En Saxe, la “Silicon Valley” allemande héritée de l’ex-RDA

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Dans les années 1990, après s’être installé dans l’ex-Allemagne de l’Est communiste, le géant américain des micro-processeurs AMD a envoyé quelque 200 ingénieurs au Texas pour une formation dans ses locaux.

“En moins de deux jours, ils expliquaient presque mieux le fonctionnement des puces que les spécialistes sur place !”, se rappelle Karin Raths, employée depuis 20 ans dans cette usine de Dresde, détenue aujourd’hui par l’Américain Globalfoundries. Car si la chute du Mur de Berlin a entraîné désindustrialisation et chômage de masse dans l’Est, l’expertise en électronique est demeurée l’un des atouts cachés de la région, avec jusqu’à 70.000 personnes employées chez Robotron, le fabricant de micro-processeurs de Dresde.

Même une fois les structures publiques démantelées, ces spécialistes “étaient incroyablement bien formés grâce à ces années en RDA et l’+ingénierie inverse+”, soit l’art développé par le régime communiste de copier les technologies de l’Ouest, poursuit Karin Raths.

Comme il était le plus souvent illégal, lent et coûteux de se procurer les équipements occidentaux, les chercheurs de RDA ont même développé dans les années 1980 une puce pionnière avant Siemens, leur grand concurrent à l’ouest: elle pouvait accueillir une quantité à l’époque impressionnante de 60 pages de texte… mais n’a jamais été produite en série.

– “Une base” –

“Même si l’industrie des semi-conducteurs en RDA n’était pas compétitive à l’échelle mondiale, le savoir-faire était bien présent à Dresde”, explique Robert Franke, responsable municipal des affaires économiques. “C’était une base sur laquelle on pouvait s’appuyer.”

Après la Réunification en 1990, le premier gouvernement régional de Saxe a rapidement reconnu le potentiel de ce secteur: aujourd’hui encore, les patrons louent les subventions et l’allègement de la bureaucratie décidés à l’époque. De plus en plus d’entreprises de l’Ouest, attirées par l’investissement bon marché et l’abondance d’employés bien formés, se sont alors installées aux côtés d’anciens ingénieurs de Robotron devenus entrepreneurs high-tech.

Fort de quelque 65.000 employés, le secteur a aujourd’hui une taille comparable à Robotron — mais produit bien plus de richesse: le Land affiche un PIB par personne de 31.000 euros, plus que les quatre autres Etats de l’ex-Allemagne de l’est.

Le paysage, avec ses imposants halls rectangulaires éparpillés entre les collines dans les champs, paraît surgir de l’époque où Robotron dominait les alentours de Dresde. Globalfoundries et l’ancienne branche de Siemens Infineon produisent ici composantes pour voitures et smartphones, ou des puces plus spécialisées pour passeports ou transformateurs électriques. Dans des pièces stériles, où l’accès n’est autorisé qu’à des techniciens vêtus de combinaisons blanches, des dizaines de machines appliquent couche après couche des circuits électroniques sur des plaquettes en silicium.

– Attractivité –

Les spécialistes sont “une ressource très importante pour nous, que nous nous disputons” entre les 2000 entreprises de la région, explique Thomas Morgenstern, directeur de l’usine Globalfoundries. Les géants Infineon et Globalfoundries recrutent des dizaines d’apprentis par an; et les ingénieurs sortent de la prestigieuse université technique de Dresde ou d’autres instituts de recherche de la région.

Mais la population allemande vieillit. “Les craintes” d’un manque de main-d’oeuvre qualifiée “existent clairement, et nous avons beaucoup à faire”, note Raik Brettschneider, directeur chez Infineon, responsable des opérations à Dresde.

A première vue, M. Brettschneider, avec son costume impeccable et ses courts cheveux poivre et sel, ressemble au portrait-robot des dirigeants allemands… mais sa naissance à l’Est en 1978 font de lui l’un des rares “Ossis” occupant un poste économique éminent dans le pays réunifié, aujourd’hui encore.

Originaire de Saxe, il est convaincu que la région présente des opportunités économiques, mais les gains de l’extrême droite dans les Länder de l’ancienne RDA inquiètent. “On se tire une balle dans le pied” avec ces votes, déplore-t-il. “Il faut attirer les plus brillants esprits et, aujourd’hui, on ne sait pas si quelqu’un refuse une offre d’emploi ou renonce même à postuler” par crainte du parti anti-immigration, détaille le responsable.

La ville, elle, travaille à améliorer son attractivité, souligne M. Franke. Dresde a investi massivement dans les écoles et crèches pour attirer de jeunes familles et dans le quartier branché de Neustadt, l’anglais est devenu courant.

Quand il va promouvoir Dresde, notamment en Asie, “on me demande comment on a réussi à si bien développer” la capitale saxonne, raconte-t-il. “Les Coréens me parlent souvent de la Réunification”, relève-t-il. “Un jour, le Nord devra être intégré.”

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