“Déconnecter n’est pas lié au fait d’avoir ou pas accès à ses e-mails”

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Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

Alors que Lidl a décidé de suspendre l’envoi d’ e-mails professionnels de 18 h à 7 h, instaurant ainsi le droit à la déconnexion, Catherine Hellemans, professeur de pyschologie du travail à l’ULB, estime qu’il faut laisser une marge de manoeuvre aux travailleurs.

Qu’en est-il du droit à la déconnexion chez nous ?

La loi du 26 mars 2018 relative au renforcement de la croissance économique et de la cohésion sociale prévoit que l’employeur organise à intervalles réguliers au sein du comité pour la prévention et la protection au travail une concertation au sujet de la déconnexion du travail. Rien, donc, de véritablement prescriptif. Ce qui n’est pas une mauvaise chose. Au niveau des recherches, on se rend compte qu’en fonction du secteur d’activité, du type de métier, du niveau de responsabilité, etc., les travailleurs peuvent se positionner très différemment par rapport à cette déconnexion. Pour certains, c’est plutôt un bien car ils peuvent se reposer et décompresser. Mais pour d’autres, ce n’est pas forcément une aide. Un certain nombre de personnes profitent en effet d’un temps de repos à la maison pour régler des problèmes ou anticiper une charge de travail du lendemain.

Un black-out technologique n’est donc pas forcément la bonne solution ?

En tant que psychologue du travail, je préférerais laisser plus de marge aux travailleurs. Le fait de ne plus avoir accès à ses e-mails après une certaine heure peut se révéler plus contraignant qu’autre chose dans certains métiers. Il pourrait donc y avoir détournement en utilisant des adresses personnelles, WhatsApp, Facebook, etc. Et recevoir un message de la part de son chef de service via les réseaux sociaux est, d’après moi, une plus grande intrusion dans la vie privée. Enfin, la question du détachement psychologique du travail n’est pas, en tant que telle, une question de disponibilité ou pas de sa boîte e-mail professionnelle. On peut très bien ressasser, ruminer le travail lorsque l’on n’a pas accès à son courrier, tout comme on peut parvenir à faire la coupure entre le travail et la maison alors qu’on a toujours accès à sa boîte e-mail, voire même quand on lit ses messages.

Quelles solutions préconisez-vous alors ?

Je me dis que, tant qu’à proposer un black-out, il serait plus judicieux de l’instaurer sur une période plus courte, permettant aux travailleurs de conserver une certaine marge de manoeuvre pour gérer des problèmes urgents. Un deuxième élément dont on parle beaucoup, ce sont les notifications que l’expéditeur d’un message ( un chef de service, par exemple, Ndlr) pourrait recevoir, lui demandant s’il est certain que son courriel doit être envoyé à une telle heure. L’idéal – mais je suis bien consciente que c’est quelque chose qui est difficile à mettre en place – serait que les choses soient discutées département par département. Ou qu’en fonction d’un certain niveau de responsabilité, le travailleur ait un code qui permette de débloquer le black-out. De manière générale, les travailleurs doivent pouvoir décider si cela les arrange ou pas d’anticiper, de travailler un petit peu le soir pour se déstresser et mieux dormir. Un black-out complet pourrait, au contraire, les amener à ruminer, sachant qu’ils ne pourront pas régler une situation avant le lendemain matin.

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