Le comptable d’aujourd’hui va disparaître

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La majeure partie de ce qui constitue le chiffre d’affaires des cabinets d’experts-comptables pourrait être automatisé. Mais le digital est aussi une opportunité pour la profession.

“Il faut être d’accord lorsque l’on dit que le comptable sous sa forme actuelle va disparaître. ” La phrase vient du vice-président de l’Ordre des experts-comptables et comptables brevetés de Belgique (OECCBB). Vincent Delvaux laisse peu de doute sur le fait que la profession sait qu’elle est la prochaine sur la liste des métiers en voie de disparition. La rentrée académique de l’Ordre portait même sur ce thème précisément : les importantes mutations en perspectives.

Que les comptables se rassurent, leur formation et leur expertise rendent difficile l’accès à la profession. Mais si les taxis ont vu leurs trajets être opérés par des particuliers et que le spécialiste de la location ne possède aucun bien, il n’y a pas de raison pour que les comptables échappent à l’ubérisation de leur métier. La bonne nouvelle, c’est qu’il n’est pas trop tard pour se pencher sur la question. Les comptables tous chômeurs en 2030 ? Les professionnels du métier n’y croient pas.

Obligations

Majoritairement, le chiffre d’affaires d’un bureau spécialisé est composé à 70 % d’obligations comptables et fiscales que doivent remplir les entreprises. Il y a deux façons d’interpréter cette statistique. Un, les sociétés et indépendants auront toujours besoin d’un expert-comptable pour remplir leurs obligations. Deux, la majorité du travail effectué par les cabinets prend le risque d’être digitalisé ou absorbé par l’économie collaborative.

Une seule chose est sûre, ” c’est une opportunité de se transformer et d’offrir une valeur ajoutée. Il faut que les cabinets dépassent le stade de l’encodage “, prévient Gérard Delvaux, président de l’OECCBB. L’équation est simple : soit les comptables composent avec le digital et le collaboratif, soit ils acceptent qu’une partie de leur travail (et donc de leur chiffre d’affaires) disparaisse au profit de l’automatisation.

L’économie collaborative

“Les cabinets sont des cimetières à logiciels.”, Gauthier Roussel, spécialiste de l’innovation dans le métier d’expert-comptable.© Dann

Pour Gauthier Roussel, spécialiste de l’innovation dans le métier d’expert-comptable, ” la culture collaborative habitue les gens à avoir plus de choix en payant moins “. Pas facile donc, pour des cabinets relativement traditionnels et parfois coûteux, de se démarquer. Le “tout tout de suite et à moindre prix” ne risque pas d’aider la préservation de la profession. Mais pour le fondateur du club Espace innovation, agence de conseil et think tank pour le secteur, ces nouvelles habitudes qu’apporte l’économie collaborative n’ont pas que des aspects négatifs.

Certes, qui dit économie collaborative dit aussi crowdsourcing. Utiliser le savoir-faire de plusieurs personnes pour réaliser des tâches traditionnellement réalisées par une seule personne est une réalité à laquelle vont devoir faire face les cabinets. Un client peut tout à fait décider de laisser une partie de sa comptabilité à un logiciel pendant qu’elle demandera des conseils fiscaux à un cabinet. Plus de variété pour un client, c’est moins de chance pour un expert-comptable de le fidéliser.

Sauf que la collaboration peut aussi s’appliquer aux comptables en personne. ” L’interprofessionnalité peut être une vraie plus-value “, précise Gauthier Roussel. Autrement dit, pour éviter que le client aille chercher ailleurs, c’est au sein même du cabinet qu’il faut lui proposer les services d’un fiscaliste, d’un avocat, d’un notaire, ou même lui conseiller un logiciel de comptabilité.

