Amazon modifie ses pratiques fiscales en Europe

Jeff Bezos, CEO d'Amazon. © Reuters

Le géant américain de la distribution Amazon a annoncé mardi qu’il déclarait désormais ses revenus dans quatre grands pays européens et qu’il allait le faire en France, une décision qui pourrait signer la fin d’une pratique d’optimisation fiscale dans le collimateur de la Commission européenne.

Le groupe de Seattle affirme comptabiliser depuis le 1er mai ses ventes à partir de branches nationales au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne et en Italie, et non plus à partir du Luxembourg, comme il le faisait jusqu’ici. Le groupe précise travailler à l’ouverture d’une telle filiale en France.

“Nous examinons régulièrement nos structures afin de nous assurer que nous pouvons servir nos clients aussi bien que possible et proposer des produits et services supplémentaires”, a assuré l’entreprise dans une déclaration à l’AFP, ajoutant que l’établissement de ces filiales locales en Europe a commencé “il y a plus de deux ans.”

Déclarer ses revenus pays par pays implique de payer des impôts dans ces pays, chose que ne faisait pas Amazon auparavant.

Jusqu’ici, le groupe relocalisait ses bénéfices européens vers son siège au Luxembourg, pays à la fiscalité avantageuse, ce qui lui permettait d’alléger considérablement sa facture fiscale. Ces pratiques d’optimisation sont légales, mais de plus en plus contestées au niveau européen, en particulier depuis que les Etats sont confrontés à des situations budgétaires dégradées du fait de la crise.

Amazon fait en effet partie des grandes entreprises qui sont dans le collimateur de Bruxelles pour des montages fiscaux au Luxembourg et ailleurs: à l’instar d’Apple en Irlande, Starbucks aux Pays-Bas et Fiat au Luxembourg, la Commission européenne a lancé une enquête sur les pratiques du groupe américain avant l’explosion du scandale Luxleaks.

“Ces changements à venir n’ont pas d’impact sur l’enquête en cours au sujet d’un possible avantage potentiellement octroyé à Amazon dans le passé à travers le rescrit fiscal”, a réagi mardi le porte-parole de la Commission chargé des dossiers de concurrence, Ricardo Cardoso.

Dans ce dossier, la Commission “estime, à titre préliminaire”, que le rescrit fiscal – “tax ruling”, ou décision anticipée – dont bénéficie Amazon “constitue une aide d’Etat”. Elle “a également des doutes, à ce stade, quant à la compatibilité de cette décision avec le marché intérieur” européen.

Le Luxleaks a mis au jour des centaines de ces rescrits, qui permettent aux entreprises de demander à l’avance à un pays quelle sera sa situation fiscale, une pratique qui aboutit parfois à offrir une “fiscalité à la carte” à certaines multinationales, selon ces révélations.

En mars, le gouvernement britannique a par ailleurs confirmé la mise en place d’une “Google tax”, du nom du groupe américain régulièrement critiqué pour ses pratiques d’optimisation fiscale, qui doit imposer à hauteur de 25% les bénéfices que les multinationales “font sortir artificiellement du pays”.

L’annonce d’Amazon “est un aveu incroyable”, a réagi l’économiste Thomas Piketty sur la radio française France Inter, estimant qu’il fallait “réclamer la note sur les années passées” et mettre en place un “impôt commun sur les sociétés” en Europe.

Plus globalement, les pressions se multiplient au niveau mondial contre les pratiques d’évitement fiscal, le G20 et l’Organisation de Coopération et de Développement économique (OCDE) ayant lancé depuis plusieurs mois une offensive internationale. “La décision d’Amazon montre qu’au plan politique, il faut soutenir l’adoption sous l’égide du G20 d’un plan fort contre l’optimisation fiscale. Il n’est pas possible d’échouer”, a réagi le directeur de la fiscalité à l’OCDE, Pascal Saint-Amans, faisant valoir que les entreprises, si elles prennent des engagements de transparence, continuent à mener “un lobbying extrêmement dur”, relayé par certains gouvernements.

“Nous allons examiner cela, mais c’est toujours mieux quand les entreprises payent leurs impôts à l’endroit où elles génèrent leurs profits, c’est un principe cardinal”, a déclaré depuis Dublin le commissaire aux affaires économiques, Pierre Moscovici.

Amazon, qui est passé dans le rouge au premier trimestre avec une perte de 57 millions de dollars, comptait en janvier 32.000 salariés permanents en Europe. Le groupe commercialise 100 millions de produits à travers 28 centres de distribution sur le continent.

Partner Content