L’heure du rattrapage pour le “private equity” coté ?

Le Holding wallon Whitestone a tenu son premier Investor Day début juin. © PG/Barbara Brixhe

Alors que le marché du capital-investissement se redresse depuis près d’un an, les fonds cotés peinent en Bourse, accentuant leur décote. Le secteur conserve pourtant de solides arguments, comme l’a rappelé Whitestone lors de son Investor Day.

Durement éprouvé par l’inflation persistante et la remontée des taux d’intérêt entre mi-2022 et début 2024, le marché du private equity connaît depuis un net redressement. À l’échelle mondiale, le nombre de transactions supérieures à 100 millions de dollars a bondi de 45% au premier trimestre selon le Private Equity Pulse d’EY. En valeur, le volume de transactions a même doublé, une activité qui est traditionnellement favorable à une meilleure valorisation.

Hausse des décotes

Du côté des spécialistes cotés du private equity, la reprise tarde par contre à se faire sentir. L’indice mondial S&P Listed Private Equity, auquel appartient notamment la GIMV, n’affiche qu’un modeste gain de 9,7% sur un an, en dollars qui plus est. Depuis le début de l’année, le bilan est encore plus sévère : le private equity coté affiche un rendement en euros de – 14%, contre – 7% pour le S&P 500 et + 9% pour le Stoxx 600 européen.

Cette chute a creusé les décotes qui atteignent couramment de 30% à 40%. L’époque des primes par rapport à la valeur nette semble bel et bien révolue – à quelques rares exceptions près, comme 3i Group, qui affiche une prime spectaculaire de 62%. Une valorisation que le marché justifie principalement par la participation majoritaire du groupe dans l’enseigne néerlandaise Action, estimée par 3i à 17,8 milliards de livres, soit les trois quarts de son portefeuille. Une estimation jugée conservatrice. En valorisant Action comme le distributeur à succès américain Costco, sa valeur atteindrait 32,6 milliards de livres. Une hypothèse crédible, tant la croissance du discounter néerlandais impressionne : + 26% par an depuis 2012.

Fonds indiciel

Dans l’ensemble, la décote actuelle du private equity coté représente une opportunité d’autant plus intéressante que les perspectives de croissance à long terme restent solides. Le private equity joue un rôle clé dans la transmission d’un grand nombre d’entreprises détenues par des baby-boomers, tout en suppléant partiellement des marchés boursiers traditionnels, comme en témoigne la baisse marquée du nombre d’entreprises cotées. Ce phénomène est particulièrement visible en Belgique, où les retraits de la cote se multiplient tandis que les introductions en Bourse se raréfient. À l’échelle mondiale, la tendance est similaire : aux États-Unis, le nombre d’entreprises cotées a chuté de plus de 40% depuis 1996.

En Belgique, les retraits de la cote se multiplient tandis que les introductions en Bourse se raréfient. À l’échelle mondiale, la tendance est similaire.

Pour capter cette dynamique via une exposition diversifiée, les investisseurs peuvent se tourner vers l’indice S&P Listed Private Equity, accessible notamment à travers l’ETF iShares Listed Private Equity (code IPRA sur Euronext Amsterdam, avec des frais annuels de 0,75%). Parmi ses principales positions figurent 3i Group, le géant canadien Brookfield, ainsi que les poids lourds américains du secteur : Blackstone, KKR et Apollo.

Mini Berkshire

Une autre option est de cibler quelques spécialistes locaux comme le jeune holding wallon Whitestone Group, qui a tenu début juin son premier Investor Day. Librement inspiré de la célèbre grand-messe annuelle de Berkshire Hathaway orchestrée par Warren Buffett, l’événement a permis de mettre en lumière plusieurs participations clés. Sur les stands, GFI (ex-Gold Forex International), détenue à 100%, proposait même de souscrire sur place un plan d’investissement en or.

Si la foule n’avait rien de comparable à celle du CHI Health Center d’Omaha, une centaine de personnes s’étaient rassemblées dans le nouveau centre d’usinage d’ATIMA-TPIM à Herstal, vitrine de la “réalité industrielle du groupe”, dixit Gérard Lamarche, président de Whitestone.

L’événement avait aussi des accents résolument wallons, avec les interventions des dirigeants de Tilman, spécialiste des médicaments à base de plantes établi à Marche-en-Famenne, de Telemis, ex-spin-off de l’UCL et leader européen des logiciels d’imagerie médicale et des solutions de business intelligence hospitalière, ou encore du pôle Treestone. Ce dernier offre une gamme unique de solutions d’usinage sur mesure, couvrant plus de 1.000 matériaux, grâce au regroupement d’entreprises spécialisées issues des bassins liégeois et carolorégien.

Sans oublier Lambda-X Ophthalmics avec l’intervention remarquée d’Emmanuel Bois d’Enghien. Cette ex-filiale de Lambda-X, héritière de son savoir-faire en instrumentation spatiale, est une référence mondiale dans les instruments de mesure et de contrôle pour lentilles ophtalmologiques.

Doubler en cinq ans

La présentation de Frédéric Pouchain, CEO de Whitestone, était émaillée de clins d’œil à feu Albert Frère, dont l’héritage imprègne encore largement l’équipe, en grande partie issue de la CNP. Le nom même de Whitestone fait d’ailleurs référence à la rue de la Blanche Borne, à Loverval, adresse du QG historique de la famille Frère. Sur le fond, le dirigeant en a également profité pour clarifier les ambitions du holding.

