EXCLU – Dirk Van de Put (Mondelez International): “La crise profite aux grandes marques”

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Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

A la tête du géant américain de l’agroalimentaire Mondelez International, le Belge Dirk Van de Put s’attend à une année 2020 “comme les autres”, portée notamment par une tendance au “snacking” et un retour vers les grandes marques. Il entend toutefois profiter de la crise pour optimiser son portefeuille de produits, tout en assurant ne pas vouloir se lancer dans une chasse effrénée aux coûts.

L’homme est au sommet de sa carrière. A 60 ans, le Belge Dirk Van de Put dirige depuis trois ans le géant américain de l’agroalimentaire Mondelez International. Carte d’identité ? 26 milliards de dollars de chiffre d’affaires, 80.000 collaborateurs et une présence dans 150 pays avec des marques mondiales et locales comme Oreo, Milka, Philadelphia, Lu, Côte d’Or, Hollywood ou encore Stimorol, pour ne citer qu’elles.

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En pleine gestion de crise, son big boss a accepté de nous accorder un entretien exclusif. Dirk Van de Put revient pour Trends-Tendances sur les enjeux qui secouent son industrie à l’heure où l’e-commerce explose, où les habitudes de consommation changent à vitesse grand V et où la pandémie provoque volatilité et incertitude.

Trends-Tendances. Quels sont les effets de la crise sur vos ventes ?

Dirk Van de Put. Hors effet de change et à périmètre comparable, nous avons enregistré une croissance de 6% au premier trimestre, et de 0,5% d’avril à juin. Sur l’ensemble de l’exercice 2020, nos résultats devraient être ceux d’une année normale, à savoir une croissance d’au moins 3% et une hausse de notre profit comprise entre 4 et 6%.

Cela ne cache-t-il pas des disparités d’un pays à l’autre ?

Tout à fait. Avant la crise, les marchés en développement affichaient par exemple une croissance de 5 à 7%, tandis que les marchés développés étaient en croissance de 2 à 3%. Aujourd’hui, ces derniers enregistrent une croissance de 7, voire parfois 8%, alors que la croissance des marchés en développement est, elle, nulle ou même négative. Tout dépend en fait de deux facteurs : les catégories de produits vendues dans le pays, et les canaux de distribution. De manière générale, nos ventes ont augmenté dans les supermarchés, les consommateurs mangeant davantage à la maison. A contrario, nos ventes away from home ont fortement diminué. Concernant cette fois les catégories de produits, certaines, comme les chewing-gums, sont davantage achetées pour une consommation en dehors du domicile. Nos ventes en la matière ont donc chuté.

Enfermés chez eux avec leurs enfants, les gens ont commencé à ‘snacker’ beaucoup plus.

Au regard de cet équilibre entre catégories de produits et canaux de distribution, comment votre business s’est-il comporté en Europe par rapport aux Etats-Unis par exemple ?

Aux Etats-Unis, nous commercialisons des biscuits à 80%, et nous sommes surtout présents dans les supermarchés. Nous avons donc enregistré des croissances énormes. En Europe, nous sommes un peu plus dans le away from home. Par ailleurs, nous incluons dans notre chiffre d’affaires européen tout le segment world travel retail, qui fut quasi nul. Au deuxième trimestre, l’Europe est donc passée en négatif, mais la croissance est repartie depuis lors.

Quel a été l’impact du confinement sur les habitudes de consommation ?

On a tout d’abord assisté à une augmentation de la consommation à domicile. Enfermés chez eux avec leurs enfants, un peu stressés, les gens ont commencé à “snacker” beaucoup plus, essentiellement des biscuits, du chocolat, etc. Je pense toutefois que cette consommation s’estompera progressivement pour revenir à son niveau d’avant-crise. Le deuxième grand changement, c’est que la crise a profité aux grandes marques qui ont clairement bénéficié de l’augmentation de la consommation. Avant, de nouvelles petites marques au positionnement différent étaient en train de se développer. Elles ont beaucoup chuté pendant le confinement. Il y a certainement derrière ce retour vers les grandes marques des questions de proximité, de culture, de protection, etc., et je pense que ce mouvement va perdurer en partie, même si tout dépend évidemment de la marque. Oreo, par exemple, qui était déjà dans plusieurs pays la première marque food chez les milléniaux et parmi la génération Z, va clairement bénéficier de la crise. Enfin, troisième tendance : l’accélération de l’e-commerce. Nous avons doublé nos ventes en ligne pendant la crise. En 2019, nous enregistrions 3% de notre chiffre d’affaires en ligne, nous étions à 6% à la fin du deuxième trimestre.

Quels défis cela vous pose-t-il ?

