Gonzague Vannoorenberghe (UCL): “J’imagine mal les grands groupes contourner l’embargo sur l’Iran”

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Les Etats-Unis ont les moyens d’imposer leurs décisions, estime ce spécialiste du commerce international. Il s’inquiète cependant du risque de dérapage de l’actuelle guerre commerciale larvée.

L’Union européenne envisage un système de troc, pour permettre aux entreprises de commercer avec l’Iran, en dépit de l’embargo américain. Cette piste est-elle vraiment praticable, selon vous ?

En soi, oui. Pour chaque entreprise qui souhaite exporter vers l’Iran, il faut en trouver une autre qui souhaite importer des biens venant d’Iran pour un montant équivalent. Plus il y aura d’entreprises prêtes à participer à ce mécanisme, plus on pourra équilibrer les transactions et mieux cela pourra donc fonctionner. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’Europe aimerait que la Chine et la Russie embraient.

Maintenant, dans la pratique, j’ai quand même de sérieux doutes. J’imagine mal des grandes entreprises, qui ont des activités aux Etats-Unis, prendre le risque d’entrer en conflit avec le gouvernement américain en contournant l’embargo iranien. Une PME qui n’a pas de business américain pourrait essayer – le financement serait même plus simple à obtenir qu’aujourd’hui – mais nous ne verrons pas des VW ou Peugeot sur ce terrain. S’il y a du troc avec l’Iran, cela restera pour moi à petite échelle.

Les Etats-Unis peuvent donc imposer leurs règles au commerce mondial. Est-ce une situation normale ?

C’est effectivement un jeu étrange, auquel nous ne nous attendions pas il y a quelques années. Surtout avec un ton aussi agressif. Mais les Etats-Unis ont le poids économique pour imposer leurs décisions. Les grands groupes ne peuvent se permettre d’être privés d’accès au marché américain et aux transactions n dollars.

Les mesures protectionnistes aux USA et ailleurs ont conduit l’OMC à revoir à la baisse ses prévisions de croissance du commerce mondial. On reste toutefois à des scores corrects de +3,9 % en 2018 et + 3,7 % en 2019. Partagez-vous cet optimisme relatif ?

Ces prévisions reflètent simplement la croissance mondiale. Mais, c’est vrai, d’énormes incertitudes pèsent sur le commerce international. Parler de guerre commerciale serait excessif à ce stade mais le risque d’emballement existe. J’étais en Chine quand Donald Trump a décidé des dernières hausses tarifaires pour les importations de produits chinois. Je peux vous assurer qu’à Pékin, cela commence à faire peur car l’accès au marché américain est crucial pour eux. Mais aux Etats-Unis, on ne considérait pas cela comme très grave. L’économie tourne bien, le président américain est en position de force pour imposer ses décisions. Pour l’instant, les mesures protectionnistes n’ont pas encore d’impact réel. Mais elles sont symboliquement fortes. Si la situation dérape vraiment dans les prochains mois, alors, oui, cela deviendra inquiétant.

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