Le secteur européen de la défense est en chute en bourse cette semaine, suite aux négociations autour de l’Ukraine. Cette correction serait plutôt saine, après un rallye impressionnant, selon Jérémie Peloso, expert chez BCA Research. À long terme, et même en cas de paix, les perspectives ne changent cependant pas et restent positives.
Les actions européennes de la défense sont dans le dur en bourse ces deux derniers jours. Leonardo par exemple a perdu plus de 11% ce mardi. Rheinmetall 5%. L’indice du secteur, le Stoxx Europe Aerospace & Defense a perdu près de 3% ce mardi et laisse de nouveau 0,7% ce mercredi (mais repartent déjà à la hausse ce jeudi).
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Ces baisses peuvent s’expliquer par ce qui transparaît des négociations entre les Etats-Unis, l’Europe, l’Ukraine et la Russie. Un élément notamment semble avoir découragé les investisseurs : l’Ukraine qui pourrait acheter pour 100 milliards de dollars d’armements aux États-Unis, avec l’argent de ses alliés européens. La perspective d’une fin du conflit pourrait aussi limiter les investissements des pays européens dans leur propre défense, estiment certains, alors que la hausse des dépenses militaires a justement été le moteur du rallye de la défense (+50% pour l’indice du secteur depuis le début de l’année, et +165% pour Rheinmetall).
“C’est une correction en termes de performance relative par rapport aux noms américains. C’est une situation à laquelle nous nous attendions, mais elle a finalement pris beaucoup plus de temps que prévu à se manifester”, nous explique Jérémie Peloso, expert des actions européennes et auteur de différentes études sur le secteur de la défense chez BCA Research. En devises locales, la défense européenne faisait donc mieux que la défense américaine en bourse cette année. Mais avec cette rechute de ces deux derniers jours, Wall Street a pris les devants.
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Une correction pendait-elle au nez du rallye de la défense ?
Pour l’expert, entre l’Ukraine, l’Europe, la Russie et les Etats-Unis, “rien n’est encore fait”. La réaction du marché serait selon lui excessive par rapport aux nouvelles. Mais cela témoignerait justement que le rallye était susceptible à une correction.
“Il y a eu beaucoup trop de bonnes nouvelles qui ont été très rapidement incluses dans les prix, dans ce rallye. Si on le décortique un peu, depuis le début de l’année… Tout a commencé avec l’annonce des 400 milliards d’euros de dépenses pour le budget militaire de l’Allemagne. C’est vraiment cela qui a secoué le secteur entier européen. Alors que, quand on regarde en détail les tendances en termes de dépenses militaires de l’Allemagne, on se rend rapidement compte que depuis 2010, 50% de ces dépenses profitent aux États-Unis. C’est une tendance qui va peut-être s’inverser, mais cela va prendre plusieurs années”, retrace l’expert. Puis ces 400 milliards d’euros seront dépensés sur dix ans, donc 40 milliards par an, et tout cet argent doit encore être investi. Des sommes qui ne sont “jamais suffisantes pour justifier un tel rallye du secteur de la défense européenne.”
Autre point : un investissement indiscriminé dans tout ce qui est défense. “Quand on regarde la répartition des revenus en termes de revenu militaire ou revenu des activités commerciales, par exemple aéronautiques, des entreprises en question, on se rend compte que beaucoup de titres européens qui ont surperformé de manière exceptionnelle cette année sont très peu exposés à la défense. Mais leurs noms apparaissent dans les indices et ETF du secteur. Les flux des investisseurs depuis le début de l’année n’ont donc pas été discriminatifs. Cela a été un flux massif, sans vraiment essayer de regarder quels seront réellement les grands gagnants du secteur de la défense à moyen et long terme.”
Bref, certaines bases de ce rallye peuvent être un peu branlantes. Et à la moindre nouvelle un peu moins positive, les titres peuvent donc subir des rechutes. Surtout qu’ils ont réalisé des hausses “survitaminées”. Un essoufflement du rallye, voire un retrait “sain et nécessaire” est ainsi possible pour Jérémie Peloso, mais il ne voit pas les titres retomber à leur niveau en début d’année, avant le début du rallye, pour autant. Les États-Unis pourraient de nouveau surperformer l’Europe, mais les entreprises américaines connaissent aussi quelques défis, comme les chaines d’approvisionnement et les impacts des droits de douane. Voilà un “léger renversement de situation, mais sur le moyen à long terme, c’est une virgule dans l’histoire du secteur de la défense mondiale”, métaphore le spécialiste.
Long terme
Correction européenne et possible surperformance de Wall Street sont donc actuellement à l’agenda. Mais au-delà, les perspectives à long terme restent très positives. “Quand je parlais des bonnes nouvelles incluses dans les prix, cela ne concernait pas les augmentations de dépenses pour les membres de l’OTAN. Elles s’inscrivent plutôt dans le scénario structurellement positif pour le secteur de la défense globale. On continue d’évoluer dans un monde multipolaire avec l’émergence de différentes puissances qui ne sont pas forcément alignées. Donc ce cas qui supporte le secteur de la défense, structurellement parlant, est toujours là et il est intact. D’autant plus pour l’Europe qui a été relativement à la traîne sur les 30 ou 40 dernières années, il y a là beaucoup de rattrapage à faire”, remarque Jérémie Peloso.
Il ne s’attend pas non plus à un revirement de situation face à la Russie ; par exemple, si un accord de paix était trouvé entre l’Ukraine et la Russie, l’Europe ne baisserait pas sa garde et ne reviendrait pas sur ses ambitions en matière de hausse des dépenses de défense. Accord de paix duquel on serait encore loin, cela dit.
“Il me semble qu’il y a une réelle prise de conscience par rapport aux intentions d’agression, notamment territoriale, de la part de la Russie de Vladimir Poutine. On avait eu la Géorgie, on a eu la Crimée. Il semblerait qu’il y ait une sorte de leitmotiv. Il y a aussi le levier économique que Vladimir Poutine a tenté d’utiliser en 2022 en coupant les exportations de gaz naturel et de pétrole, cela ajoute également à la menace militaire et territoriale. Dans le passé, on avait ces agressions… puis les leaders européens, notamment Angela Merkel, essayaient de ramener la Russie et Poutine, de les réintégrer de manière économique. Mais 2022 est une année pivot avec l’agression militaire de l’Ukraine et économique de l’Europe. On le voit dans la communication de nombreux leaders européens, qui ont une position très dure envers la Russie”, décrit l’expert.
À côté de la Russie, il y a aussi un autre élément qui empêcherait l’Europe de revenir sur ses ambitions d’armement. Et il vient de l’autre côté de l’Atlantique : Donald Trump a maintes fois indiqué qu’il souhaite que l’Europe paie davantage pour sa propre protection. Le parapluie de défense américain est donc remis en question. Ces deux éléments sont donc structurellement positifs pour le secteur européen de la défense.