Le premier défi est de savoir comment se connecter avec le consommateur faisant ses achats en ligne. Dans notre communication, nous passions déjà des médias traditionnels aux acteurs numériques (Google, Facebook, etc.). Il nous faut aujourd’hui aller plus loin et faire de la publicité directement sur les plateforme d’e-commerce pour lier nos marques au moment d’achat. Ensuite, il faut avoir la possibilité d’offrir au consommateur en ligne une gamme beaucoup plus large qu’en magasin, ainsi que des formats adaptés. Cela complexifie énormément nos chaînes de production et de distribution car nous devons nous adapter pour que chaque référence puisse être disponible au bon endroit au bon moment, et envoyée au domicile du consommateur. Amazon, aux Etats-Unis, nous demande en effet d’expédier si possible directement chez le client, sans passer par ses centres de distribution. C’est beaucoup plus compliqué et surtout beaucoup plus cher.

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La croissance du commerce en ligne pourrait-elle du coup grignoter vos marges ?

Pour le moment, les marges sur les produits que nous vendons en ligne sont les mêmes que sur ceux vendus dans les supermarchés physiques. Mais notre chiffre d’affaires en ligne ne prend en compte qu’un petit pourcentage de livraison directe au consommateur (le modèle qui prévaut est la livraison par les distributeurs depuis leurs entrepôts, Ndlr). Si ce pourcentage venait à augmenter, cela aurait clairement un effet sur nos marges. En Chine, tous nos dépôts peuvent déjà expédier les produits en direct au consommateur. Alibaba nous demande même de pouvoir le faire dans les deux heures, mais les marges restent acceptables puisque sur place, des motocyclistes peuvent livrer n’importe quel produit. Si un consommateur commande un Côte d’Or, un livreur vient directement le chercher dans notre dépôt. Cette manière de faire est très rentable car les livreurs gèrent plusieurs commandes simultanément pour différentes entreprises.

L’e-commerce n’est-il pas une menace pour certaines de vos marques achetées de manière impulsive en point de vente ?

Il y a effectivement un certain risque, et il faut l’étudier. Mais pour le moment, nos parts de marché en ligne au niveau mondial sont les mêmes, voire plus élevées, que dans la grande distribution physique. Il faut en fait recréer en ligne les achats d’impulsion. Oreo, par exemple, est une marque que nous souhaitons associer au lait. Nous devons donc faire en sorte que dès qu’un client commande du lait, un pop-up lui suggère de commander également des biscuits Oreo. Pour les chewing-gums, nous pensions que les ventes en ligne allaient baisser, mais ce n’est pas le cas jusqu’à présent. Ce qui nous préoccupe en revanche – et ce n’est pas lié à l’e-commerce mais bien à la situation actuelle -, c’est que beaucoup de nos marques, surtout les chewing-gums justement, se vendent à la caisse des supermarchés. Or, avec la séparation physique qui prévaut pour le moment, les consommateurs ne se trouvent plus aussi longtemps devant nos produits et sont moins concentrés sur ce rayon. Pour vous donner un chiffre, le marché du chewing-gum est en baisse de 25% dans monde. Il faut repenser le modèle de check-out et adapter physiquement les magasins.

Alors qu’on ne parle que de “mieux manger”, comment s’adapter en tant que multinationale spécialisée dans le “snacking” ?

Il est clair que nous devons davantage développer le côté santé dans notre portefeuille, par des changements au sein de nos marques ou des rachats. Nous venons par exemple de lancer Lu Bio. A côté de cela, notre mission est aussi d’éduquer le consommateur dans le sens d’une consommation mesurée de nos produits. Avant 2025, nous souhaitons que 20% de nos ventes concernent des portions affichant moins de 200 kilocalories.

25% : baisse enregistrée par le marché du chewing-gum dans le monde.

Vous commercialisez aujourd’hui un nombre très important de marques. La crise sera-t-elle l’occasion de simplifier votre offre ?

Nous souhaitons réduire nos références de 25%, mais cette décision avait déjà été prise avant. La crise a simplement pour conséquence que nos clients distributeurs sont beaucoup plus ouverts à ce sujet. Ils ont connu ces derniers mois des problèmes d’approvisionnement et nous ont demandé de réduire notre assortiment. C’est donc le moment idéal pour opérer une révision de notre portefeuille. Je précise qu’on parle bien d’une réduction du nombre de références, pas de marques. Nous avons lancé par le passé trop de références et certaines ne se vendent pas. En fait, les 25% que nous allons éliminer représentent seulement 2% de nos ventes. Cette réduction aura une série de bénéfices : en conservant le même espace dans les supermarchés pour les références qui affichent un fort taux de rotation, nous allons vendre plus, diminuer nos coûts, nos inventaires, et le cash-flow va donc augmenter.

Nous avons lancé par le passé trop de références et certaines ne se vendent pas.

