Marc Buelens

“Les open spaces sont sexistes”

Marc Buelens Professeur

Les différences de statut ont payé le prix fort de la promotion de l’égalité, d’après Marc Buelens, professeur émérite à la Vlerick Business School.

Longue vie à la sociologie. Deux sociologues britanniques ont étudié les conséquences du déménagement d’une administration d’une grande ville dans des bureaux paysagés. Elles ont ainsi interviewé et observé 27 femmes et 13 hommes pendant trois ans.

Les open spaces ont la cote. Les cloisons en verre permettent de gagner en transparence, vous “sentez” ce qui se passe autour de vous tout en établissant des liens plus rapidement. Par ailleurs, elles s’inscrivent dans la vision moderne de l’entreprise : moins de hiérarchie pour plus de concertation, d’innovation et de travail d’équipe. Bref, les bureaux paysagés font l’apologie de l’autonomie.

Cependant, peu de travailleurs semblent véritablement apprécier ce type d’aménagement : on entend ses collègues discuter et téléphoner tout au long de la journée, on perd ses affaires, voire son intimité. Les sociologues y ont vu un autre inconvénient : elles qualifient les open spaces de sexistes. Et elles n’entendent pas par là le bruit qui incommode les femmes en particulier.

Les open spaces sont sexistes

Alors que certaines avaient l’impression que le bureau paysagé favorisait l’égalité, d’autres ont révélé un phénomène inattendu. En effet, ces dernières avaient le sentiment d’être épiées de toute part. Parmi les hommes interrogés, aucun ne se sentait concerné par cette problématique. L’architecte de l’open space était conscient du problème potentiel, mais a évoqué le “paradoxe du nudiste”. Au début, tout le monde regarde tout le monde et… constate que personne ne porte de vêtements. La curiosité se dissipe ensuite très rapidement.

Note sur 10

Or, les chercheuses estiment que cette allégation n’est pas correcte. Il ressort des études sur les plages nudistes que les intéressé·es ont les yeux grand ouverts, en particulier les hommes. Selon les travailleuses, c’est également le cas dans la maison de verre. L’une d’entre elles a rapporté que les hommes de son équipe mettaient des notes à la gent féminine et dressaient des listes sur la base de critères de beauté en tout genre. C’est pourquoi certaines employées ont commencé à éviter certaines parties du bureau paysagé où elles étaient examinées sous toutes les coutures.

Par ailleurs, les femmes ont ressenti une certaine pression concernant leur tenue. Elles ont ainsi commencé à s’habiller de façon plus formelle ou informelle en fonction de leur statut. Elles se sont aussi maquillées moins ou, au contraire, en ont remis une couche. Les différences de statut ont payé le prix fort de la promotion de l’égalité. Imaginons que vous confondiez une secrétaire avec une cheffe de service. Plutôt embrassant, non ?

Les femmes ont également indiqué qu’il n’y avait pas de place pour les états émotionnels, que ce soit au niveau individuel ou dans une conversation privée, dans l’open space. Les hommes n’ont pas mentionné ce problème, mais je suppose qu’ils ont simplement omis de dire qu’ils intériorisaient moins.

Un autre aspect désagréable de ces open spaces est que l’on peut voir ce que les autres mangent à coups de sad desk lunch (ou le sandwich déprimant devant l’ordinateur), régime draconien, voire traitement médicamenteux. Votre vie privée n’est donc pas seulement étalée sur Google ou Facebook, mais aussi sur votre lieu de travail.

Ah ces hommes. Donnez-leur des bureaux fermés et le mouvement #MeToo ébranle la planète. Et dans les espaces ouverts, ils se transforment en espions.

Enfantillages

Elena Shalneva, consultante en communication, pense que tout cela n’est qu’enfantillages. Selon elle, tout le monde regarde tout le monde, faute de mieux. L’alternative (comprenez : travailler) n’est tout simplement pas très réjouissante. Pour le reste, elle estime qu’on ne se rend pas au bureau pour préserver son intimité. Et si cela ne vous plaît pas, elle vous suggère de construire une cabane bien isolée dans votre jardin.

Un débat passionnant, agrémenté d’une “sauce épicée aux deux genres”. Tout cela me fait penser au village de mes grands-parents, où les ragots servaient et desservaient les habitants. Malheur à celui qui s’écartait de la norme, le contrôle social était étouffant. À l’époque, il n’y avait pas de policiers dans la rue et le garde champêtre avait la belle vie. Le contrôle social peut donc présenter des avantages. Il me semble d’ailleurs beaucoup plus agréable de voir arriver un·e collègue qui soigne son apparence. Si prendre soin de soi était le seul impact du bureau paysagé, j’en serais également fan.

Traduction : virginie·dupont·sprl

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content