Un employeur peut-il obliger un employé à utiliser une IA ?

© Getty Images
Christophe Delmarcelle associé en droit social, cabinet DKW

C’est souvent l’utilisation par l’employé sans accord de l’employeur qui pose question mais, en réalité, on peut aussi s’interroger sur les conséquences d’une obligation imposée par l’employeur d’utiliser ChatGPT. Car l’utilisation d’une IA peut potentiellement affecter ou changer considérablement le travail convenu et induire des risques psychosociaux spécifiques.

Sur base de la loi sur les contrats de travail, l’employeur a l’obligation de fournir au travailleur “l’aide, les instruments et les matières nécessaires à l’accomplissement du travail” et l’employé a l’obligation d’accomplir le travail convenu selon les instructions de l’employeur (sauf si elles sont illégales ou le mettent en danger, bien entendu).

Ceci étant dit, le fait pour l’employeur d’imposer l’utilisation de certains matériels voire comme dans notre exemple d’une IA générative peut imposer le respect de différentes réglementations. Ainsi, dans la mesure où l’instrument – l’IA en question – est une nouvelle technologie qui a des conséquences collectives, l’employeur occupant plus de 50 travailleurs doit respecter la CCT 39 qui prévoit notamment une obligation d’information et de concertation collective.

Par ailleurs, si cet instrument – et ce sera à mon sens le cas d’une IA générative – est susceptible d’induire du stress ou d’affecter le bien-être des travailleurs, l’employeur devra respecter ses obligations à ce titre, notamment avec une analyse des risques psychosociaux et la prévention des risques liés à la technologie.

A priori, l’employé ne pourra donc pas, dans cette mesure, s’opposer à une telle mise en œuvre d’une IA générative, à moins cependant que celle-ci soit interdite ou illégale (notamment sous le règlement européen 2024/1689 sur l’IA), voire dangereuse. Ou qu’il en résulte une modification majeure des conditions de travail convenues et en particulier du rôle et de la fonction. En effet, un travailleur est engagé pour accomplir une certaine tâche qui est convenue et en ce sens s’impose à l’employeur.

Quid de l’essence de la fonction ?

Or, l’utilisation de l’IA pourrait fondamentalement vider la tâche du travailleur de sa substance et le risque est qu’il devienne plus un spécialiste des prompts qu’un spécialiste de sa matière. Outre que le rôle peut être particulièrement réducteur et mettre à mal sa confiance, ce n’est pas ce qui a été convenu.

Imaginons un marketing manager obligé de préparer tous ses discours ou ceux du CEO via IA sans aucune intervention de sa part ou avec une intervention très réduite. Est-ce encore le job pour lequel il a postulé et sur lequel les parties se sont entendues dans un contrat ?
On passera en plus sur la question de la responsabilité du travailleur ; l’employeur va-t-il l’exonérer des erreurs ou problèmes découlant potentiellement de l’utilisation de l’IA et qui sont par ailleurs connus (biais, atteintes RGPD, confidentialité, etc.). Quel travailleur acceptera l’obligation d’utiliser une IA s’il en est responsable ?

Christophe Delmarcelle.
Associé fondateur du Cabinet DEL-Lawet juge suppléant au tribunal du travail
© PG

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