Sodexo: “L’intelligence artificielle va sûrement transformer nos propres métiers”

Michel Croisé. © Christophe Ketels/Belgaimage
Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

Surtout connu pour ses restaurants d’entreprises (ne dites plus “cantines”), le groupe français Sodexo est devenu au fil des ans un géant du “facility management”, prestant une multitude de services pour une multitude d’institutions. Alors que l’entreprise est en pleine transformation numérique, nous avons rencontré son président Benelux, Michel Croisé. Impact de l’intelligence artificielle, stratégie dans les prisons, développement des services aux particuliers. Voici sa vision de l’avenir.

C’est loin d’être un hasard. Dès janvier prochain, l’actuel CEO de Sodexo, Michel Landel, passera le flambeau à Denis Machuel, qui occupe pour le moment le poste de chief digital officer. Le responsable ” numérique ” qui devient big boss. Les priorités sont posées. Le géant français des services, 19e employeur mondial avec 425.000 collaborateurs dans 80 pays et un chiffre d’affaires de 20,2 milliards d’euros, est en train d’investir massivement dans le digital. C’est que ses métiers pourraient être fortement impactés par la révolution numérique. Chez nous, où le groupe emploie 4.000 personnes et affiche un chiffre d’affaires de 430 millions d’euros, l’heure est aussi à la réflexion sur les services de demain. Nous avons rencontré Michel Croisé, président Benelux.

MICHEL CROISÉ. On assiste aujourd’hui à la fin de nombreux services traditionnels. Quel que soit le service que l’on fournit, c’est la valeur ajoutée pour le client final qui compte, et uniquement celle-là. Il n’y a plus de pitié ! Quand un client n’est pas content de nos services, qu’il s’agisse de plats servis dans un restaurant d’entreprise ou à l’école, tout cela se retrouve très vite sur les réseaux sociaux. Les gens veulent du tout, tout de suite, avec des facilités de paiement. Ils veulent pouvoir visualiser les menus disponibles à l’avance afin d’éventuellement commander ce qu’ils souhaitent en début de journée. Ils n’ont alors plus qu’à passer chercher leur repas au restaurant de l’entreprise et ils ne doivent plus faire la file car tout est déjà payé. Par ailleurs, ils auront pu consulter toutes les informations sur les allergènes, la provenance des produits, etc. La restauration d’entreprise de demain ira encore plus vers tout cela. On est aujourd’hui beaucoup plus dans une approche retail. Les gens ont un choix extraordinaire. Nos concurrents sont aussi bien des UberEats que les grands joueurs du marché. Auparavant, le marché était captif et la concurrence journalière n’existait pas. Ce n’est plus le cas. Les gens comparent. Ils veulent savoir à l’avance ce qu’il y a au menu le midi, et si cela ne leur plaît pas, il y a bien d’autres choix.

Profil

En 1984, il termine ses études de kinésithérapie à l’ULB et se spécialise en kinésithérapie du sport. Il pratique comme kinésithérapeute jusqu’à la fin des années 1980 et ouvre en parallèle trois centres de fitness à Bruxelles avec un associé.

En 1989, il développe, en association avec le groupe Auquit, de Jean-Pierre Bayens, une société de chèques “sport et culture”, qui sera rachetée par Sodexo.

C’est en 1992 qu’il entre chez Sodexo, comme directeur du développement du département “avantages et récompenses”. Il passera par le marketing, la vente et la direction générale du département.

En 2005, il devient CEO de Sodexo pour la Belgique et le Luxembourg.

Depuis 2014, il est président de Sodexo Benelux.

Aurez-vous à terme besoin d’autant de personnel dans vos restaurants d’entreprise alors que des robots pourraient préparer les repas ?

Je pense qu’il y aura sûrement une évolution à terme au niveau du personnel. Tout ce que l’on fait aujourd’hui va changer. Les besoins vont changer, les équipes vont changer, etc. Nous allons engager d’autres profils, c’est pourquoi nous travaillons sur l’évolution de notre personnel vers de nouveaux métiers. Si je prends l’exemple du nettoyage, il suffisait avant de pouvoir allumer l’aspirateur et d’assurer une série de gestes techniques. Demain, il faudra probablement pouvoir manipuler un écran de robot. Nous allons nous orienter vers des emplois plus qualifiés. Il faudra que les personnes qui occupent aujourd’hui des emplois peu qualifiés fassent un effort de qualification. Il y a là un rôle à jouer par les pouvoirs publics, par les entreprises, mais également par chacun au niveau individuel.

