Groupon, histoire d’une ascension fulgurante

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En deux ans et demi, le site d’achat groupé qui propose des remises en ligne a conquis plus de 40 pays. Son fondateur, invité au G 8 de l’Internet, à Paris, pourrait introduire sa pépite en Bourse.

C’est l’histoire d’un jeune homme qui recherchait 10 milliards de dollars pour un projet fou : recouvrir la ville de Chicago d’un dôme en verre afin de protéger ses concitoyens du froid hivernal. Andrew Mason n’a pas hésité, en 2007, après un détour par l’industrie musicale, à lancer un site Internet pour parvenir à ses fins. ThePoint.org appelait aux dons pour financer son fameux dôme et autres lubies. Il n’a jamais décollé. Qu’importe. Quatre ans plus tard, le tout juste trentenaire, un passionné de piano au visage poupon, se trouve à la tête d’une société valorisée de 15 à 20 milliards de dollars.

Groupon – contraction des mots group et coupon – repose sur la même idée : fédérer les internautes. Mais il ne s’agit plus de solliciter leur générosité. Plus prosaïquement, Mason leur offre des bons de réduction. Chaque jour, des commerçants proposent des prestations à tarif réduit dans plusieurs villes. Aussitôt alertés par e-mails, les consommateurs ont vingt-quatre heures pour se regrouper et atteindre un nombre minimal d’acheteurs pour profiter d’une remise de 50 %, voire plus. Spas, restaurants, cours de pilotage, l’offre est pléthorique. Cette formule magique avait déjà été testée, sans succès, au début des années 2000 par des entreprises comme Clust en France, mais uniquement sur des produits. Le jeune Américain a préféré, lui, se tourner vers les services. Bingo ! En l’espace de deux ans, sa société a explosé. Au point qu’il a été invité par Nicolas Sarkozy au G 8 de l’Internet, les 24 et 25 mai, à Paris, où L’Express a pu le rencontrer. Clients adeptes de bons plans et commerçants soucieux d’accroître la fréquentation ont immédiatement adhéré au système. “Nous prenons une commission, mais en contrepartie nous réalisons une page Web, rédigeons une annonce sur notre site et leur faisons bénéficier de notre trafic, explique Frank Zorn, PDG de Groupon France. Ensuite, une fois les clients chez eux, les commerces peuvent proposer des services payants supplémentaires ou tenter de les fidéliser avec une carte pour les faire revenir.”

La start-up à la croissance la plus rapide de l’histoire La société Groupon, qui comptait 120 employés aux Etats-Unis en 2008, est aujourd’hui implantée dans 45 pays et 500 villes. Avec plus de 4 000 salariés à travers le monde, elle aurait enregistré près de 800 millions de dollars de chiffre d’affaires l’an dernier, se payant même le luxe de refuser une offre de rachat de 6 milliards de dollars émanant de Google.

Qualifié par le magazine Forbes de start-up à la croissance la plus rapide de l’histoire, ce Gargantua des temps modernes a avalé à la vitesse de l’éclair ses concurrents du monde entier. En guise d’apéritif, il a englouti, en mai 2010, CityDeal, présent sur les marchés anglais, français et allemand. Un mois plus tard, c’était le chilien ClanDescuento, puis Beeconomic à Singapour, uBuyiBuy à Hongkong, Atlaspost à Taïwan. Suivront, en 2011, des acquisitions en Inde, en Afrique du Sud et en Israël. Et pour que cet ogre puisse faire ripaille, il a pu compter sur les largesses d’investisseurs reconnus de la Silicon Valley.

Crise oblige, les internautes se sont précipités en masse pour décrocher les fameux coupons. Ils sont 50 millions dans le monde à être enregistrés sur le site. En sept mois, le nombre de visiteurs uniques en France est passé de 2,8 à 8,6 millions, avec une centaine de bons plans proposés chaque jour dans 35 villes. L’intendance a dû suivre. “Nous avons dû déménager à trois reprises en l’espace d’un an, souligne Barbara Weisz, directrice du marketing pour la France de Groupon. Nous sommes passés d’une poignée de salariés à plus de 300.”

La jeune entreprise compte une armada de commerciaux qui sillonnent les grandes villes de l’Hexagone pour convaincre petits commerçants ou grandes enseignes de tenter leur chance. Pourtant le jackpot n’est pas forcément au rendez-vous. Selon une étude menée par l’université Rice, à Houston (Etats-Unis), auprès de 150 marchands, près d’un tiers d’entre eux estiment que le procédé n’est pas rentable et plus de 40 % ne veulent plus en entendre parler ! Les raisons évoquées sont doubles. D’une part, l’opération est complexe à rentabiliser car il faut non seulement concéder une forte remise mais également reverser près de la moitié du prix de vente au site Groupon. D’autre part, le nombre de clients bénéficiant d’un coupon n’étant pas limité, le commerçant peut se retrouver devant un afflux qu’il ne peut maîtriser. Et, du coup, susciter plus de mécontentement que de satisfaction. Aujourd’hui, les responsables du site assurent plafonner le nombre de coupons en accord avec les partenaires. Malgré cela, des doutes subsistent.

Beaucoup de clients ne reviendront pas “Beaucoup de clients ne reviendront pas” “Ce modèle n’est pas forcément vertueux pour les commerçants, souligne Jean-David Chamboredon, président exécutif du fonds d’investissement Isai. Beaucoup de clients cherchent seulement une bonne affaire et ne reviendront pas. Qui plus est, l’empressement de la société à vouloir se coter cette année peut signifier que les dirigeants anticipent un tassement du chiffre d’affaires.”

Car Groupon fait des envieux. Et de nombreux clones veulent leur part du gâteau. Ils seraient plus de mille dans le monde, et une quarantaine rien qu’en France, sans compter l’arrivée de géants comme Facebook, eBay ou Google. Mais Andrew Mason prépare déjà sa riposte avec la distribution de coupons durant quelques heures de la journée à partir de la localisation des internautes. Groupon now ! cherche à remplir des restaurants à l’heure du déjeuner ou des salles de spectacle le soir en misant sur la proximité géographique de l’inter- naute. En attendant son arrivée dans le monde entier, le fondateur travaille à l’introduction de sa société en Bourse. Après tout, lui aussi voudrait avoir droit à sa bonne affaire.

“Aucune pression pour entrer en bourse” Google, Facebook, eBay… tous ces géants se ruent sur le filon des achats groupés. Est-ce une menace ? Il existe des milliers de clones de Groupon dans le monde entier. Mais ce qui nous différencie, c’est la qualité de ce que nous offrons aux petits commerçants. Rien qu’en France, nous disposons de près de 400 employés qui les accompagnent et travaillent avec eux. Personne d’autre n’a les ressources nécessaires pour faire cela aujourd’hui. Pas même Facebook ou Google.

Le réseau professionnel LinkedIn vient de faire une entrée fracassante en Bourse. A quand le tour de Groupon ? Je ne suis pas un spécialiste de la finance et je ne sais pas si la valorisation de LinkedIn est justifiée. Je laisse ce genre de considérations à d’autres. Cela ne change rien pour Groupon. Je ne ressens aucune pression pour une introduction en Bourse.

Vous avez refusé une offre de rachat de 6 milliards de dollars de Google. Souhaitez-vous rester indépendant à tout prix? Nous pouvons changer le monde du commerce et des services de proximité comme Amazon l’a fait pour la vente de produits. Je ne suis pas motivé par l’argent, j’en ai déjà beaucoup et cela me permet justement de me concentrer sur l’avenir de ma société.

Propos recueillis par E. Pa.


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