Au premier semestre, votre résultat opérationnel a chuté de 6,5%, à 942 millions de dollars, pénalisé par les surcoûts liés au Covid-19. Votre groupe prévenait : “La volatilité et l’incertitude liées à la pandémie vont continuer”. Cela va-t-il vous amener à faire la chasse aux coûts à d’autres niveaux ?

Il est clair que cette crise a un coût important, notamment au niveau des mesures à prendre dans nos usines. Mais d’un autre côté, d’autres frais ont aussi disparu comme ceux des voyages. Nous allons en fait modifier notre structure afin de nous adapter aux coûts additionnels provenant du Covid-19. Outre la simplification des références dont nous venons de parler, nous sommes en train d’envisager une réduction de nos bureaux. Au final, au quatrième trimestre, nous devrions ainsi atteindre un équilibre en matière de coûts.

Interrogé par “Le Figaro” l’an dernier quant à la pression sur les coûts imposée par le fonds 3G dans toute l’industrie agroalimentaire, vous déclariez : “Cette recette a une fin. Il faut relativiser l’obsession du pourcentage de marge, regarder plutôt la rentabilité en valeur et miser sur la croissance des ventes. Il faut que l’état d’esprit de l’industrie change, celui des analystes aussi”. Vous diriez la même chose dans le contexte actuel ?

Encore plus qu’avant ! Je pense que l’état d’esprit de l’industrie est en train de changer. A la fin, ce qui compte, c’est le montant que l’on met dans sa poche et pas le pourcentage que l’on réalise sur les ventes. Il est clair que c’est un indicateur, mais si on commence à gérer une entreprise dans cette seule optique, je pense que l’on prend les mauvaises décisions. Je décide donc de miser sur la croissance des ventes, cela fonctionne et a ouvert l’esprit des équipes qui voient beaucoup plus de possibilités pour notre business. Fournir des résultats financiers intéressants à travers une croissance et de la créativité, c’est quand même beaucoup mieux que d’essayer de le faire en coupant les coûts.

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On dit pourtant que vous êtes l’homme des actionnaires activistes qui réclament de la rentabilité à court terme, du “cost-cutting”, des fusions, etc. Ces mêmes actionnaires qui vous auraient ” placé ” à la direction du groupe après avoir obtenu en 2017 la tête de votre prédécesseur, Irene Rosenfeld…

Ce n’est pas correct. Je n’étais pas du tout le choix des activistes car ce que je viens d’expliquer n’est pas la manière traditionnelle de voir les choses. Faire un pari sur la croissance, investir plus, etc., ce n’est pas vraiment ce qu’ils recherchent. Il est vrai qu’il y avait un activiste (Nelson Peltz, de Trian Partners, Ndlr) dans le conseil d’administration, mais je ne l’avais jamais rencontré. Lors de mon recrutement, nous avons dû passer du temps ensemble pour nous connaître. Je n’étais donc à mon avis pas vraiment son premier choix. A la fin, nous nous sommes bien compris et nous sommes aujourd’hui devenus amis. Il y a activiste et activiste. Trian fait partie de nos actionnaires depuis six-sept ans. Nous avons un très bon dialogue avec ce fonds d’investissement et je dirais même qu’il est davantage tourné vers le long terme que la plupart de nos investisseurs.

Pour conclure, on parle beaucoup de la relocalisation des activités. Cette période vous amènera-t-elle à déplacer vos lieux de production ?

Cette crise ne va pas nous amener à changer fondamentalement les choses. Nous ne sommes pas dans un modèle mondial. Nous avons surtout des usines locales qui approvisionnent quelques pays et nous n’allons pas changer ce modèle. Je pense justement que la crise a indiqué qu’une chaîne d’approvisionnement mondiale n’était peut-être pas la meilleure idée. Pour des entreprises comme la nôtre, localiser le business le plus possible est la meilleure manière de faire de la croissance. Il faut donner aux équipes locales le droit de prendre leurs décisions, de développer des marques locales, etc. C’est forcément plus complexe, ce n’est pas le modèle sur lequel notre industrie s’est appuyée par le passé. Mais je pousse de plus en plus vers cette direction.

Profil

  • 60 ans
  • Titulaire d’un doctorat en médecine vétérinaire et d’un post-graduat en commerce
  • 1994 : DG ” Southern Cone ” chez Mars
  • 1997 : président de Coca-Cola Caribbean
  • 1998 : président de la région Amérique latine chez Danone
  • 2007 : président de la région Amériques chez Danone
  • 2009 : président et CEO de la division OTC de Novartis
  • 2010 : COO de McCain Foods Limited
  • 2011 : président et CEO de McCain Foods Limited
  • 2017 : CEO de Mondelez International
  • 2018 : président et CEO de Mondelez International

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