La question est de savoir jusqu’à quel point les gens accepteront d’être accueillis uniquement par un robot.”

Pour aborder le tournant numérique, Sodexo a mis en place une politique d’investissement dans des start-up. Pourquoi et quelle est-elle ?

Nous avons lancé l’année dernière le fonds Sodexo Ventures, un fonds de 50 millions d’euros qui nous permet d’investir dans des start-up, de co-créer avec elles, et ce dans tous les domaines de l’entreprise. Nous rachetons parfois certaines start-up. Les start-up peuvent nous aider sur l’apport et l’agilité de la mise en place d’idées. Nos équipes digitales scannent en permanence tout ce qui serait susceptible de nous intéresser. Nous sommes en discussion avec certaines start-up avec lesquelles nous avons décidé d’avancer, mais je ne peux pas encore vous en dire plus.

Aujourd’hui, Sodexo Belgique n’est présent dans les PME qu’à travers son activité ” bénéfices et récompenses ” (chèques-repas, éco-chèques, etc.). Pourriez-vous y développer également des restaurants d’entreprise ?

C’est effectivement une réflexion que nous avons en interne, mais nous ne savons pas encore si nous allons y aller. Nous ne l’avons pas encore fait car notre modèle économique n’est pas celui-là. Il se fait qu’aujourd’hui, plein de partenariats pourraient nous permettre de le faire. Par ailleurs, nous évoluons aussi en interne dans nos modes opérationnels.

On parle beaucoup d’intelligence artificielle. Comment cette dernière pourrait-elle bouleverser vos métiers ?

Je pense que nous allons aller très loin dans tout ce qui est intelligence artificielle. Maintenant, pour une partie des services, les gens auront toujours besoin de voir quelqu’un physiquement devant eux. Il est vrai que tout cela évolue à une vitesse folle. La question est de savoir jusqu’à quel point les gens accepteront d’être accueillis uniquement par un robot. Je pense que ça existera, ça existe d’ailleurs déjà. Nous avons mené des tests au siège avec un petit robot et c’est assez surprenant. Actuellement, ce que nous avons pu constater, c’est que la plupart des personnes préfèrent un humain. Mais quand le robot a une forme humanoïde, les gens ne lui parlent pas comme on parle à une machine ou à Siri. Le ton est différent. Donc, oui, l’intelligence artificielle va sûrement transformer nos métiers, donner de l’intelligence à toute une série de dispositifs qui vont nous permettre d’être beaucoup plus proactifs, plus efficaces.

Parmi les services que vous proposez, lequel, pensez-vous, sera le premier à être impacté par l’intelligence artificielle ?

Je dirais la maintenance technique des bâtiments. Aujourd’hui, une grande partie des bâtiments ne sont pas encore intelligents. Mais ils le seront de plus en plus. Avec l’évolution de la capacité des processeurs, la diminution des coûts de traitement, etc., nous allons très rapidement arriver à de vrais bâtiments intelligents dans lesquels un ascenseur, par exemple, communiquera à Schindler le niveau d’usure des pièces. Il ne faudra plus envoyer quelqu’un. Tout cela va véritablement changer la portée des services.

Au niveau du groupe, vous développez trois grands types d’activités : les services sur site, les services ” avantages et récompenses ” et les services aux particuliers et à domicile (aide à domicile, crèches, conciergeries d’entreprise, etc.). Cette dernière branche n’est pas développée chez nous. Pourquoi ? Cela va-t-il changer ?

Nous avons développé en Belgique une application qui permet aux personnes âgées de choisir chez elles leur menu quotidien et de se le faire livrer à domicile, tout comme plusieurs biens de première nécessité. Pour les autres services à domicile (nettoyage, aide familiale, etc.), nous ne sommes pas encore actifs en Belgique. Le cadre fiscal, social et politique permet certaines choses dans certains pays qui sont moins faciles à développer dans d’autres endroits. Les pays où la sécurité sociale est moins importante et où les assurances privées couvrent toute une série de services sont plus propices au développement de certaines de nos activités.

Vous estimez que la Belgique est un pays où la législation entrave le développement de l’initiative privée ?

