Qu’est-ce que la nouvelle tendance de l’investissement “à travers les lunettes d’un enfant” ?

Charly Pohu

De nombreux investisseurs font attention à des critères sociaux et environnementaux quand ils placent leur argent. Une nouvelle tendance est en train de faire son chemin dans le milieu de l’investissement responsable : investir à travers les lunettes d’un enfant. Mais de quoi s’agit-il, et qu’est-ce que cela veut dire pour les portefeuilles ?

Investir, c’est aussi faire un choix moral et philosophique envers le monde dans lequel on vit. On peut penser au rendement uniquement et miser sur les compagnies qui rapportent le plus, sans égard à l’impact sur l’environnement, le climat, le vivant, la santé, etc. Ou on peut placer son argent dans des entreprises qui font attention à ces critères, voire qui proposent des solutions pour remédier aux problèmes.

Dans cette deuxième cohorte, il y a de nombreux aspects qui entrent en ligne de mire. Et une nouvelle tendance est notamment en train d’émerger, ces dernières années : celle de voir le monde à travers les lunettes d’un enfant pour faire ses choix d’investissements. C’est ce qu’expliquent Francisco Biber, de l’Innovative Finance Hub de l’Unicef et Sjoerd Rozing, gestionnaire de portefeuille chez Triodos Investment Mangaement (gestionnaire d’actifs qui a d’ailleurs mis sur pied un fonds actif en la matière, le Future Generations Fund), dans une présentation ce jeudi.

Investir à travers les lunettes d’un enfant

Mais de quoi s’agit-il ? C’est mettre l’enfant au point central de ses critères de sélection. Par exemple identifier leurs besoins et les entreprises qui peuvent y répondre, identifier les risques et les entreprises qui les minimisent. “Pour choisir des actions et construire son portefeuille, on peut regarder les points importants repris par l’Unicef, comme la santé, l’éducation, la protection de la violence et le climat et l’environnement, et voir quelles entreprises s’attaquent à ces problématiques”, analyse Sjoerd Rozing. Il donne quelques exemples : 100 millions d’enfants dans le monde souffrent de rhinite allergique. Mais il est en général plus difficile de développer des traitements pour des enfants, car cela demande des capitaux et le marché est par définition plus petit et les tranches d’âge sont plus limitées que celles des adultes. Mais c’est là précisément que le groupe pharmaceutique ALK voudrait intervenir, pour développer l’immunothérapie pour enfants. L’entreprise mise même fortement là-dessus pour assurer sa croissance.

L’expert donne aussi comme exemple la société des eaux de São Paulo, au Brésil (Sabesp), qui veut donner un accès à l’eau potable et connecter au système d’eaux usagées toute la population locale d’ici 2029. “Avoir de l’eau propre est encore plus important pour les enfants que pour les adultes. Les enfants boivent proportionnellement plus d’eau que les adultes et ils ont un corps plus vulnérable.”

Francisco Biber avance encore d’autres points d’attention, comme les ressources humaines. Ne pas investir dans des entreprises qui emploient des enfants, cela va sans dire. Mais il faut aussi penser aux parents : est-ce que les entreprises en question ont des politiques favorables à la famille, en termes de charge horaire, d’assurance maladie, d’allaitement, etc. ? “La vie et le bien-être des enfants sont impactés par le travail des parents”, souligne-t-il. Ces politiques sont d’ailleurs en général bonnes pour la rétention des talents, ajoute Sjoerd Rozing. Autre point d’attention : les projets d’infrastructure des entreprises, comme la construction d’une nouvelle usine, d’une mine ou d’autres activités. Quel sera l’impact sur les enfants ? S’il doit y avoir délocalisation, quelle solution de relogement est proposée ? Est-ce que les nouvelles routes pourraient, au contraire, faciliter le chemin vers l’école pour les enfants ?

Les deux experts s’entendent à dire que tous ces défis représentent donc des opportunités, pour les entreprises mais aussi pour les investisseurs.

Long terme et diversification

Le critère moral et humain, la volonté d’améliorer le monde pour les enfants, est bien sûr un aspect important de cette stratégie d’investissement. Mais ce n’est pas tout, loin de là. Il y a aussi des concepts financiers qui entrent en jeu. Car quand on investit à travers les lunettes d’un enfant, on mise surtout sur le long terme – horizon privilégié par de nombreux experts. Un réseau de distribution des eaux par exemple, cela tient pendant des décennies. On réduit aussi les risques et le bêta, et on diversifie son portefeuille, à travers des secteurs et des zones géographiques, au vu de tous les critères de sélection qui entrent en jeu.

Maintenant, la question qui reste est comment mesurer l’impact de l’investissement sur le bien-être des enfants, et comment être sûr que ces différents critères soient respectés. L’Unicef propose des outils, cadres, données et indicateurs pour observer cela et mesurer son impact. Mais il reste difficile d’agréger les données et de mesurer à échelle du portefeuille quel est le réel impact, selon les experts, même si les outils et les données deviennent de plus en plus qualitatifs.

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