Transactions de dirigeants: très bons révélateurs mais il faut en décoder les signaux

En Belgique, le délit d’initié qui a le plus défrayé la chronique reste sans doute la vente par la Compagnie du Bois Sauvage d’un bloc de 3,6 millions d’actions Fortis, le vendredi 3 octobre 2008. © Belgaimage

Alors que les cycles s’enchaînent à vitesse grand V en Bourse, les transactions de dirigeants peuvent-elles être un bon indicateur des tendances qui nous attendent ? Certaines opérations peuvent être d’excellents révélateurs à la condition de faire le tri.

Au tournant du 21e siècle, les scandales liés aux délits d’initié étaient devenus monnaie courante, tant en Belgique qu’à l’étranger. Les autorités de supervision restaient cependant confrontées à une difficulté majeure : apporter la preuve du délit. L’exemple le plus emblématique nous vient sans doute des États-Unis.

Employé chez Microsoft, David Zilkha envisage une reconversion professionnelle et décroche un poste au sein du hedge fund Pequot Capital. Alors qu’il achève ses dernières semaines chez le géant du logiciel, son futur patron, Arthur Samberg, lui demande de se renseigner sur les résultats à venir de Microsoft. Ce que David Zilkha fait, permettant ainsi à Pequot Capital de réaliser un gain substantiel lors de la publication de résultats trimestriels meilleurs que prévu. La Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme boursier américain, ouvre une enquête, mais doit la clore faute de preuves. Le dossier est rouvert en 2009, lorsque l’ex-épouse de David Zilkha retrouve des mails compromettants sur son ordinateur et les transmet aux autorités.

Compagnie du Bois Sauvage – Fortis

En Belgique, le délit d’initié qui a le plus défrayé la chronique reste sans doute la vente par la Compagnie du Bois Sauvage d’un bloc de 3,6 millions d’actions Fortis, le vendredi 3 octobre 2008. Le bancassureur a été démantelé durant le week-end qui a suivi, et le titre Fortis a perdu les trois quarts de sa valeur dès la réouverture des marchés, le lundi suivant. Le hic est que Luc Vansteenkiste siégeait simultanément aux conseils d’administration de Fortis Banque et de la Compagnie du Bois Sauvage.

Le holding, ainsi que plusieurs de ses dirigeants, ont ainsi été renvoyés devant le tribunal correctionnel, avant de conclure une transaction pénale d’un montant de 8,55 millions d’euros avec le parquet. Bien que dans ce type d’affaires les jugements aient historiquement été le plus souvent favorables aux inculpés, la Compagnie du Bois Sauvage a préféré jouer la carte de la prudence face au risque d’une amende pouvant atteindre 30 millions d’euros et d’un procès médiatique.

Publication des transactions

Ces deux affaires illustrent également l’éventail étendu des délits d’initié, qui sont quasiment inhérents au fonctionnement des marchés financiers. Dans le cas des transactions effectuées par des dirigeants, les régulateurs ont mis en place une parade : un système de notification et de publication obligatoire de ces opérations. Ainsi, si le CEO d’une entreprise acquiert des titres, l’opération est rendue publique – ce qui peut être interprété comme un signal positif avant même la publication des résultats.

Il convient de noter que cette obligation de déclaration et de publication s’applique tant aux dirigeants exécutifs (comme le CEO) qu’aux non exécutifs (président du conseil, administrateurs), ainsi qu’aux personnes qui leur sont étroitement liées – famille et partenaire – et ce, que les transactions soient effectuées en leur nom propre ou par l’intermédiaire d’une société.

En théorie, ces déclarations constituent une véritable mine d’or, offrant à chacun un accès aux transactions réalisées par des personnes susceptibles de détenir des informations privilégiées. Mais en pratique, on se heurte rapidement à un volume considérable de données. Rien qu’en Belgique, la FSMA recense largement plus de 1.000 notifications chaque année. Aux États-Unis, les “Form 4” dédiés aux transactions d’initié se comptent en centaines par jour.

Rien qu’en Belgique, la FSMA recense largement plus de 1.000 notifications de transactions d’initié chaque année.

Ces déclarations couvrent souvent des opérations de faible envergure, liées à des choix personnels ou résultant de l’exercice de stock-options. Ce qui crée une véritable nappe de brouillard pour l’investisseur en quête de signaux pertinents. Pour y voir plus clair, la société de gestion française Varenne Capital compile les transactions de dirigeants sur 60 marchés et applique ensuite une série de filtres et d’analyses. Son objectif est ainsi d’identifier les opérations à la fois “inhabituelles” et “significatives” comme le précisait récemment David Mellul, directeur général.

