Le bénéfice de Tesla chute, mais son cours grimpe en bourse: “Comme le bitcoin”

Tesla reste une anomalie sur les marchés boursiers. Le bénéfice net du constructeur de véhicules électriques a chuté de 53 % par rapport à 2023, les marges ont reculé et, pour la première fois en dix ans, les ventes automobiles ont diminué. Malgré ce bilan décevant, l’action Tesla a bondi de 2,7 % à l’ouverture de la Bourse de New York.

Tesla illustre parfaitement comment le sentiment des investisseurs et la spéculation peuvent parfois peser davantage que les critères traditionnels d’évaluation, estime Wim Lewi, analyste senior chez KBC Securities. « À terme, une telle action devient comme le bitcoin, un meme stock. L’offre et la demande déterminent le prix », explique-t-il. « Tesla a pu procéder à une réévaluation de ses réserves en bitcoin, ce qui a généré 600 millions de dollars. Cela attire les investisseurs. Mais le problème fondamental demeure : à un moment donné, il faut générer des bénéfices. »

Patrick Casselman (BNP Paribas Fortis) pose la question que de nombreux analystes se posent : « Comment expliquer que Tesla se négocie à plus de cent fois son bénéfice, alors que la plupart des constructeurs automobiles se situent entre cinq et six fois leur bénéfice ? C’est le secteur le moins valorisé, mais Tesla est l’une des actions les plus chères en Bourse. »

Croissance annoncée, mais incertaine

« Tesla a évoqué une nouvelle phase de croissance, mais sans fixer d’objectifs concrets, alors que Musk avait précédemment prédit une augmentation de 20 à 30 % », explique Dan Levy (Barclays) dans le Financial Times. « Le quatrième trimestre a ramené l’action à la réalité, après une période où le cours boursier s’éloignait de plus en plus des fondamentaux. »

Baisse des prix et pression sur les marges

En 2024, Tesla a vendu 1,79 million de véhicules, soit une légère baisse par rapport à l’année précédente. Pour rester compétitif, le constructeur a baissé ses prix, ce qui a mis ses marges sous pression. Ainsi la marge opérationnelle est tombée à 6,2 %, contre 8,2 % un an plus tôt.


« Si vous devez baisser vos prix, cela impacte forcément les marges », souligne Casselman. « Tesla a connu une année relativement faible, avec une baisse des ventes pour la première fois. Et pourtant, l’action continue de se négocier à plus de cent fois le bénéfice. »

BMW et Mercedes adoptent une stratégie différente : ils maintiennent leurs prix stables et se concentrent sur le segment premium pour protéger leurs marges. Tesla, en revanche, vise un marché plus large. « Avec 1,8 million de véhicules vendus, Tesla se rapproche progressivement de BMW ou Mercedes, qui tournent autour de 2,5 millions d’unités par an », explique Casselman. « Mais cela pose la question de la saturation du segment premium. S’ils veulent continuer à croître, ils devront se tourner vers des modèles plus abordables. »

Des promesses en attente de concrétisation

Tesla a considérablement augmenté ses investissements en intelligence artificielle. Son budget d’investissement a grimpé de 21 %, atteignant 2,8 milliards de dollars, en grande partie en raison de l’implantation d’un gigantesque centre d’entraînement IA équipé de 50 000 puces Nvidia H100. Musk est convaincu de l’avance de Tesla : « Aucune entreprise au monde n’est aussi avancée que Tesla en matière d’IA appliquée au monde réel. Il me faudrait un télescope géant pour voir qui est numéro deux. »

Les analystes restent toutefois sceptiques. Tesla dépend encore à 80 % de la vente de ses véhicules. L’IA et la robotique ne génèrent pas encore de revenus significatifs. Selon Lewi, Tesla n’est pas le leader des véhicules autonomes qu’il prétend être : « Ils commencent seulement à demander des licences et à effectuer des tests, non sans accros, au Texas, alors que Waymo et certains concurrents chinois sont déjà opérationnels. Musk affirme qu’il peut atteindre le même niveau de performance avec des caméras qu’avec des systèmes basés sur LiDAR, mais je crains qu’il ait besoin de hardware supplémentaire. Ce sera coûteux et rendra les véhicules plus complexes. »

Le LiDAR (Light Detection and Ranging) est une technologie qui utilise des impulsions laser pour mesurer les distances aux objets environnants. Il est largement considéré comme plus précis en ce qui concerne la détection d’objets et la navigation dans divers environnements.

Musk promet que Tesla commencera des tests de taxis autonomes au Texas en juin 2025. « On entend cela chaque année », rappelle Lewi. « Ensuite, quelques analystes de CNBC s’emballent et expliquent que la réglementation jouera en faveur de Tesla parce que Musk est un proche de Trump. Mais pour que cela soit le cas, il faut vraiment que les planètes s’alignent.»

Risque politique

Musk est aussi de plus en plus clivant. « Depuis la campagne électorale, Musk a pris des positions politiques de plus en plus radicales », observe Casselman. « La question est de savoir si cela affectera les ventes de Tesla. Tous les acheteurs de voitures ne partagent pas ses sympathies pour l’extrême droite. »

Les investisseurs perçoivent Tesla comme une entreprise technologique, mais elle reste avant tout un constructeur automobile

Patrick Casselman (BNP Paribas Fortis)

Dans le même temps, la politique de Trump présente des risques. Il souhaite supprimer les subventions fédérales pour les véhicules électriques, une mesure qui affecterait directement Tesla. Lewi identifie plusieurs incertitudes : « La suppression des subventions serait un premier coup dur pour Tesla. Musk assemble ses voitures aux États-Unis, mais utilise des composants étrangers comme les batteries. Si de nouvelles taxes sont imposées, il en subira également l’impact. De plus, le Congrès doit encore approuver ces mesures.  Rien ne permet de dire aujourd’hui si la politique de Trump sera un avantage ou un inconvénient pour Tesla. »

Déconnecté de la réalité ?

La capitalisation boursière de Tesla, qui atteint 1 220 milliards de dollars, dépasse largement la valeur combinée de Toyota, Volkswagen, Daimler, General Motors et Ford. Pour les investisseurs, l’espoir d’une percée technologique majeure reste l’argument principal.

« Encore faut-il avoir envie de croire que Tesla remplacera tous les employés du monde par des robots d’ici dix ans», affirme Lewi. « Si cela se produit, on pourra dire que Tesla n’est pas un constructeur automobile. Mais, en attendant, cette action repose surtout sur un effet de mode. »

Casselman est du même avis: « Les investisseurs perçoivent Tesla comme une entreprise technologique, mais elle reste avant tout un constructeur automobile », souligne-t-il. « 80 % de son chiffre d’affaires provient de la vente de véhicules. Cet écart de perception explique pourquoi le titre est aussi cher. »

Résultats trimestriels de Tesla (Q4 2024)
Chiffre d’affaires : 25,7 milliards de dollars (+2 %), c’est inférieur aux 27,2 milliards attendus
Bénéfice net : 2,3 milliards de dollars (-71 %). Il a été impacté par la disparition d’un avantage fiscal
Bénéfice par action : 0,73 dollar (vs. prévision de 0,77 dollar), incluant 0,20 dollar issu de la réévaluation du bitcoin
Véhicules livrés : 495 570, en deçà de l’objectif de 500 000 – 510 000

Laurens Bouckaert

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