Comment SMart a créé une nouvelle catégorie de travailleurs
L’entreprise à finalité sociale répond à la demande croissante pour une main-d’oeuvre flexible rémunérée à la prestation. Smart veut développer une “troisième voie” sur le marché du travail, entre salariat et entrepreneuriat.
Chaque mois, Smart accueille 450 nouveaux membres. “Ça s’accélère, sans qu’on fasse de publicité”, précise son patron Sandrino Graceffa. L’entreprise à finalité sociale surfe sur les mutations profondes en cours sur le marché du travail. Qu’il s’agisse d’un choix ou d’une contrainte, de plus en plus de travailleurs multiplient les boulots rémunérés à la prestation. Smart leur permet de répondre à ces contrats intermittents tout en conservant une protection sociale. Chaque mission rémunérée par un employeur via Smart fait l’objet d’un contrat de travail salarié temporaire ouvrant le droit à la sécurité sociale. Smart joue le rôle d’intermédiaire entre le donneur d’ordre et le prestataire, et s’occupe des prélèvements de cotisation sociale et de la gestion administrative vis-à-vis des employeurs et de l’administration. Pour se rémunérer, la structure, qui ne poursuit pas de but lucratif, prélève 6,5 % des montants facturés hors TVA.
“Notre service correspond à une réalité sur le marché du travail. Nous comblons un vide”, explique Sandrino Graceffa, administrateur délégué de Smart. Les travailleurs rémunérés à la tâche le font souvent sous statut indépendant… voire sans statut du tout. D’après le patron de Smart, le modèle mis en place par son entreprise en 1998 a permis de faire sortir un grand nombre de prestations des circuits de l’économie souterraine. “Nous avons contribué à la régularisation d’énormément de rémunérations. Cela se chiffre en milliards d’euros depuis la création de Smart. Et cela a permis de faire rentrer des cotisations sociales dans les caisses de l’Etat belge”, assure Sandrino Graceffa.
Ce patron originaire du nord de la France est actif depuis plusieurs années dans l’économie sociale. Précédemment à la tête de Smart France, il prend en 2014 la direction de la maison mère, basée à Bruxelles. Celle-ci a réalisé un chiffre d’affaires de 120 millions d’euros en 2014 et compte 60.000 membres, dont 25.000 membres actifs. Smart est occupée à se restructurer. Actuellement organisée sous la forme d’une fondation, elle passera sous le régime de la coopérative. Les membres, les donneurs d’ordre et les fournisseurs de Smart seront invités à prendre des parts dans la coopérative. Cela permettra au groupe de dégager des fonds qui lui permettront d’investir dans de nouveaux services et dans son internationalisation.
La Société mutuelle pour artistes (Smart) se destine principalement aux métiers artistiques, culturels et créatifs au sens large. Mais petit à petit, son champ d’action s’est élargi. Il est désormais moins lié au métier exercé qu’au mode de travail. “Nous nous adressons à toute personne qui est en recherche d’autonomie, qui exerce une pluri-activité, qui travaille avec plusieurs donneurs d’ordre, détaille Sandrino Graceffa. Cela a ouvert Smart à de nouveaux métiers, notamment dans l’environnement ou l’économie digitale.”
La fin du salariat
L’éclatement du monde du travail favorise l’émergence de nouveaux types de travailleurs. Des contractants, des free-lances, qui travaillent au forfait, au contrat, à la pige ou qui gèrent leur agenda et leurs activités professionnelles à la carte. L’économie digitale joue un rôle particulièrement important dans cette transformation et dans l’apparition de cette nouvelle classe de travailleurs. La salariat lui-même semble en perte de vitesse (lire “La fin du salariat”, Trends-Tendances du 14 mai 2015). Des plateformes comme Uber ou Airbnb sont en passe de devenir des leaders dans leurs secteurs respectifs, en employant un nombre minimum de salariés. Ce nouveau mode d’organisation du travail fait craindre un certain effritement de la protection sociale en raison du mode de fonctionnement de ces plateformes, qui travaillent quasi exclusivement avec des free-lances.
Le modèle Smart, qui crée en quelque sorte une nouvelle catégorie de travailleurs salariés rémunérés à la prestation, répond partiellement à ces inquiétudes, en s’immisçant dans cette économie héritée de la digitalisation. Pour l’instant, Smart n’accepte pas de chauffeur Uber dans ses membres. En cause : les incertitudes concernant la régularité de cette application numérique qui déstabilise le secteur réglementé des taxis. Par contre, Smart compte parmi ses membres des livreurs de Take Eat Easy, cette application belge de livraison de repas à domicile. L’entreprise à finalité sociale permet à ces livreurs à vélo d’exercer leur activité, souvent à titre complémentaire, tout en bénéficiant d’une protection sociale et d’une assurance accidents du travail. L’explosion annoncée de ces plateformes en ligne qui bougent les codes dans le monde du travail pourrait contribuer à l’essor du modèle Smart.
“La planète salariale est en train d’exploser. Il faut trouver un nouveau modèle de contrat social, situé à mi-chemin entre salariat et entrepreneuriat. Il faut permettre aux travailleurs en quête d’autonomie de travailler en toute liberté, tout en leur garantissant une protection sociale”, avance Sandrino Graceffa. Son idée est de mettre sur pied au niveau européen un contrat social universel, sorte de statut unique ouvrant les mêmes droits à tous les types de travailleurs. “Aujourd’hui, il y a trop d’inégalités entre un agriculteur, un artisan, un commerçant, un salarié, un fonctionnaire, un intérimaire… Tout cela n’a plus de sens dans une société où les carrières ne sont plus linéaires, où on passe d’une catégorie à une autre, où les travailleurs sont beaucoup plus mobiles.”
Risque de confrontation sociale
Selon Sandrino Graceffa, le cadre actuel n’est plus du tout en phase avec la réalité du monde du travail. Toute la structure sociale de nos pays s’est construite dans l’après-guerre au moment de l’essor de l’industrie européenne, qui a créé des grands groupes fonctionnant grâce à une abondante main-d’oeuvre salariée. La désindustrialisation et la numérisation de l’économie bouleversent ce modèle et éclatent le marché du travail. Avec un risque réel de confrontation sociale. “Certaines catégories de travailleurs ne vont plus supporter que d’autres manifestent pour le maintien de droits dont eux-mêmes ne pourront jamais rêver”, avance le patron de Smart.
“Face à ces défis, poursuit-il, deux attitudes existent. Soit on fait comme si ces évolutions n’existaient pas. Soit on estime que c’est une excellente occasion de balayer tout notre système et de détricoter les acquis sociaux. De notre côté, nous défendons une troisième voie, qui n’insulte pas le marché — nous ne sommes pas contre le système capitaliste en tant que tel, mais qui ne réduit pas non plus le pouvoir d’intervention de l’Etat. L’entrepreneuriat social développe l’autonomie de l’individu, en le reconnaissant non pas comme un subordonné, mais comme quelqu’un de responsable de son travail. Cela correspond parfaitement à l’évolution de notre économie.”
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