Le digital

Et puis à côté de l’économie collaborative, il y a surtout la question de la digitalisation. Elle augmente la visibilité, ce qui est une bonne nouvelle pour les cabinets qui peuvent facilement faire leur promotion sur Internet pourvu qu’ils adoptent une communication claire et ciblée. Mais avec la visibilité accrue apparaissent les prix bas. Car si beaucoup d’experts-comptables refusent encore de publier une liste des tarifs, d’autres cabinets ont fait le pari d’afficher des prix bas pour la gestion de la comptabilité.

Parmi eux, il y a aussi les logiciels comptables qui promettent une gestion simple de la comptabilité, en ligne et à prix mini. C’est surtout là que réside le risque d’ubérisation du métier quand des applications ou des systèmes d’exploitation offrent un service rapide et à bas prix. ” Cela donne psychologiquement l’impression que tout est plus simple “, analyse Gauthier Roussel. Si un logiciel très didactique peut faire le métier d’un expert-comptable, alors pourquoi payer un professionnel pour faire un travail qui peut s’effectuer en quelques clics ou traiter des documents qui peuvent être transmis à un cabinet en ligne qui cassera les prix pour un même résultat ?

Opportunités

Mais si le digital et l’automatisation sont un risque pour la pérennité des activités d’un cabinet classique, ils peuvent aussi être une réelle opportunité pour ceux qui prennent en compte que la reconnaissance de la profession n’est pas immuable et qu’il faut savoir avancer avec son temps. Car l’automatisation peut aussi servir l’expert-comptable.

Dans le suivi du client par exemple. ” Il y a des cabinets qui envoient désormais le montant de TVA à déclarer pas SMS “, affirme le fondateur du think tank d’expertise comptable. Mais la digitalisation ne doit même pas aller jusque-là pour aider les cabinets à mieux suivre leurs clients. L’envoi des documents par e-mail ou même un bilan comptable simplifié et plus régulier peuvent déjà consolider la relation entre l’expert-comptable et son client. Gérard Delvaux, président de l’OECCBB, en est persuadé : ” la relation restera toujours l’élément essentiel. ”

Et puisqu’un meilleur suivi devrait être synonyme d’une meilleure satisfaction, l’ubérisation et la disparition des cabinets de conseil au profit d’outils de comptabilité automatisés ou de sous-traitants à prix cassés sont loin d’être une fatalité. Mais pour ça, l’expert-comptable va devoir passer par une case quasi obligatoire : revoir sa politique de prix. Il ne s’agit pas ici de casser les prix pour s’aligner sur les offres les moins chères, mais bien de réinventer la façon dont les prestations sont tarifées aux clients. Car si la digitalisation offre aux clients la possibilité d’automatiser une partie de ce qu’ils auraient confié à un expert-comptable, ce dernier bénéficie lui-même de la simplification de toute une partie de son métier. ” Les cabinets sont des cimetières à logiciels “, plaisante toutefois Gauthier Roussel à la vue de tous les outils qu’achètent et n’utilisent qu’en partie certains cabinets d’experts-comptables. Mais il est vrai, pour autant que le logiciel acquis soit le bon, que ce qui relève de l’encodage ou de manipulations simples prend désormais moins de temps pour un spécialiste. Le comptable doit donc accepter de repenser ses prix en termes de type de prestation et non d’heures passées sur la tâche. Au lieu de vendre la tenue d’une comptabilité, il convient de vendre un service d’accompagnement qui comprend, au passage, les obligations comptables.

La bonne nouvelle, c’est que la clarté des services et du prix restent l’élément qui joue définitivement en faveur des cabinets ” traditionnels ” et que dans les faits, le lien entre la communication et le digital n’est pas si évident. ” Les clients sont en réalité assez peu nombreux à chercher un expert-comptable sur Google “, précise l’expert de l’innovation comptable. L’essentiel n’est donc pas pour un expert-comptable d’être de plus en plus digital ou même de plus en plus expert pour se différencier des plateformes automatisées, mais ” simplement ” d’être de plus en plus présent.

Par Morgane Kubicki.

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