Neuf banques européennes, dont ING et KBC, ont annoncé jeudi un projet commun visant à lancer une monnaie numérique libellée en euros. Ce n’est pas une première mais cela pourrait bien marquer un tournant. Et quel impact cela a sur l’Euro numérique ?
Les banques participantes sont : ING, KBC, UniCredit, DekaBank, Banca Sella, Danske Bank, SEB, CaixaBank et Raiffeisen Bank International. Le consortium, basé aux Pays-Bas, prévoit d’inviter d’autres établissements à rejoindre l’initiative. Selon ses promoteurs, cette nouvelle monnaie doit constituer un contrepoids européen aux stablecoins en dollars qui dominent aujourd’hui le marché des cryptos.
Pourquoi aux Pays-Bas ?
Le choix d’implanter le consortium aux Pays-Bas n’est pas anodin. La Banque des Pays-Bas possède une solide expérience en matière de supervision des sociétés de crypto. Le projet vise une licence d’établissement de monnaie électronique, à l’instar des néobanques.
Qu’est-ce qu’un stablecoin ?
Un stablecoin est une monnaie numérique dont la valeur est adossée à une devise existante, le plus souvent le dollar américain. L’émetteur doit conserver des réserves équivalentes – en liquidités ou en obligations d’État – afin de garantir cette stabilité.
Outils essentiels du marché crypto, les stablecoins permettent aux investisseurs de basculer rapidement entre actifs numériques et monnaies traditionnelles. Dans les pays à forte inflation, comme la Turquie ou l’Argentine, ils servent de refuge en se substituant aux dollars numériques.
Mais leur succès comporte aussi des risques. L’effondrement du TerraUSD en 2022 a montré combien de milliards pouvaient disparaître si une monnaie n’était pas réellement couverte. C’est pourquoi l’Europe et les États-Unis imposent désormais des règles strictes.
L’enjeu européen
Aujourd’hui, plus de 80 % des transactions en stablecoins passent par Tether (USDT) et USDC, tous deux adossés au dollar. Leurs émetteurs engrangent des milliards grâce aux intérêts générés par les obligations constituant leurs réserves, renforçant ainsi l’influence mondiale du dollar.
Pour l’Europe, la dépendance au dollar pose problème : payer en dollars affaiblit le rôle de l’euro. Avec ce stablecoin en euros, ING, KBC et leurs partenaires espèrent bâtir une alternative européenne, favorisant une autonomie stratégique et réduisant la dépendance vis-à-vis des acteurs américains.
MiCAR : un cadre déjà en place
Depuis 2023, la réglementation européenne MiCAR (Markets in Crypto-Assets Regulation), encadre l’ensemble du secteur crypto. Elle impose aux émetteurs de stablecoins des réserves intégrales, de la transparence et une licence obligatoire. L’objectif : éviter les abus et l’instabilité, tout en laissant place à l’innovation dans un cadre clair.
Et la monnaie numérique de la BCE ?
La monnaie numérique de la Banque centrale européenne (BCE), appelée « euro numérique », n’est pas attendue avant 2029. Contrairement au stablecoin, il s’agirait d’une forme de monnaie publique, garantie directement par la BCE, à l’image des billets et pièces. Un stablecoin, en revanche, reste une créance privée sur son émetteur. Juridiquement distincts, les deux outils ont pourtant une fonction similaire : permettre la circulation d’euros au format numérique.
Certains commentateurs y voient d’ailleurs une sorte de « faire-part de décès » pour l’euro numérique, dont le projet accumule les retards depuis 2020.
La Chine déjà en avance
Pendant que l’Europe élabore ses plans, la Chine a pris une longueur d’avance avec le yuan numérique (e-CNY). Testé localement depuis plusieurs années, il a été utilisé lors des Jeux olympiques d’hiver de 2022. Pékin pousse désormais son adoption dans le commerce international, renforçant son système de paiement CIPS (Cross-Border Interbank Payment System), qui attire un nombre croissant de banques étrangères.
Aux États-Unis : protéger les banques
Aux États-Unis, le débat porte sur la compatibilité des stablecoins avec le système bancaire. Le Congrès a adopté en 2023 le Genius Act, qui impose une couverture intégrale, interdit le versement d’intérêts et réserve la gestion des dépôts aux banques. L’Europe, au contraire, cherche à intégrer les stablecoins dans son système financier grâce à MiCA.
Un précédent déjà en place : Stasis
Un euro-stablecoin existe déjà : Stasis (EURS), lancé en 2018 et valorisé à environ 145 millions de dollars. Mais il reste marginal, sans soutien massif des banques ou des grandes entreprises, loin des centaines de milliards de dollars circulant dans les stablecoins américains. L’initiative des neuf banques pourrait donc marquer un tournant.