Une suspension éclair de Jimmy Kimmel est un cas d’école. Loin d’être anecdotique, l’affaire est révélatrice des tensions entre liberté d’expression et intérêts économiques.
Après une suspension de quelques jours qui a secoué le paysage médiatique américain, « Jimmy Kimmel Live! » reprend ses droits ce mardi soir sur ABC. Un retour à l’antenne qui illustre les rapports de force complexes entre pouvoir politique, liberté d’expression et impératifs financiers dans l’Amérique de Donald Trump.
L’étincelle d’un monologue polémique
Tout avait commencé lundi dernier par une saillie de l’animateur vedette d’ABC : « La bande MAGA fait tout pour présenter le jeune homme qui a assassiné Charlie Kirk comme autre chose qu’un des leurs, et pour en tirer un avantage politique », avait lancé Kimmel dans son monologue habituel.
Cette déclaration, jugée « mal venue et inappropriée » par Disney, avait déclenché une réaction en chaîne. Brendan Carr, président du régulateur des médias FCC, avait immédiatement brandi la menace d’un retrait de licence pour ABC, provoquant un tollé dans le milieu télévisuel.
Hollywood se mobilise massivement
La riposte ne s’est pas fait attendre. Plus de 400 grandes figures d’Hollywood, emmenées par Meryl Streep, Tom Hanks et Robert De Niro, ont signé une lettre ouverte orchestrée par l’American Civil Liberties Union (ACLU). Jennifer Aniston, Ben Stiller et Natalie Portman figuraient également parmi les signataires de ce manifeste dénonçant « un sombre moment pour la liberté d’expression ».
Cette mobilisation exceptionnelle du gratin hollywoodien témoigne des inquiétudes croissantes face à ce que beaucoup perçoivent comme une dérive autoritaire. « Le gouvernement menace des entreprises privées et des individus avec lesquels le président est en désaccord », accusait la lettre.
Une solidarité transpartisane inattendueFait remarquable, les critiques ont dépassé les clivages politiques traditionnels. Le sénateur républicain Ted Cruz lui-même a estimé que Carr s’était comporté « comme un mafieux », tandis que ses confrères animateurs Stephen Colbert, Jimmy Fallon, Seth Meyers, Jon Stewart et John Oliver exprimaient leur solidarité.
Kamala Harris a salué « la preuve du pouvoir du peuple », dénonçant la pression exercée sur Disney comme « un abus de pouvoir pur et simple ».
Les marchés financiers font pression
Au-delà du tollé médiatique, c’est peut-être la Bourse qui a pesé le plus lourd dans la décision de Disney. Le titre du géant du divertissement a perdu 3% depuis la suspension de l’émission, sous-performant un marché américain en progression de 1,5% sur la même période.
Cette contre-performance, bien que limitée, intervient à un moment critique pour Disney, qui sort tout juste d’une vaste restructuration. Les rumeurs de boycott se multipliaient sur les réseaux sociaux, certaines familles menaçant de résilier leurs abonnements Disney+ ou de renoncer à leurs visites dans les parcs d’attractions.
Sinclair maintient le boycott
Toutefois, le retour de Kimmel ne sera pas total. Sinclair Broadcast Group, propriétaire de 38 chaînes locales affiliées à ABC et réputé pour ses orientations conservatrices, maintient le boycott de l’émission. Ces stations diffuseront des journaux télévisés en remplacement.
Cette résistance révèle les enjeux stratégiques sous-jacents : Sinclair négocie actuellement une fusion avec Nextar, projet qui nécessite l’aval de la FCC dirigée par… Brendan Carr. Une coïncidence qui en dit long sur l’imbrication entre régulation, politique et intérêts économiques.
Une victoire en trompe-l’œil
Si le retour de Kimmel peut apparaître comme une victoire de la liberté d’expression, il témoigne surtout de la fragilité des équilibres démocratiques américains. La rapidité avec laquelle Disney a cédé aux pressions politiques, puis fait marche arrière sous la pression conjuguée d’Hollywood et des marchés, illustre la précarité des contre-pouvoirs face au pouvoir exécutif.
« Disney à l’écoute de ses actionnaires », titrait mardi le Wall Street Journal, résumant crûment les arbitrages du géant californien. Car si Kimmel retrouve son plateau, c’est autant par conviction démocratique que par calcul financier.
Cette crise éclair aura au moins eu le mérite de révéler les lignes de fracture qui traversent l’Amérique de Trump, où la comédie devient un enjeu politique et où les marchés financiers peuvent parfois servir d’ultime rempart à la liberté d’expression.
Le titre Disney a légèrement rebondi mardi à la Bourse de New York, signe que les investisseurs saluent cette désescalade.