“Les sociétés d’assurance ont trop peu de contacts avec leurs clients”

© Karel Duerinckx

Thomas Buberl, CEO du groupe AXA, s’entretient pour la toute première fois avec la presse belge. “Je suis en faveur d’une collaboration avec les entreprises comme Google et Facebook, nous confie-t-il. Je souhaite faire de nos concurrents potentiels de demain nos partenaires d’aujourd’hui.”

Un choc des cultures. Voici l’effet qu’a fait la nomination de Thomas Buberl au poste de CEO du groupe Axa il y a un an et demi. Un Allemand à la tête d’un groupe à l’identité bien française. Un CEO d’à peine 42 ans pour remplacer le très charismatique et expérimenté Henri de Castries, bien ancré au sein de l’establishment français.

Sous la houlette de ce dernier, Axa a subi une profonde transformation entre 2000 et 2016. L’assureur français s’est ainsi mué en un groupe international bien implanté dans les marchés émergents asiatiques. En Europe, sa croissance s’est faite au rythme de grandes acquisitions comme celle de la société suisse Winterthur en 2006.

Autant dire tout de suite que Thomas Buberl a choisi une autre voie. Finies les grandes acquisitions ! La croissance future passera désormais par une transformation numérique interne, destinée à dégager de nouveaux modèles de revenus pour Axa. Trois milliards d’euros d’investissements sont déjà prévus pour cette numérisation. Une somme que le nouveau CEO compte dégager en rabotant les coûts : 2 milliards d’ici 2020, principalement dans les services centraux.

Axa ciblera aussi un nombre plus limité de pays : 10 pays matures et 6 pays émergents. La société d’assurance Axa Belgium compte parmi les 10 moteurs du groupe (ces 10 pays représentent 84 % des bénéfices du groupe). Axa Banque, par contre, sera reléguée parmi les 26 entités qui ne constituent plus une priorité en termes d’investissements ou d’expansion.

TRENDS-TENDANCES. En 2016, Axa Belgium procédait par ailleurs à une profonde restructuration, supprimant au passage 650 emplois. Et aujourd’hui ? Comment se porte cette filiale belge d’Axa ?

THOMAS BUBERL. La rationalisation est derrière nous. L’entreprise a pris les mesures utiles pour réduire les coûts, contribuant de la sorte aux investissements numériques en Belgique à hauteur de 200 millions d’euros. Je tiens au demeurant à remercier tous ceux qui ont participé à la réalisation de ce plan indispensable. Axa Belgium va maintenant devoir entamer une nouvelle phase de sa croissance. Les efforts cibleront désormais la transformation du marché et les besoins numériques des clients.

Biographie

le 24 mars 1973 à Cologne.

Titulaire d’une maîtrise en économie de l’université de Coblence (Allemagne), d’un MBA de l’université de Lancaster (Royaume-Uni) et d’un doctorat en économie de l’université de St. Gallen (Suisse).

2000-2005 : consultant dans le secteur de la banque et assurance pour le Boston Consulting Group.

2005-2008 : chief operating officer et ensuite directeur du marketing et de la distribution auprès de la compagnie d’assurance suisse Winterthur, reprise en 2006 par Axa.

2008 : CEO Zurich Financial Services en Suisse. La même année, il fut nommé Young Global Leader (jeune leader mondial) par le Forum économique mondial.

2012 : retour au sein du groupe Axa en vue de reprendre et de restructurer la filiale allemande Axa Konzern.

2015 : responsable des assurances maladie et ensuite des assurances-vie et -épargne à l’échelle mondiale. Il entre au comité de direction d’Axa.

1er septembre 2016 : succède à Henri de Castries en tant que CEO d’Axa.

Comment répondre à ces besoins numériques ?

En optant pour un modèle numérique hybride axé sur la coopération avec les courtiers qui distribuent nos produits. Nous pensons que ceux-ci conserveront une position solide sur le marché belge. Mais cela ne se fera pas sans le développement des canaux numériques.

Axa dispose en Belgique également d’une banque lui servant de canal de distribution. Axa Banque ne fait donc plus partie des priorités du groupe ?

Axa Banque a traversé une mauvaise passe il y a quelques années, mais la banque se porte bien aujourd’hui. Il lui appartient désormais de prendre son avenir en main. Il est dans son propre intérêt de prendre ses distances par rapport à ses activités d’assureur. Pour se renforcer, Axa Banque doit s’émanciper, et mettre l’accent sur la commercialisation de fonds peut l’aider à y parvenir. Axa Investment Managers figure parmi les principaux gestionnaires de fonds mondiaux. Une situation qui ne peut être que bénéfique pour la banque et ses clients.

Songez-vous à céder la banque ?

Nous n’avons pour l’heure rien de concret en tête. Il revient à l’entité locale d’élaborer sa stratégie en toute autonomie, de prendre ses propres décisions et de saisir des opportunités sur le marché. Le groupe gère Axa Banque comme une simple prise de participation au capital, à l’instar des 25 autres plus petites entités. Avec une certaine distance, donc.

Quels sont les principaux défis pour une société d’assurance comme Axa ?

La persistance des taux bas éprouve nos capacités d’adaptation. Si nous pensons chez Axa que les taux finiront bien par repartir à la hausse, ils resteront sans doute en deçà des confortables 5-6 % d’antan. Il faudra désormais composer avec des taux oscillant entre 3 et 3,5 %. Pour aider nos clients à se constituer un capital pension, nous devrons donc leur proposer des produits assortis d’un meilleur équilibre risque-rendement.

