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“La lutte trop molle contre l’argent sale”

Les banques sont confrontées à des multiples problèmes. Il y a les mauvais crédits, la concurrence des fintechs, les produits toxiques, les fonds propres trop faibles, les taux d’intérêt trop bas, etc. Toutefois, un autre risque plus discret mais tout aussi important pèse sur elles ces dernières années. Celui d’être submergées par des vagues d’argent sale.

Interrogé par le Financial Times voici quelques jours, José Manuel Campa, le nouveau patron de l’European Banking Authority (EBA), le régulateur bancaire européen, ne le nie pas : ” Il y a eu des scandales liés au blanchiment, oui. Et de taille particulièrement importante dans certains cas. Je ne dis pas que nous avons un bon système “.

En effet, les scandales se multiplient depuis deux ans. Et, parfois, les lessiveuses ont pu prendre des tailles industrielles. L’affaire la plus importante est celle de la branche estonienne de Den Danske Bank, par laquelle ont transité pas moins de 200 milliards d’euros de transactions plus que suspectes. Dont une grande partie, selon les enquêteurs, sont d’origine criminelle. Plusieurs éléments étonnent dans cette histoire. Le montant, bien sûr. Mais aussi le fait que ces transactions se sont étalées de 2007 à 2015 avant de susciter une réaction. Et encore, elle n’est pas venue des autorités. Il a fallu qu’un lanceur d’alerte sonne l’alarme auprès de la banque danoise en 2013 pour que celle-ci réalise un audit interne en 2014, aboutissant à la fermeture des activités pour non- résidents de sa branche estonienne.

Face à ce laxisme, un rapport d’experts, demandé par le Parlement européen et la Commission, a atterri sur la table de l’EBA. Il est très sévère, estimant que le droit européen a été bafoué en plusieurs occasions et demande que l’on lance une procédure d’infraction contre les autorités estoniennes et danoises. Mais à la stupéfaction générale et à la grande colère de la Commission, cette demande a été rejetée voici deux mois par le conseil de l’EBA, composé de représentants nationaux.

Pourtant, les avertissements face au danger d’être submergé par des vagues d’argent sale ne manquent pas. Chercheurs, organismes internationaux comme l’OCDE ou Europol accumulent les mises en garde. Pedro Felicio, qui est responsable de la lutte contre le blanchiment chez Europol, l’agence européenne des polices criminelles, estime que ” des milliards d’argent criminel sortent de l’économie russe ” et menacent d’atterrir dans les banques des pays baltes. Et il ajoute que la lutte est rendue particulièrement difficile par l’absence totale de coopération des autorités russes.

Face à la menace, il y a certes des réactions. Des pays sensibles, comme les pays baltes ou l’Albanie, mettent sur pied une véritable législation anti-blanchiment. Chez nous, on a vu la Banque nationale, notre gendarme bancaire, s’intéresser de près au problème d’une institution en particulier, à qui elle a demandé de renforcer une gouvernance défaillante.

Mais les autorités apparaissent encore trop désarmées par manque de volonté politique. L’EBA n’est pas un gendarme, mais seulement une autorité de régulation, qui a pour principale compétence d’harmoniser les législations bancaires nationales au sein de l’Union européenne. Elle a certes reçu de nouvelles charges afin de coordonner la lutte contre le blanchiment. Mais pour ce faire, elle ne dispose que de 10 personnes supplémentaires. La faille la plus grande, toutefois, est législative. Il manque un règlement unique et univoque contre le blanchiment en Europe, qui permettrait de disposer dès lors d’un vrai gendarme européen spécialement dévolu à combattre l’argent noir. ” Nous avons besoin d’une législation homogène, que nous n’avons pas “, se plaint José Manuel Campa qui regrette que la fierté nationale l’emporte sur le désir de coopération.

Et à ceux qui pensent que cette lutte n’est qu’accessoire, on rappellera qu’un centre de recherche britannique estime que le blanchiment coûte environ 300 euros par an à chaque citoyen.

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