Rolls-Royce: de la crise existentielle à la puissance militaire et nucléaire

Rolls Royce

Longtemps perçue comme une entreprise en difficulté sur la Bourse de Londres, Rolls-Royce a connu un redressement spectaculaire sous la direction de Tufan Erginbilgiç.

Depuis début 2023, le cours de l’action du motoriste britannique a bondi de près de 700 %, faisant de Rolls-Royce la meilleure performance industrielle de l’indice Stoxx Europe 600. Fin février, Bank of America a relevé son objectif de cours à 1.150 pence, laissant entrevoir un potentiel haussier de 50 %.

Ce rebond repose sur plusieurs facteurs clés : la reprise rapide du secteur aéronautique, un afflux record de commandes dans la défense, et une réorganisation profonde initiée par Erginbilgiç. À son arrivée en 2023, ce dernier avait qualifié Rolls-Royce de “burning platform”, une entreprise en crise nécessitant une refonte radicale.

Un redressement qui se traduit en chiffres

Les résultats annuels 2024 confirment l’ampleur du retournement. L’entreprise a annoncé fin février qu’elle atteindrait ses objectifs de rentabilité avec deux ans d’avance, ce qui a fait grimper le titre de 15 % en une seule séance. Désormais, Rolls-Royce figure parmi les dix plus grandes capitalisations du FTSE 100, avec un gain de 54 milliards de livres sterling en valeur boursière depuis l’arrivée d’Erginbilgiç.

Outre l’aéronautique, Rolls-Royce bénéficie de l’augmentation structurelle des dépenses de défense décrochant des contrats de plusieurs milliards pour la production de sous-marins et avions de combat. Parallèlement, l’entreprise se positionne en leader des petits réacteurs nucléaires modulaires (SMR), une technologie visant à rendre l’énergie nucléaire plus accessible et compétitive.

D’une entreprise déficitaire à un modèle de rentabilité

En 2023, Rolls-Royce faisait face à des coûts élevés, une inefficacité structurelle et un manque de vision stratégique. Erginbilgiç a immédiatement mis en œuvre un plan de restructuration, réduisant la complexité organisationnelle et recentrant l’entreprise sur la rentabilité.

La restructuration a porté ses fruits, rapporte le Financial Times. En 2024, Rolls-Royce a enregistré un bénéfice d’exploitation sous-jacent de 2,5 milliards de livres sterling, en hausse de 56 % sur un an. Le flux de trésorerie disponible a atteint un niveau record de 1,8 milliard GBP. L’entreprise a également repris le versement de dividendes après plusieurs années et a annoncé un programme de rachat d’actions d’1 milliard GBP.

Tufan Erginbilgiç.

En parallèle, Rolls-Royce a réalisé 350 millions GBP d’économies en 2024 et prévoit plus de 500 millions GBP supplémentaires en 2025.

La division aviation civile est redevenue rentable, portée par une forte demande pour les vols long-courriers. Le carnet de commandes de moteurs d’avions a augmenté de 13 % pour atteindre 1.843 unités. L’indicateur clé de performance de l’entreprise – le nombre d’heures de vol des grands moteurs – a progressé de 17 %, atteignant 103 % du niveau de 2019. Cela signifie que Rolls-Royce est à nouveau pleinement rémunérée pour l’utilisation de ses moteurs, après des années de sous-utilisation durant la pandémie.

Défense : des décennies de revenus garantis

En plus de son activité dans l’aviation commerciale, Rolls-Royce joue un rôle clé dans la réarmement de l’Europe. Le carnet de commandes de la division défense atteint désormais 17,4 milliards de livres sterling, soit près de quatre fois le chiffre d’affaires annuel de cette branche.

Les plus gros contrats concernent la défense nucléaire. Rolls-Royce est le fournisseur exclusif de réacteurs nucléaires pour les sous-marins Dreadnought, élément central de la dissuasion nucléaire britannique, qui resteront en service pendant au moins 40 ans. L’entreprise est également un acteur clé dans Aukus, le pacte militaire entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, en fournissant les réacteurs nucléaires des futurs sous-marins australiens.

Dans l’aviation militaire, Rolls-Royce équipe l’Eurofighter Typhoon avec son moteur EJ200, utilisé par plusieurs pays européens et considérés comme une alternative potentielle au F-35. Le groupe participe aussi au développement du Tempest, le chasseur de nouvelle génération prévu pour 2040, en collaboration avec le Royaume-Uni, l’Italie et le Japon.

Selon Erginbilgiç, l’augmentation récente du budget de la défense britannique permettra d’assurer le bon déroulement des projets majeurs, comme Aukus, les sous-marins Dreadnought et Tempest, sans retard ni contrainte financière.

