Blokker: stop ou encore? Conseil d’entreprise ce mardi

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Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

Un conseil d’entreprise doit se tenir ce matin, programmé après le CA de la semaine dernière et au cours duquel sera présent le CEO du groupe. Les syndicats redoutent de nouvelles fermetures, voire un retrait pur et simple de Wallonie… ou de Belgique.

Le personnel de la chaîne de ” bazar ” Blokker retient son souffle. Trois ans seulement après l’annonce d’une première restructuration qui avait conduit à la fermeture de 63 magasins et à la suppression de plus de 230 emplois dans notre pays, la situation est loin de s’être améliorée. Fin de l’année dernière, le nouveau propriétaire de l’enseigne batave, le Néerlandais Michiel Witteveen, annonçait d’ailleurs que l’avenir des magasins belges serait évalué ce mois-ci. ” La Belgique est un problème “, déclarait-il dans une interview accordée au quotidien De Telegraaf. C’est que les résultats des points de vente belges du groupe sont catastrophiques. Lors de l’exercice 2017-2018, leur chiffre d’affaires, en baisse constante depuis 10 ans, chutait encore de plus de 30 %, à 60 millions d’euros. La branche belge enregistrait en outre une perte opérationnelle de 4,6 millions d’euros.

” Sur les 128 magasins restants en Belgique, la direction nous a expliqué que seuls six étaient rentables “, affirme Anne-Marie Diercks, permanente CNE. Le conseil d’entreprise mensuel tombe ce jeudi 30 janvier, après le bouclage des inventaires de tous les magasins, et beaucoup redoutent que de nouvelles fermetures soient annoncées. Contacté par nos soins, le CEO de Blokker Belgique, Geert Kampschöer, se refuse à tout commentaire. Tant sur l’avenir de l’enseigne en Belgique que sur les changements stratégiques opérés depuis la restructuration. ” Il est trop tôt pour s’exprimer “, se contente-il de répondre.

“Une stratégie complètement floue”

Le conseil d’entreprise de ce 18 février pourrait être l’occasion de clarifier la stratégie du groupe et d’annoncer un vaste plan d’investissement. Mais côté syndical, on ne se fait aucune illusion. ” Nous n’avons rien vu venir jusqu’à présent, déplore Anne-Marie Diercks. Depuis le rachat de la chaîne en 2019, à peine cinq magasins ont été rénovés complètement, et ce principalement en Flandre. D’autres points de vente ont été quelque peu modifiés, mais nous n’avons aucunement l’impression qu’il existe un véritable plan d’action cohérent derrière. La stratégie du groupe est complètement floue. Les travailleurs, du coup, sont résignés. Ils se rendent bien compte que rien n’est mis en place. ”

Signal d’alarme supplémentaire : cette réunion de novembre dernier au cours de laquelle les organisations syndicales ont tenté de convaincre la direction de maintenir les conditions de départ du personnel qui avaient été négociées lors de la restructuration de 2017, afin que celles-ci puissent être appliquées aux employés qui seraient victimes d’un licenciement collectif au cours du second semestre de l’année. L’accord social de 2017 prévoit en effet que l’enseigne est protégée de toute procédure Renault jusqu’en juin 2020. Elle ne pourra donc pas, ces six premiers mois, procéder à un licenciement collectif. ” Mais le fait que la direction convie les permanents et délégués syndicaux pour discuter de la prolongation du plan social, avec des conditions qu’elle tente de revoir à la baisse, ne fait que renforcer les craintes, souligne Anne-Marie Diercks. Par ailleurs, même s’il ne peut pas y avoir de plan de licenciement collectif ces six premiers mois, des fermetures isolées sont tout à fait possibles. Depuis la restructuration, d’autres magasins ont d’ailleurs fermé leurs portes sans bruit. C’est notamment le cas du Blokker de Verviers. ”

Pour Blokker, aujourd’hui, il n’y a pas 36 solutions : soit un vaste plan d’investissement et la refonte complète du concept, soit un retrait de Wallonie, voire de Belgique.

