps, la Baby II tourne avec un moteur électrique, doté d’un freinage à récupération d’énergie. Exclusivité oblige, le nom du client est gravé sur une plaque ornant le tableau de bord.
La touche finale, c’est le macaron Bugatti en argent massif, comme sur les grandes. Quatre de ces beaux jouets – ils coûtent entre 30.000 et 58.500 euros – attendent d’être livrés depuis cet atelier où Ben Hedley et ses 30 collaborateurs se sont installés il y a tout juste six mois.
Ne cherchez pas tôleries, presses et autres chaînes d’emboutissage dans cette usine d’un autre genre. La Baby II est fabriquée à la main c hez un restaurateur Bugatti dans l’Oxfordshire, avant de subir les dernières finitions chez The Little Car Company à Bicester. Rien que la mise en forme de la carrosserie prend 300 heures. “Nous allons avoir besoin de beaucoup plus de place. Dans quatre à cinq mois, ce sera rempli de voitures ici”, lance Ben Hedley, balayant du regard son nouvel entrepôt.
L’Aston Martin de “Goldfinger”
Derrière lui, deux ingénieurs bricolent sur un châssis bourré de composants électroniques, entouré d’une carrosserie gris clair. Les amateurs d’Aston Martin reconnaîtront la silhouette de la DB5, celle que James Bond conduisait dans Goldfinger. C’est le nouveau projet sur lequel travaille l’équipe. D’ici à la fin de l’année, la production va démarrer pour ce cabriolet à 66% de la taille de l’original. Il sera fabriqué à un millier d’exemplaires pour un prix d’entrée de 35.000 livres. D’autres partenariats avec des grandes marques de luxe suivront dans les prochaines semaines.
Il faut croire que ces modèles miniatures séduisent les amateurs de bolides pointant à 490 km/h – le dernier record de vitesse de la Bugatti Chiron. Ancien champion de ski de vitesse, avant qu’un accident ne l’oblige à arrêter la compétition, Ben Hedley n’est pas effrayé par les paris risqués. L’aventure de The Little Car Company a démarré en 2019 par un concours de circonstances. L’ingénieur automobile était en train de monter une activité de reproduction de voitures de collection lorsqu’il a été approché par Bugatti qui cherchait comment animer les 110 ans de la marque.
Le cahier des charges consistait à concevoir une version moderne de la Bugatti Baby, cette voiture que le fondateur Ettore Bugatti avait créée en 1926 pour son fils Roland, alors âgé de quatre ans. Longue d’un mètre, elle était deux fois plus petite que la Type 35. La jet-set s’était enthousiasmée pour ce joli jouet. Le prince de Monaco avait eu la sienne, tout comme le futur roi Baudouin de Belgique ou Hassan II au Maroc. Les quelque 150 exemplaires fabriqués à l’époque sont devenus des objets de collection.
“Les ingénieurs de Bugatti m’ont demandé: Voulez-vous nous aider? J’ai saisi l’occasion, raconte Ben Hedley. Nous avions seulement 22 jours jusqu’au prochain Salon automobile à Genève. Nous avons travaillé jour et nuit.” A l’aide d’une imprimante 3D, son équipe a créé un prototype en plastique long de 2,70 m, soit une taille intermédiaire entre la Type 35 et la Baby du fils d’Ettore Bugatti. Comme si cette version moderne devait créer un trait d’union entre les générations. Dans l’urgence, la Baby II a été assemblée directement sur le stand, la veille de l’ouverture du salon. Ben Hendley ne s’attendait pas à un tel succès: “Les 500 exemplaires proposés se sont vendus en quelques jours”, dit-il.
Circulation interdite
Ne restait plus qu’à les fabriquer. L’entrepreneur reconnaît que cela n’a pas été une mince affaire, entre la pandémie et le Brexit qui l’a coupé de ses fournisseurs européens. “Les batteries qui viennent des Pays-Bas mettent deux semaines à arriver, au lieu de 24 heures ‘au bon vieux temps'” , explique-t-il. Les modèles sont expédiés dans un grand caisson de bois dont il faut organiser le transport par camion, par bateau ou par avion. Comme la Baby II n’est pas autorisée à circuler sur route, mieux vaut avoir le domaine qui va avec ou être un habitué des circuits automobiles.
Les voitures de The Little Car Company trouvent preneurs auprès de collectionneurs de Bugatti anciennes aussi bien que de propriétaires de modèles récents. Manny Khoshbin, milliardaire américain qui a fait fortune dans l’immobilier, vient de sortir son carnet de chèques pour en offrir une à son fils. Au même moment, il s’est payé une Chiron sur mesure, entièrement habillée par le maroquinier de luxe Hermès, pour tenir compagnie aux deux Bugatti Veyron qui occupent déjà son garage.
Erwin Beerens fait aussi partie des premiers acquéreurs. Patron du groupe Beerens, société belge de services automobiles, ce sexagénaire possède plus de 10 Bugatti, dont une Type 35 de 1926. Il vient de craquer pour sa version moderne miniature. “Certains de nos acheteurs se souviennent avoir eu une Bugatti Baby lorsqu’ils étaient enfants. Les gens aiment son côté exclusif”, explique Ben Hedley. The Little Car Company produira donc 500 Baby II, pas une de plus.
La voiture peut aussi intéresser les sociétés à la recherche d’un outil de promotion pour des prestations haut de gamme. Jetex, exploitant d’un terminal de jets privés aux Emirats arabes unis, en a commandé une pour acheminer ses clients dans la section VIP de l’aéroport d’Al Maktoum.
Bienvenue au club
Et puis il y a tout simplement les fans de la marque qui ne peuvent pas se permettre de dépenser 1 million d’euros dans une voiture. Le club des propriétaires de Bugatti en Angleterre a donné sa caution à la Baby II en lui consacrant une page de son journal. Concrètement, cela signifie que ses acheteurs pourront participer aux garden-partys au même titre que les autres collectionneurs. “Nous leur ouvrirons l’accès à nos réceptions et ils pourront assister à nos événements à Prescott. Nous leur mettrons à disposition un espace où ils pourront exposer leur voiture”, explique Edmund Burgess, responsable des adhésions au sein de ce club très select.
Ben Hedley en est convaincu: les marques de luxe doivent nouer des liens avec les jeunes générations, celles qui s’intéressent peu à l’automobile. Son rêve est de voir parents, grands-parents et petits-enfants conduire ensemble ses voitures. C’est la raison pour laquelle son prochain modèle, la DB5 d’Aston Martin, pourra accueillir à son bord un adulte et un enfant. “Nous voulons rendre accessibles à un nouveau public ces machines incroyables. D’année en année, les voitures de collection sont devenues de plus en plus chères”, regrette-t-il. Sa dernière idée est d’ouvrir le circuit de Bicester aux familles pour leur permettre, le temps d’un dimanche, d’essayer ses little cars. Comme pour leur montrer que l’automobile, même électrique, peut être un plaisir.
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