Whitestone a connu un net coup d’accélérateur en 2024 grâce à une augmentation de capital de 60 millions. Celle-ci a été marquée par l’entrée au capital à hauteur de 38% de la famille d’Arnoud de Pret à la suite d’un investissement de 33 millions d’euros, dont 18 millions sous forme d’apport en nature. La famille d’Axel Moorkens a aussi pris une participation de 10%. Combinée à la revalorisation du portefeuille, ces opérations ont permis à Whitestone de franchir le cap des 100 millions d’euros d’actifs nets fin 2024.

Et Frédéric Pouchain voit déjà plus loin : l’objectif est de doubler la valeur des participations en cinq ans. Ce qui porterait les actifs nets à 200 millions d’euros d’ici 2030, hors opérations de croissance externe dans les participations ou nouvelles augmentations de capital, précise-t-il.

Convaincre les marchés

Le CEO est toutefois conscient qu’il faudra à la fois renforcer la notoriété de Whitestone et convaincre les investisseurs de la pertinence de la stratégie, tout en améliorant la liquidité du titre, pour que cette dynamique se reflète sur le cours de Bourse. Dans cette optique, la prochaine étape pour le holding est de définir une politique de dividende.
“Nous comptons reverser à nos actionnaires la moitié des plus-values réalisées, mais nous n’avons pas encore déterminé si cela se fera sur base annuelle ou de manière occasionnelle après la vente d’une participation, sachant que les marchés n’apprécient pas qu’un dividende ordinaire soit revu à la baisse”, précise-t-il.

Un autre enjeu pour le holding est de réaliser une première sortie rentable. À ce jour, l’appréciation du portefeuille repose uniquement sur des revalorisations comptables, Whitestone n’ayant encore procédé à aucune cession.

“Notre objectif est de faire tourner la moitié du portefeuille tous les cinq ans, sans pression puisque la structure de notre capital nous laisse toutefois toute liberté quant au timing de sortie. Ce qui nous permet d’optimiser la gestion du portefeuille en fonction des cycles macro- et microéconomiques, tout en conservant une certaine flexibilité dans l’accompagnement de nos participations, explique Frédéric Pouchain.

Pour soutenir la liquidité du titre, Whitestone a aussi sollicité trois analystes pour suivre l’action (Degroof Petercam, Kepler Cheuvreux, KBC Securities). Actuellement, la valeur intrinsèque est estimée par ces trois maisons à entre 16,7 et 16,9 euros par action.

Parmi les acteurs belges du “private equity”, Sofina est aujourd’hui le favori des analystes. © BELGAIMAGE

Chouchous des analystes

Parmi les acteurs belges du private equity, Sofina est aujourd’hui le favori des analystes, avec quatre avis positifs sur quatre et un objectif de cours à 12 mois supérieur à 300 euros. Le holding de la famille Boël a traversé une période difficile, entre le repli du marché du private equity et les déboires de sa participation dans Byju’s. Mais elle a su rebondir comme l’illustre la hausse de 14% de sa valeur intrinsèque en 2024 à 311,8 euros par action. Son principal atout est de combiner des investissements directs dans des sociétés prometteuses (ByteDance – Tiktok –, Nuxe, Veepee) et des participations diversifiées dans des fonds de private equity.

Parmi les acteurs belges du “private equity”, Sofina est aujourd’hui le favori des analystes.

Autre acteur très suivi, D’Ieteren, qui bénéficie de huit conseils d’achat sur neuf. Si le holding a diversifié ses actifs (Moleskine, PHE, TVH…), il reste très exposé à Belron, leader mondial du vitrage automobile (Carglass…). Entre 2019 et 2024, Belron a vu son profit opérationnel plus que tripler, porté par l’essor des systèmes d’aide à la conduite (ADAS), créant une forte barrière à l’entrée et de nouvelles sources de revenus. Kris Kippers, chez Degroof Petercam, évalue la valeur intrinsèque de D’Ieteren à 301 euros et a fixé un objectif de cours de 241 euros en tenant compte d’une décote de holding de 20%.

GIMV et Brederode

Fondée en 1980 comme bras financier du gouvernement flamand, GIMV s’est depuis privatisée et a étendu son rayon d’action. Elle investit aujourd’hui directement dans des entreprises en croissance à travers cinq plateformes thématiques : consommateur connecté, soins de santé, sciences du vivant, industries intelligentes et villes durables. Le holding a récemment procédé à une augmentation de capital afin de renforcer ses capacités d’investissement. Une opération qui a toutefois pesé sur le cours en Bourse, désormais nettement décoté par rapport à sa valeur intrinsèque de 53,2 euros par action, ce qui explique les conseils d’achat émis par trois analystes sur quatre.

Enfin, Brederode, présidé par Bruno Colmant, affiche un profil plus mixte. Un tiers de son portefeuille est composé de participations cotées diversifiées, mais c’est surtout son exposition historique à un vaste ensemble de fonds de private equity – gérés par des maisons de renom telles que Carlyle, EQT, Bain Capital ou Ardian – qui fait sa force. Ces investissements ont généré un taux de rentabilité interne annuel de 19% sur 10 ans. Affichant une décote sensible par rapport à sa valeur comptable de 141,4 euros par action fin 2024, Brederode reste une alternative attractive.

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