Adieu paleron, adieu saucisson: les bouchers français dans le viseur de militants radicaux

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“Boucher assassin!”, “La viande est un meurtre!”: radicaux dans leurs paroles et parfois violents dans leur actes, certains militants de la cause animale s’en prennent depuis quelques mois en France à des boucheries, à l’indignation de la filière viande qui en appelle à l’État pour contrer cette “terreur”.

Les nuits sont d’ordinaire calmes à Saint-Arnoult-en-Yvelines, à 50 km au sud-ouest de Paris. Alors, quand Elisabeth Curé, qui habite au-dessus de son magasin, a entendu l’impact de pavés projetés contre la vitrine de sa boucherie à 03H00 (01H00 GMT) la semaine dernière, “c’est sûr”, elle a “été surprise”.

Les inconnus ont aussi tagué “stop répression”, “c’est comme ça que j’ai su que c’était des vegan radicaux”, affirme Mme Curé.

Sa mésaventure est le dernier avatar de la vague de dégradation et destruction de vitrines qui vise les boucheries, charcuteries, fromageries et poissonneries dans toute la France.

Outre les destructions de vitrines, les détériorations sont allées du faux sang versé sur la façade des magasins à la pose d’autocollants condamnant le “spécisme” et la “répression”.

Pour ses opposants, le spécisme est une idéologie qui postule une hiérarchie entre les espèces, entre l’être humain et les animaux. La philosophie antispéciste, proscrivant tout produit issu des animaux, ce qui implique une alimentation végétalienne, connaît une fortune aussi fulgurante que récente en France.

Adieu paleron, adieu saucisson: les bouchers français dans le viseur de militants radicaux
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“Depuis le début de l’année, on en est à 17 vitrines de boucheries détruites et des dizaines de dégradations”, résume Jean-François Guihard, président de la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs (CFBCT, représentant 18.000 points de vente).

“L’État doit prendre les mesures nécessaires”, juge-t-il en demandant à rencontrer les ministres de l’Intérieur, Gérard Collomb, et de la Justice, Nicole Belloubet, pour endiguer cette “forme de terreur”.

Au début du mois, M. Collomb, qui les a déjà reçus cet été, a assuré aux bouchers-charcutiers qu’ils pouvaient “compter sur (lui)”.

Mi-septembre six personnes ont été interpellées dans le cadre d’une enquête sur la vandalisation de neuf commerces, dont des boucheries et poissonneries, dans la métropole lilloise (Nord).

“La vache qui crie”

Aucun groupe n’a revendiqué ces actions mais bouchers et autorités pointent du doigt une frange minoritaire et violente de l’antispécisme militant.

Parmi les mouvements et associations ayant fait parler d’eux, L214, 269 Life France et Boucherie Abolition ont entrepris les actions les plus spectaculaires.

L214 s’est fait connaître en diffusant des images choc tournées en cachette dans des élevages ou des abattoirs.

Créée il y a deux ans, Boucherie Abolition se bat “pour l’abolition du génocide appelé boucherie”, explique sa porte-parole Solveig Halloin. “Éleveur ne devrait pas être un métier. La routine de l’élevage c’est la violence et la persécution. La vache ne rit pas, elle crie”, dit-elle.

Si elle ne revendique aucune dégradation de boucherie, Solveig Halloin ne les condamne pas, car “les extrémistes de la brutalité, ce sont les bouchers”.

Samedi dernier, Boucherie Abolition a organisé avec 269 Life France des happenings devant plusieurs dizaines de boucheries en France. A Paris, Vincent Aubry et une autre militante de Boucherie Abolition portaient un petit cochon mort qu’ils ont exhibé devant des boucheries pour dénoncer ces commerces qui “vendent du meurtre”.

Vincent Aubry ne condamne pas non plus les destructions de vitrines, mais il se dit “prêt à aller en prison s’il le faut”. “Notre seule limite, c’est la violence contre les êtres humains”, assure-t-il.

“Aucune conciliation possible”

Si en France l’émergence de ces mouvements date d’il y a quelques années seulement, les actions directes antispécistes “ne sont pas récentes” ailleurs en Occident, rappelle Marianne Celka, enseignante-chercheuse à l’université Paul-Valéry de Montpellier.

Dès 1975, l’Australien Peter Singer sort “La libération animale”, le livre fondateur des mouvements modernes de défense des droits des animaux. Dans l’Angleterre des années 60, le Front de libération des animaux sabote des chasses à courre, puis, avec le temps certaines cellules s’attaquent aux boucheries.

En France, le véganisme a fini par gagner du terrain, au point que certaines grandes surfaces proposent des produits “100% vegan”… parfois à côté de leur rayon boucherie, poursuit Marianne Celka.

Adieu paleron, adieu saucisson: les bouchers français dans le viseur de militants radicaux
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Les actions violentes seraient soit le fait “d’anciens activistes échaudés par la manière que le système a eu d’absorber la critique (…), soit dues à d’autres activistes qui sont arrivés là par le biais du véganisme et qui, en creusant, en sont venus à la critique antispéciste”.

L’universitaire ne voit “aucune conciliation possible” entre antispécistes et bouchers.

Et pour cause: Solveig Halloin de Boucherie Abolition qualifie les bouchers de “vandales” et de “tortionnaires”. De l’autre côté, Jean-François Guihard, qui les représente et les défend, dit “craindre le pire”.

“Ca n’est pas notre souhait, mais certains bouchers pourraient répondre à la violence par la violence”, prévient-il.

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