Le renouveau d’une icône industrielle

Fondé en 1904, Rolls-Royce est devenu l’un des noms les plus prestigieux de l’industrie aéronautique et des moteurs. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la société a été un acteur majeur dans la production des moteurs Merlin, utilisés notamment sur le célèbre Spitfire.

Dans les années 1970, Rolls-Royce a frôlé la faillite à cause du développement du moteur RB211. Le gouvernement britannique a dû intervenir en nationalisant l’entreprise, avant de la diviser en Rolls-Royce Holdings (aéronautique et défense) et Rolls-Royce Motor Cars, aujourd’hui sous contrôle de BMW.

 

La crise du Covid-19 a de nouveau mis l’entreprise en difficulté, mais sous la direction d’Erginbilgiç, Rolls-Royce est plus solide que jamais. Le PDG qualifie la transformation actuelle de “jalon, et non de point final”, laissant entrevoir des perspectives de croissance durable à long terme.

Comment Rolls-Royce se positionne face à la concurrence ?

Rolls-Royce se distingue des groupes de défense classiques comme BAE Systems et Rheinmetall. Rheinmetall dépend fortement des commandes d’armement et de blindés. A l’inverse General Electric est principalement axé sur l’aviation commerciale. Et bien que Safran et Pratt & Whitney soient des motoristes de premier plan, ils n’ont pas la même présence dominante dans la défense que Rolls-Royce.

En combinant les secteurs de la défense, de l’aviation commerciale et du nucléaire, Rolls-Royce dispose d’un portefeuille de revenus plus diversifié et est moins exposé aux cycles économiques que ses concurrents.

L’action Rolls-Royce est-elle attractive ?

Malgré son rallye boursier spectaculaire, Rolls-Royce reste, selon les ratios de valorisation traditionnels, encore relativement abordable par rapport à General Electric et Safran. Cependant, l’écart s’est réduit avec la forte hausse du cours.

Les solides performances financières, la hausse des budgets de défense et le potentiel de croissance des petits réacteurs modulaires (SMR) offrent des perspectives de croissance à long terme.

Le CEO Tufan Erginbilgiç a récemment annoncé le retour du dividende ainsi qu’un programme de rachat d’actions d’un milliard de livres sterling, des signaux forts de confiance dans la santé financière du groupe. Lors de la présentation des résultats annuels, il a déclaré : “Nous avons réalisé d’énormes progrès, mais nous n’avons pas encore terminé. Nous menons Rolls-Royce vers un niveau jamais atteint auparavant.”

Sa stratégie de désengagement des projets non rentables a porté ses fruits. Il a abandonné les programmes d’aviation électrique et de piles à hydrogène, pour se concentrer sur les petits réacteurs nucléaires et le développement d’une nouvelle génération de moteurs compatibles avec les carburants d’aviation durables.

Rolls-Royce : une transformation impressionnante, mais des risques demeurent

Sous la direction de Tufan Erginbilgiç, Rolls-Royce a effectué une transformation spectaculaire, passant d’un colosse bureaucratique à une entreprise plus performante et plus efficace. Cependant, des risques persistent dans plusieurs domaines.

L’entreprise rencontre encore des problèmes logistiques, ce qui pourrait entraîner des coûts supplémentaires à hauteur de 250 millions de livres sterling. En outre, Rolls-Royce peine à regagner des parts de marché dans le secteur des moteurs pour avions long-courriers, où General Electric conserve une position dominante.

Des analystes partagés sur les perspectives de Rolls-Royce

Les opinions des analystes sont partagées concernant le potentiel de l’entreprise à court et moyen terme :

Citibank garde une note neutre sur l’action en raison de l’incertitude entourant la rentabilité de la division défense et la durabilité de la récente hausse des flux de trésorerie.

À l’opposé, Morgan Stanley et l’analyste Ross Law soulignent que Rolls-Royce surpasse systématiquement les attentes. Il qualifie les résultats financiers récents de “solides”, affirmant qu’il n’y a presque rien à redire.

Croissance future : défis et gestion des coûts

Le cours de l’action de Rolls-Royce dépendra de plusieurs facteurs clés, tels que la gestion des coûts et la réduction des dépenses, le succès des contrats dans le secteur militaire, notamment avec les gouvernements, et la capacité à résoudre les problèmes d’approvisionnement, en particulier les retards logistiques.

Bien que Rolls-Royce prévoie que les problèmes logistiques pourraient durer jusqu’en 2026, la direction travaille activement à résoudre ces difficultés par le biais de partenariats stratégiques et en optimisant ses processus de production et de gestion.

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