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Le salut de l’Allemagne ne passera que par l’Europe

Considérée hier encore comme le moteur de l’Europe, si pas sa locomotive, et présentée comme un modèle depuis belle lurette, l’Allemagne semble aujourd’hui s’enfoncer dans la crise. Elle donne le sentiment d’avoir, à ce stade, raté la reconversion de son industrie automobile, d’avoir manqué sa révolution numérique et d’avoir pris du retard dans sa transition énergétique. Et pour couronner ce bilan négatif, suite à la faiblesse de sa classe politique, l’Allemagne a aussi perdu de son pouvoir en Europe et son rôle de leader.

Retour sur une chute inattendue

2019 aura été une année noire pour l’industrie allemande qui a entrainé sa croissance à des niveaux qui n’avaient plus été vus depuis 6 ans. Et alors que l’on espérait une petite reprise à la fin de l’année, la déception a été de taille. Au dernier trimestre 2019, l’économie allemande a en effet connu une stagnation après une croissance de 0.3% au troisième trimestre. Sur l’ensemble de l’année, la croissance n’a été que de 0.6%, bien loin de la France, des Pays-Bas ou de la Belgique qui affiche une croissance de 1.4%.

Cette croissance n’a été sauvée que par la consommation intérieure et le secteur de la construction. Par contre, l’industrie allemande et donc les exportations ont plombé cette dernière et risquent fort de faire de même en 2020. Les maux de l’industrie allemande sont connus et résident d’une part dans des facteurs endogènes liés essentiellement au secteur automobile et d’autre part dans des facteurs exogènes liés au ralentissement du commerce mondial. Car l’Allemagne est beaucoup plus sensible au commerce mondial que n’importe quel autre grand pays industrialisé. Les exportations de biens et services y représentent plus de 47% du PIB, contre seulement 25% en moyenne dans les six autres pays du G7 (chiffres de l’OCDE pour 2018). Aux États-Unis, ce taux se limite même à 12%. Une part relativement importante des exportations allemandes se concentre dans les biens plutôt que dans les services. Cette situation est étroitement liée à la structure de l’économie allemande, au sein de laquelle l’industrie occupe encore un poids relativement élevé. De plus, les principaux marchés à l’exportation de l’Allemagne sont la Chine, les États-Unis ou le Royaume-Uni.

Ce ralentissement du commerce mondial tombe en plus au plus mauvais moment alors que l’industrie doit faire face à des défis environnementaux et à la transition technologique dans l’industrie automobile, alors qu’au même moment la demande mondiale de voitures faiblit.

Les derniers chiffres, avec un plongeon de 3.5% de la production industrielle au mois de décembre, laissent augurer une poursuite de la stagnation de l’industrie au moment où on s’interroge sur l’impact de la crise du Covid-19, nom officiel du coronavirus. Même si pour le moment, il est extrêmement compliqué de mesurer l’impact du ralentissement de l’économie chinoise, il ne fait cependant aucun doute que l’Allemagne sera en première ligne. Certains n’hésitent déjà pas à chiffrer le coût à 0.2% de la croissance au premier trimestre, ce qui pourrait faire basculer nos voisins en territoire négatif.

Sans oublier que l’Allemagne est aussi en première ligne avec le Brexit et que les incertitudes dans ce dossier vont encore perdurer tout au long de l’année.

Un modèle énergétique encore fragile

En décidant de renoncer au nucléaire mais sans avoir pris le temps de mettre en place un véritable virage énergétique, l’Allemagne est confrontée non seulement à une hausse du prix de l’électricité pour les ménages, les entreprises étant épargnées pour le moment, mais aussi à un risque de dépendance aux importations d’énergie et à un risque de variabilité dans la distribution.

Et cela au moment où la Commission européenne entend mener un plan stratégique pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 qui impactera en particulier certaines régions allemandes. Car à elle seule, l’Allemagne représente 24% des émissions de CO2 émises par l’UE des 27 vu le poids encore important du charbon dans sa production d’énergie.

Une faiblesse politique

Pour couronner le tout, le parti de la chancelière est dans la tourmente avec la démission annoncée de la présidente de la CDU, Annegret Kramp Karrenbauer. Cette démission intervient alors que la montée de l’extrême droite fait remonter à la surface de très mauvais souvenirs et que les partis traditionnels ne semblent pas prendre la pleine mesure des défis à surmonter.

Plus d’Europe pour relever la tête

Face à l’ensemble de ces déficits, l’Allemagne doit non seulement se réinventer mais ne peut pas le faire sans compter plus sur l’Europe. En avançant dans une Europe de l’énergie et avec le plan de la Commission, l’Allemagne ne sera plus seule dans la nécessaire adaptation de son modèle. Même si le coût sera élevé, ce plan est aussi l’occasion d’avancer vers un modèle de financement propre à l’Europe. C’est donc l’occasion pour l’Allemagne de se montrer plus favorable à une Union bancaire et financière.

En se positionnant comme un moteur pour faire de l’UE un véritable acteur majeur dans le changement climatique tout en développant une industrie dans les secteurs de pointe, l’Allemagne pourrait retrouver une nouvelle dynamique. Il n’est pas encore trop tard mais il est grand temps, car il est évident qu’elle ne trouvera pas son second souffle sans jouer cette carte européenne.

Carte Blanche de Bernard Keppenne, Chief Economist CBC Banque

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