Si on prend le domaine des crèches, l’initiative privée avec une société anonyme est relativement compliquée parce que l’accès aux subsides, à la déductibilité, etc., exige certains statuts qu’une entreprise privée n’a pas. Est-ce mieux ? Est-ce moins bien ? C’est en tout cas le modèle qu’a choisi la Belgique. En France et au Luxembourg, nous avons ouvert plusieurs crèches. Dans les universités belges, nous n’avons pas d’approche globale. Aux Etats-Unis, il y a des universités que nous gérons complètement en dehors des cours. Du bâtiment à l’accueil des étudiants en passant par le logement, etc. Ici, ce sont des appels d’offres européens. La réalité économique est différente.

Autre piste de croissance pour Sodexo : les prisons. Où en êtes-vous en Belgique à ce niveau, et quelles sont vos ambitions ?

Nous sommes présents à la prison de Marche-en-Famenne et dans les centres de psychiatrie légale de Gand et d’Anvers. A Marche, nous assurons toute une série de services allant de la restauration au nettoyage en passant par le jardinage, la buanderie et la formation des détenus à nos métiers. A Gand et Anvers, nous nous occupons de l’entièreté des services facilitaires et nous sommes associés avec des spécialistes des soins qui s’occupent des patients. Nous avons aujourd’hui une expertise belgo-belge dans les prisons. La première fois que nous avons répondu à un appel d’offres pour la prison de Marche, Sodexo Belgique n’avait pas une expérience particulière en la matière. Nous avons pu nous appuyer sur l’expérience acquise en France et au Royaume-Uni, ce qui nous a permis de gagner l’appel d’offres. Le gouvernement a prévu des ouvertures de centres de psychiatrie légale en Wallonie. Nous poserons évidemment notre candidature.

Les pays où la sécurité sociale est moins importante et où les assurances privées couvrent toute une série de services sont plus propices au développement de certaines de nos activités.”

Un reportage de la BBC tourné dans l’une des plus importantes prisons du Royaume-Uni, privatisée en 2013 et gérée par Sodexo, a récemment mis en lumière des conditions de détention déplorables (trafic et consommation de drogues, graves problèmes de sécurité, etc.) alors que 200 emplois de gardiens ont été supprimés…

Il y a effectivement eu des articles dans la presse britannique à ce sujet. Je ne veux pas créer la polémique et dire que cela n’a pas existé. Mais dans tous les pays, le prestataire privé est excessivement contrôlé. En Belgique, nous avons un donneur d’ordre qui est le SPF Justice et le SPF des Affaires sociales et de la Santé, qui vérifient en permanence la qualité des services que l’on donne. C’est la même chose au Royaume-Uni, même si c’est peut-être un petit peu plus libéral que chez nous. Je ne sais pas vous dire ce qu’il s’est passé dans cette prison, je n’étais pas présent. J’ai simplement lu la même chose que vous. Ce que je sais en revanche, c’est que lorsqu’on discute avec l’administration anglaise, elle est ravie de la prestation de Sodexo. La Belgique a été vérifier ce qu’il s’est passé, et nous avons été choisis, donc…

La Belgique est un pays important pour votre activité ” chèques-repas “. Mais il y a chez nous un débat récurrent sur la suppression de ce système. Qu’en pensez-vous ?

Vous allez dire que je ne suis pas d’une objectivité totale sur le sujet. (rires) Les chèques-repas sont très importants pour les ménages à faibles revenus. Des études ont été menées, prouvant leur utilité dans la composition de l’assiette des ménages. C’est un vrai plus pour les consommateurs, qui entraîne des dépenses en Belgique et fait donc vivre l’économie belge.

Vous émettez depuis 2016 des titres-services pour le gouvernement flamand. Mais vous devez payer cette année une amende de 3,2 millions d’euros aux autorités du nord du pays car la part de titres émis de manière électronique en Flandre ne s’élève qu’à 52,59 %, loin de l’accord passé avec les autorités qui prévoient une proportion de 86 % à la mi-2017. Restez-vous confiants dans la réussite du projet ?

Je n’ai pas trop envie de rentrer dans les détails de ce dossier. Ce qui est clair, c’est que si nous devons faire une partie du chemin, il faut également que les gens passent aux titres-services électroniques, tout comme les entreprises. Nous sommes passés d’un marché totalement ” papier ” à un marché qui a fortement évolué vers l’électronique. Nous avons donc avancé à la plus grande vitesse possible. En ce qui concerne le renouvellement du contrat, ce sont des marchés qui ont des échéances totalement définies dans le cadre de la procédure habituelle concernant les marchés publics.

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