Inhabituel et significatif

Ce travail de filtrage a notamment permis à Varenne Capital d’identifier une opportunité sur l’assureur italien Unipol Gruppo au printemps 2024. Le caractère inhabituel tenait au fait que certains dirigeants achetaient des actions de l’entreprise pour la première fois, ainsi que la quasi-simultanéité des acquisitions par le président, le directeur général, le directeur de l’information, le président des commissaires aux comptes et deux membres du directoire. L’aspect significatif, lui, résidait dans le timing. Ces achats sont intervenus après une première phase de hausse du titre, traduisant une véritable confiance dans les perspectives de l’entreprise – et non une tentative de rassurer les marchés.

Il est essentiel de savoir distinguer les opérations de circonstance de celles qui en disent réellement long.

Depuis, l’action Unipol Gruppo a plus que doublé. Bien entendu, toutes les opportunités ne génèrent pas un tel rendement. Mais cet exemple illustre bien les critères à retenir lorsqu’on souhaite investir en s’appuyant sur les transactions des dirigeants. Il est essentiel de savoir distinguer les opérations de circonstance de celles qui en disent réellement long.

Cibler les achats

“Les initiés peuvent vendre leurs actions pour une multitude de raisons, mais s’ils en achètent, c’est pour une seule : ils pensent que le cours va monter”, estimait pour sa part Peter Lynch, gourou de Wall Street depuis les années 1980.

Si cette citation n’est pas dénuée de fondement, il serait néanmoins imprudent de la prendre pour argent comptant. Klaus Röhrig a ainsi multiplié les achats d’actions Agfa, société dont il est administrateur – et dont il a même assuré l’intérim à la présidence –, entre fin 2020 et début 2023. Sa société, AOC Value, a ainsi déclaré 18 transactions, dont certaines avoisinaient le million d’euros. À l’époque, l’action se négociait entre 3 et 4 euros. Depuis, elle a chuté autour d’un euro.

Autre exemple, Bernard Arnault multiplie depuis février 2023 les acquisitions d’actions LVMH via sa holding Financière Agache, avec pas moins de 129 achats supérieurs à 10 millions d’euros. La valeur de l’action du géant du luxe a pourtant fondu de plus de 40% ces deux dernières années.

Rendement dans la moyenne

Il ne faut donc pas perdre de vue que les achats d’actions par les dirigeants peuvent aussi répondre à des motivations diverses : témoigner de leur confiance en période de turbulences, considérations familiales, volonté de sortir l’action de la Bourse à terme. Ce qui peut prendre parfois beaucoup de temps, telle la famille Persson, par exemple, qui renforce sa participation dans H&M depuis 2008. Ou tout simplement résulter d’une erreur de jugement et d’un excès d’optimisme quant à la stratégie de l’entreprise.

Dans une étude publiée en 2023, deux chercheurs australiens ont d’ailleurs observé que les achats d’initiés ne généraient pas, en moyenne, un rendement significativement supérieur à ceux du marché. Ils relèvent également que la motivation première des dirigeants n’est pas le gain financier direct, mais qu’ils “cherchent plutôt à envoyer un signal positif sur la qualité de l’entreprise en période difficile, et à contrer les vendeurs à découvert lorsque l’intérêt à la baisse est élevé”.

Les critères retenus par Varenne Capital permettent toutefois d’affiner l’analyse et de mieux cibler les signaux pertinents. Les plus déterminants sont sans doute la simultanéité des achats par plusieurs dirigeants, surtout s’ils ne sont pas liés historiquement à l’entreprise (famille fondatrice…), et le fait que les acquisitions n’interviennent pas dans un contexte boursier particulièrement difficile pour l’entreprise.

Sites de référence

Cela fait évidemment de nombreux aspects à intégrer alors que, même si les données sont publiques, il est très difficile d’effectuer des recherches pertinentes, faute de critères. Le site de la FSMA ne permet par exemple que de sélectionner l’entreprise concernée et la période, mais vous devez ouvrir chaque déclaration pour en visualiser le contenu. Intéressant si vous ne surveillez que quelques titres, mais impossible si vous êtes à la recherche de signaux.

La page dédiée de l’AFM aux Pays-Bas est comparable, mais permet l’exportation de données. Tout comme le portail de la BaFin allemande qui est toutefois peu convivial à utiliser. En France, le site de l’AMF est un peu plus complet avec la possibilité de trier les achats et ventes, ainsi que la nature de l’opération, et de visualiser directement le montant des transactions.

Du côté américain, quelques agrégateurs, comme secform4.com, permettent d’effectuer des recherches complètes par société. Les fonctionnalités liées à la détection de signaux, comme des achats significatifs, sont toutefois payantes. Insiderscreener.com (disponible en français) est une des rares plateformes mondiales dans le domaine, mais l’accès aux filtres y est payant – avec des tarifs non négligeables allant de 12 à 39 dollars par mois.

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