A cela, il faut ajouter une réglementation toujours plus stricte. Sans compter que l’on a assisté ces dernières années à une forte fragmentation. Les nouvelles règles qui voient le jour aux Etats-Unis diffèrent des règles européennes et asiatiques. Il en résulte pour nous, groupe européen, une perte de concurrence aux Etats-Unis par rapport à nos concurrents américains. C’est notamment pour cette raison que nous avons décidé d’introduire nos activités américaines en Bourse, pour qu’elles soient soumises à la législation locale.

Et puis, il y a aussi l’évolution rapide du comportement du consommateur. Les gens ont pris l’habitude d’acheter beaucoup de leurs produits en ligne ou via leur smartphone. Sauf que souscrire une assurance par ces canaux ne va pas forcément de soi. La réglementation rend l’achat d’une assurance toujours plus complexe. A charge pour nous, les assureurs, de déployer tous les efforts possibles pour faciliter la vie de nos clients.

Comment le secteur de l’assurance va-t-il évoluer selon vous ?

Les assureurs se focalisent aujourd’hui sur l’indemnisation des sinistres, alors que chaque année, ceux-ci ne touchent qu’un client sur cinq. Les sociétés d’assurance ont donc trop peu de contacts avec leurs clients. S’agissant des quatre autres clients, le seul contact qu’ils ont est celui de leur facture annuelle qu’ils doivent payer. Vous pouvez imaginer leur frustration… Axa estime pourtant que ces clients aussi doivent être récompensés. Par exemple en leur offrant d’autres services, comme la prévention des dommages ou l’accès à des services médicaux et de soins. C’est là un excellent moyen de nouer des relations plus étroites avec ces clients.

Craignez-vous les nouveaux acteurs tels que les sociétés ” insurtech ” disruptives ou les géants technologiques comme Google et Facebook ?

Je vois les start-up innovantes plutôt comme des partenaires stratégiques potentiels. Dans le monde de l’assurance, la question de l’échelle est primordiale. Axa dispose d’une grande amplitude, tandis que les sociétés insurtech peuvent avoir les bonnes idées et applications. L’association des deux me semble assez judicieuse.

Les grandes sociétés technologiques telles que Google et Amazon ont déjà tenté de pénétrer dans le secteur de l’assurance, mais c’est plus laborieux qu’elles ne le pensaient. C’est aussi pour cela que je suis en faveur d’une collaboration. Les assureurs possèdent des connaissances et une expertise inestimables, que nous pouvons mettre à disposition. Je souhaite faire de nos concurrents potentiels de demain nos partenaires d’aujourd’hui.

Au niveau des produits, à quelles nouveautés faut-il s’attendre dans les années à venir ?

Les assurances contre les cyberattaques, que ce soit pour les entreprises ou les particuliers, vont croître sensiblement. Dans cinq à dix ans, je pense que tout le monde sera assuré contre de tels risques. Les assureurs s’efforceront en outre de développer de nouveaux produits pour répondre à l’évolution des relations de travail. Songez aux chauffeurs d’Uber, aux coursiers de Deliveroo ou aux clients de BlaBlaCar. Le secteur des soins de santé doit lui aussi être partiellement réinventé pour apporter une réponse à l’explosion des frais, et des solutions devront être trouvées pour l’indemnisation des dégâts dus à des catastrophes naturelles. Ceux-ci prennent de l’ampleur : on constate déjà un trou de 100 milliards d’euros non couvert par les assureurs, qui est actuellement assumé par les particuliers, les entreprises et les Etats. Le secteur va donc devoir trouver une parade.

Arrivera-t-on à terme à une consolidation dans le secteur de l’assurance ?

Je le pense, oui. Mais ce n’est pas pour tout de suite. Cette consolidation ne viendra pas des grands groupes d’assurance comme Axa. Ils ont acquis une taille suffisante et peuvent se passer de grandes acquisitions. Il est probable qu’Axa procédera encore à quelques rachats ciblés, mais ceux-ci seront d’une ampleur toute relative.

Le mouvement de concentration viendra plutôt du segment des acteurs de moyenne envergure. Beaucoup de ces entreprises éprouvent des difficultés avec leur portefeuille assurance-vie et ont besoin de capitaux frais. Mais qui va mettre la main à la poche pour racheter une entreprise dans laquelle il faut encore injecter du capital pour redresser le portefeuille ? Voilà pourquoi je pense que la consolidation n’est pas pour tout de suite.

D’où la croissance doit-elle provenir en Belgique ?

Jef Van In, CEO d'Axa Belgium
Jef Van In, CEO d’Axa Belgium© Karel Duerinckx

Il y a deux ans, vu la faiblesse des taux, Axa Belgium a arrêté de vendre des assurances-vie single premium (branches 21 et 23). Axa connaissait pourtant un beau succès grâce aux formules Crest.

La croissance devra donc provenir d’autres produits. Outre les assurances dommages, Jef Van In, CEO d’Axa Belgium, voit énormément de potentiel dans les assurances hospitalisation et soins de santé ainsi que dans les assurances pension pour les particuliers et les indépendants. Parallèlement, Axa souhaite s’impliquer davantage sur le marché des PME et des entreprises.

” Nous nourrissons également de hautes ambitions concernant le marché des administrations publiques, écoles, hôpitaux, etc. “, affirme Jef Van In. Deux acteurs dominent le marché : Ethias et Belfius. Mais c’est sans compter sur Axa, qui souhaite stimuler la concurrence.

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