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Et si les taux bas étaient mis à profit pour le climat

Le niveau anormalement bas des taux et le fait d’avoir des taux négatifs pour des longues périodes a inéluctablement un effet négatif pour les épargnants, les compagnies d’assurance et les banques. Mais s’ils étaient en réalité une opportunité pour le climat ? Une opportunité pour notre compétitivité ? Et si finalement on repensait notre modèle économique ?

Ces taux négatifs pourraient bel et bien être perçus comme une aubaine pour l’UE en mal de croissance et de dynamisme. A la condition toutefois d’accepter de desserrer le carcan des règles budgétaires alors même qu’elle se doit de relever ces deux grands défis que sont le climat et notre compétitivité qui nécessitent des moyens importants.

Les deux défis

Le premier défi est bien évidemment le défi climatique qui nécessite des capitaux importants pour soutenir les programmes de recherche et développement. Mais aussi pour soutenir les programmes d’investissement pour mettre en place la transition énergétique, développer de nouvelles filières de recyclage, accompagner l’agriculture dans sa reconversion, mettre en place des programmes d’isolation des bâtiments, investir dans les transports alternatifs à la route, et la liste est longue. Il s’agit d’investissements colossaux et sur du long terme mais qui entraineront un effet positif sur le moyen terme pour l’économie, sans parler évidemment de l’effet sur le climat.

Le deuxième défi, qui ne peut certainement pas s’opposer au premier, est de doter l’UE des moyens de contrer les grands acteurs américains ou chinois dans les nouvelles technologies. Nous devons absolument combler notre retard dans l’IA, dans le digital, dans les batteries électriques, les robots industriels, … Cela nécessite aussi des investissements considérables pour développer de nouvelles filières industrielles et aussi faire évoluer l’enseignement et la formation pour créer de nouveaux métiers.

Les moyens

D’un côté donc, des besoins importants et des réformes structurelles indispensables, et de l’autre un carcan budgétaire qui tétanise ou encourage l’inertie.

Il faudrait donc faire de ces taux d’intérêt négatifs une opportunité et faire sauter le plafond de verre de 60% du PIB qui régit la dette et assouplir le délai de réajustement. Mais bien évidemment pas à n’importe quel prix et pas dans n’importe quelles conditions.

Et à l’heure où la nouvelle présidente de l’UE a évoqué sa volonté de soutenir des investissements européens durables en parlant d’une “banque du climat”, il faut aller encore plus loin.

La Commission devrait donc autoriser les Etats, tous les Etats, à pouvoir emprunter à taux négatifs, cela signifiant qu’à terme ils devront rembourser moins que ce qu’ils auront emprunté. Pour des périodes longues, vu justement le niveau des taux, pour soutenir des investissements qui répondraient uniquement aux deux grands défis évoqués ci-dessus.

Les Etats devront fournir à la Commission les détails de tous les projets et programmes qui seront financés par ces nouveaux emprunts, et ne seront pris en considération que les montants qui remplissent ces défis. Dans le cas contraire, la Commission imputera les montants litigieux à la dette normale de l’Etat et actionnera si nécessaire les mécanismes de contrôle et de sanction en cas de dépassement.

Pour les montants empruntés qui rentreront dans les conditions, ils ne seront pas intégrés pour une durée de 10 ans dans la dette globale des Etats. Ce qui signifie que la règle de 60% du PIB ne s’appliquera que sur la partie de la dette actuelle, et après 10 ans la dette sera relevée du dit montant des emprunts. En fonction du taux d’endettement de chaque Etat, cette enveloppe sera différente, ceux ayant un taux inférieur à 60% pouvant proportionnellement emprunter plus.

Mobiliser l’épargne

A côté de cela, la Commission européenne se devra aussi de déployer les moyens nécessaires pour répondre à ces deux grands défis en utilisant la BEI (Banque Européenne d’Investissement). Cette dernière profitant aussi des taux négatifs pour émettre des emprunts et répondre au souhait de la nouvelle présidente de la Commission.

Et comme les moyens nécessaires sont colossaux, à la hauteur des défis, il serait aussi utile de mobiliser la masse des capitaux qui dorment sur les comptes d’épargne dans un certains nombre de pays de l’UE. La BCE en plus de relancer son programme de rachat d’obligations d’Etat, comme on l’évoque pour le moment, rachèterait les emprunts “climat” émis par la BEI. Ces derniers seraient, en plus de ceux évoqués plus haut, destinés uniquement aux épargnants européens à un taux “hors marché”, c’est-à-dire à un taux variable annuel fixé sur base du niveau de l’indice des prix à la consommation harmonisé de la zone euro.

Il faut se montrer innovants et oser, car à force de s’arque bouter sur les règles budgétaires, nous ne nous donnons pas les moyens de relever le défi climatique. Et quand il sera trop tard, ces règles n’auront strictement servi à rien. Les taux bas doivent donc être mis à profit et devenir une réelle opportunité.

Bernard Keppenne, Chief Economist CBC Banque

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