Dépassé par les événements

Si Blokker est aujourd’hui dans cette situation plus que délicate, c’est parce que le groupe s’est laissé complètement dépasser par les événements. Il a tardé à se lancer dans l’e-commerce et n’a pas vu venir la concurrence d’une chaîne comme Action qui écrase tout sur son passage avec ses prix rikiki. ” Les catégories de produits vendus chez Blokker sont très perméables à l’e-commerce, relève Gino Van Ossel, professeur de retail marketing à la Vlerick Business School. A l’origine, la chaîne était focalisée sur les produits ménagers : poubelles, planches à repasser, etc. Ce sont des achats très fonctionnels pour lesquels les consommateurs veulent gagner du temps et ne sont pas prêts à payer beaucoup. Ils les commandent désormais en ligne. L’enseigne a du coup décidé de se tourner davantage vers les articles décoratifs, mais Blokker n’a pas la crédibilité d’un magasin de décoration. La concurrence est intense sur ce segment avec des enseignes comme Ikea, notamment. Par ailleurs, ce mouvement vers les articles décoratifs lui a fait perdre la clientèle qui cherchait encore des produits ménagers. L’enseigne a alors réintroduit des produits plus fonctionnels et tente aujourd’hui de trouver un équilibre mais cela se révèle très compliqué. Blokker est aujourd’hui dans une spirale négative et a du mal à en sortir. ”

L’enseigne, d’après notre expert, ne s’est en outre pas montrée suffisamment à l’écoute des consommateurs. ” Elle fonctionne toujours selon un modèle push, dit-il. A savoir : j’achète en masse en Asie en fonction des opportunités et j’espère que cela plaira au consommateur. Cette manière de faire ne fonctionne plus, il faut à tout prix écouter les tendances du marché. On pourrait certes dire qu’Action suit le même modèle, mais non seulement la chaîne peut proposer des prix très bas grâce à sa force d’achat, mais elle surprend les clients avec des articles qui changent tout le temps. Blokker, pour sa part, n’a pas l’image d’une enseigne que l’on fréquente pour son plaisir. ”

Un projet pilote à Louvain

Pour survivre, Blokker devrait donc entièrement se repositionner. Car pour l’instant, les changements apportés par la marque ne portent pas leurs fruits. Des projets pilotes ont bien été initiés dans certains points de vente mais ils n’ont pas encore été étendus car leur impact sur le chiffre d’affaires de l’enseigne est insuffisant. Dernier projet en date, à Louvain : un magasin urbain compact (180 m2) axé sur les catégories cuisine, arts de la table, maison et décoration. Les articles ménagers et électro ne disparaissent pas, mais passent au second plan.

L’assortiment est en outre davantage adapté aux consommateurs locaux, la branche belge achetant désormais elle-même une partie de la gamme. Le problème, c’est que l’évaluation de ce nouveau magasin devait avoir lieu en octobre. ” Or, nous n’avons encore rien vu, lance Anne-Marie Diercks. Au départ, en constatant que les travaux se faisaient uniquement dans des magasins situés en Flandre, je me disais que Blokker allait se replier sur la partie nord du pays. Mais maintenant que je vois que ces changements restent cantonnés à quelques points de vente et que le chiffre d’affaires de ces derniers, s’il augmente, se stabilise très rapidement, je me dis que c’est l’avenir de Blokker Belgique qui est clairement menacé. ”

On comprend mieux tout l’enjeudu du conseil d’entreprise de ce 18 février. Pour Blokker, aujourd’hui, il n’y a pas 36 solutions : soit la direction annonce un vaste plan d’investissement et la refonte complète du concept, soit elle pourrait bien annoncer un retrait de Wallonie, voire – dans le pire des cas – de Belgique. ” Cela sera très compliqué, estime pour sa part Gino Van Ossel. On voit bien que le groupe n’a pas suffisamment de moyens pour relifter tous les magasins qui ne sont pas rentables, ce qui me fait dire qu’il va devoir à nouveau fermer des points de vente et donc perdre encore en échelle. ” Un véritable cercle vicieux. En-deçà d’un certain nombre de points de vente, il deviendra en effet compliqué pour Blokker de maintenir une organisation belge et un volume suffisamment important pour intéresser les marques tout en bénéficiant de bonnes conditions d’achat.

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