Le patron de la société de Bourse Leleux Associated Brokers alerte sur les effets néfastes de la nouvelle taxe sur les plus-values qu’il juge mal conçue.
Complexité administrative, impact sur les petits investisseurs, coup dur pour l’entrepreneuriat et perte d’attractivité pour la Belgique : Olivier Leleux, patron de la société de Bourse du même nom, ne mâche pas ses mots à l’égard de la nouvelle taxe sur les plus-values, une mesure selon lui “mal pensée”, contraire aux principes d’une fiscalité “simple, durable et transparente”.
TRENDS-TENDANCES. En tant que patron d’une société de Bourse, qu’est-ce qui vous dérange dans cette nouvelle taxe sur les plus-values ?
OLIVIER LELEUX. Je n’y suis pas opposé sur le plan idéologique. Le secteur financier n’est pas contre l’idée de contribuer davantage à l’effort collectif. On comprend que la situation budgétaire du pays est grave et qu’il faut agir. Mais cette taxe est mal pensée. Elle ne respecte aucun des trois critères fondamentaux d’une bonne réforme fiscale : simplicité, transparence et durabilité. On expérimente tous les deux ou trois ans en fonction des besoins budgétaires, ce n’est pas tenable.
Pas tenable ?
Absolument. C’est tout l’inverse de ce qu’il fallait faire. On avait une fiscalité sur l’épargne déjà complexe. C’est une occasion ratée de revoir le système intelligemment. Au lieu de construire un cadre fiscal cohérent, on empile des taxes : taxe sur les comptes-titres, taxe Reynders, TOB… Et maintenant cette taxe sur les plus-values.
On empile les taxes, c’est-à-dire ?
Prenons l’exemple d’un investisseur. Il paie déjà la taxe sur les opérations de Bourse (TOB) à l’achat et à la vente. L’investisseur doit aussi s’acquitter de la taxe Reynders sur certaines sicav. Il paie également le précompte mobilier sur la prime d’émission des obligations, qui peut être considérée comme une plus-value. Et bien sûr, il y a aussi la taxe sur les comptes-titres. Et maintenant, on veut ajouter une taxe sur les plus-values. Résultat ? On peut atteindre jusqu’à 42% de taxation sur une plus-value. Et ça, sans parler de la complexité administrative que ça génère.
La taxe va-t-elle affecter l’attractivité de la Belgique pour les investisseurs étrangers ?
C’est évident. Jusqu’à présent, la non-taxation des plus-values était un des rares avantages fiscaux offerts par la Belgique. Avec cette taxe, on coupe la branche sur laquelle on est assis. Les investisseurs étrangers, notamment des Français qui ont quitté leur pays pour des raisons fiscales, n’auront plus aucune raison de rester ici. Cela affectera le secteur immobilier ou encore la consommation locale. C’est une perte nette pour notre économie.
Elle va donc rater sa cible ?
Les plus riches sont déjà structurés en personnes morales, parfois à l’étranger, et échapperont à cette taxe. Ce sont les petits investisseurs particuliers situés en Belgique qui seront touchés. Ce sont eux qui investissent directement, qui n’ont pas de structures complexes et qui vont passer à la caisse. Cette taxe les vise eux, pas les grandes fortunes.
Vous parlez aussi d’un effet négatif sur l’entrepreneuriat. Pourquoi ?
Imaginez un entrepreneur qui passe 40 ans à créer une entreprise. Il paie ses impôts, ses cotisations sociales, il prend des risques. Et à la sortie, quand il vend ce qu’il a construit pendant tant d’années, on lui dit qu’on va encore taxer la plus-value. Idem pour ceux qui investissent dans des start-up via le tax shelter : ils seront aussi taxés. Le message est clair : n’entreprenez plus, ça n’en vaut pas la peine.
Et pour votre entreprise, concrètement, quels sont les impacts ?
C’est un cauchemar opérationnel. On doit prévenir 21.000 clients, leur expliquer le système d’opt-in/opt-out pour la retenue à la source ou pas de la taxe, mettre à jour nos systèmes informatiques. Rien n’est encore clair. Par exemple, pour un client qui achète des actions en dollars et qui les revend plus tard, comment doit-on gérer la plus-value sur le change ? Cela promet des calculs complexes… Et tout ça doit être prêt en moins de cinq mois. C’est irréaliste.
Donc, vous dites que cette taxe ne rapportera pas ce qu’elle promet ?
Non seulement elle ne rapportera rien, mais elle coûtera : fuite des capitaux, désintérêt pour les marchés d’actions et les titres cotés à Bruxelles en particulier, perte de liquidité sur les small et mid caps, désintérêt pour l’entrepreneuriat… C’est une politique contre-productive.
Que proposez-vous alors à la place ?
Il faut arrêter de légiférer dans l’urgence, avec des objectifs purement démagogiques.
Revoir la fiscalité de fond en comble. Transformer la TOB en une TTF (pour Taxe sur les transactions financières, ndlr) comme en France ou au Royaume-Uni. Supprimer la taxe Reynders. Créer un système simple, stable et prévisible. Une taxe à un taux faible, mais qui touche tout le monde, rapporte dès lors beaucoup et n’influence pas les comportements économiques. C’est ça, une bonne fiscalité.
Avez-vous parfois envie de jeter l’éponge ?
Cela fait 34 ans que je suis dans ce métier. Je ne peux pas jeter l’éponge. J’ai 135 collaborateurs et 21.000 clients. On va continuer à défendre leurs intérêts. J’espère encore que des députés dans la majorité auront le courage de dire non à cette taxe. Pas parce qu’il ne faut rien faire. Mais parce que cette taxe est mal conçue.
Vous semblez tout de même assez amer sur la situation ?
Il faut arrêter de légiférer dans l’urgence, avec des objectifs purement démagogiques. On a besoin de réformes fiscales durables et équitables, et qui respectent ceux qui créent de la valeur et de l’emploi dans ce pays.
Lire aussi| Tout savoir sur la taxation de vos plus-values