Gemini au Nasdaq: les Winklevoss valent-ils plus que leurs chiffres ?

A screen displays an image of Gemini co-founders Tyler Winklevoss and Cameron Winklevoss, during the company's IPO at the Nasdaq MarketSite in New York City, U.S., September 12, 2025. REUTERS/Jeenah Moon. © REUTERS

Une IPO réussie et un solide ancrage politique ne suffisent pas à masquer les faiblesses de Gemini, le groupe crypto fondé par les frères Winklevoss.

Le 12 septembre, Gemini, la plateforme américaine d’échange de cryptomonnaies créée par les jumeaux Cameron et Tyler Winklevoss, a fait ses débuts au Nasdaq. L’action a clôturé 14 % au-dessus du prix d’introduction, à 32 dollars, portant la capitalisation boursière au-delà de 3,5 milliards de dollars. L’introduction a permis de lever 425 millions de dollars.

Fondée en 2014, Gemini gère aujourd’hui plus de 21 milliards de dollars d’actifs et propose, outre son exchange, une stablecoin adossée au dollar, des services de prêt, des coffres numériques et une carte de crédit offrant des récompenses en cryptomonnaies. Fait notable, Nasdaq a lui-même investi 50 millions de dollars via un placement privé.

Cependant, la situation financière reste préoccupante : au premier semestre 2025, Gemini a enregistré une perte nette de 282,5 millions de dollars pour un chiffre d’affaires de 68,6 millions, en forte baisse par rapport à la même période un an plus tôt.

La valorisation paraît élevée. Au prix d’introduction de 28 dollars par action, Gemini se négocie à environ 25 fois le chiffre d’affaires des quatre derniers trimestres, souligne le Financial Times. À titre de comparaison, Robinhood, profitable et offrant un périmètre de services plus large, est valorisée autour de 20 fois ses revenus, tandis que Coinbase, qui traite un volume vingt fois supérieur à celui de Gemini, n’est valorisée qu’à 7 fois ses revenus. Le succès de Gemini semble donc davantage reposer sur le nom et l’image des frères Winklevoss que sur ses performances financières.

Leur combat contre Zuckerberg

L’histoire des frères Winklevoss remonte à bien avant Bitcoin. Cameron et Tyler, jumeaux identiques nés en 1981, ont grandi dans un milieu aisé à Greenwich et ont intégré l’équipe de rameurs olympiques des États-Unis. Aux Jeux de 2008 à Pékin, ils ont terminé sixième dans la catégorie deux sans barreur.

Ils sont surtout connus pour leur conflit avec Mark Zuckerberg. Pendant leurs études à Harvard, ils avaient développé un réseau social, HarvardConnection, devenu plus tard ConnectU, et ont accusé Zuckerberg d’avoir volé leur idée pour créer Facebook. Une procédure judiciaire a abouti à un accord de 65 millions de dollars en cash et en actions, capital qui leur a servi de tremplin vers la tech.

C’est en 2012, sur une plage à Ibiza, qu’ils découvrent le Bitcoin, selon Bloomberg. Il était encore à moins de 10 dollars et ils ont investi une partie de leur indemnité pour acquérir environ 1 % de tous les bitcoins existants. Ce pari allait en faire des milliardaires et poser les bases de Gemini, créé en 2014.

Une approche réglementée et prudente Au début, leur devise était “Revolution needs rules” (« une révolution a besoin de règles »). L’objectif était de rendre la crypto respectable. Gemini a été l’une des premières plateformes à obtenir une licence officielle dans l’État de New York.

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Pourtant, ce sérieux ne s’est pas traduit en part de marché.Tandis que Coinbase et Kraken élargissaient leur offre et recrutaient agressivement, Gemini ne captait qu’une fraction du marché.

Dans l’entourage de Trump

Après le krach crypto de 2022, Gemini et le créancier Genesis ont lancé le produit Earn. Lorsque Genesis a fait faillite, plus d’un milliard de dollars de dépôts clients a été gelé, entraînant des enquêtes et un accord de 50 millions de dollars avec le procureur général de New York. Les frères, longtemps favorables à une régulation stricte, se sont soudainement opposés aux autorités.

En 2024, les frères ont participé à une levée de fonds pour Donald Trump. Le candidat à la présidence a immédiatement été séduit tant par leur apparence que par leur histoire face à Zuckerberg. Il les a ensuite qualifiés de « top modèles masculins avec un grand et beau cerveau ».

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Depuis cette levée de fonds, organisée par l’actuel « tsar de la crypto » de Trump, David Sacks, les frères Winklevoss sont devenus des invités réguliers dans l’entourage de Trump. Ils ont ensuite fait don de 21 millions de dollars en bitcoins à un fonds républicain soutenant les politiciens favorables à la crypto. Leur soutien a porté ses fruits : après la réélection de Trump, la régulation de la crypto a été assouplie et les enquêtes contre Gemini ont été closes.

Leur fortune personnelle, estimée à 14 milliards de dollars, a augmenté de 60 % depuis la victoire électorale de Trump.

Une IPO soutenue par les fondateurs

Dans ce contexte, Gemini a décidé de se lister en Bourse. Initialement, l’entreprise visait 300 millions de dollars, mais la demande a permis de lever davantage. Les petits investisseurs via des apps comme Robinhood et SoFi ont été très présents. Grâce à une structure avec actions à droit de vote renforcé, les frères conservent plus de 95 % du contrôle.

Détail notable : une part importante des cryptomonnaies figurant au bilan de Gemini, près de 800 millions de dollars, ne provient pas des clients mais de la trésorerie personnelle des frères Winklevoss. Ces bitcoins et ethers servent de collatéral pour obtenir des prêts en liquidités auprès de tiers, rapporte le Financial Times. Même après l’introduction en Bourse, l’entreprise continue donc de s’appuyer sur des flux financiers issus de leur portefeuille personnel, avec un taux d’intérêt de 4 % versé directement à Cameron et Tyler. Cela alimente les critiques selon lesquelles l’IPO a surtout servi à alléger leur bilan personnel plutôt qu’à financer la croissance de Gemini.

Les promesses de croissance en sont encore à un stade précoce. Une carte de crédit offrant des récompenses en cryptomonnaies a attiré 30 000 nouveaux utilisateurs en août, en Europe des expérimentations sur des actions tokenisées sont en cours, et une stablecoin maison a été lancée. Cependant, cette monnaie n’occupe que la 64ᵉ place mondiale et les effets d’échelle restent loin d’être assurés.

Pour les investisseurs, Gemini reste donc un pari sur la notoriété de ces deux personnalités. La comparaison avec Tesla est rapide : Elon Musk a des produits tangibles qui séduisent mondialement, ce que les Winklevoss n’ont pas. Leur célébrité peut être un atout médiatique mais aussi un handicap si les résultats financiers continuent de décevoir.

Un potentiel “meme stock”

Selon Tim Broekmans, analyste crypto et fondateur de TradePremium, Gemini n’est pas un titre intéressant. Il estime qu’il est surévalué et devra, comme Circle, revenir à une valeur plus réaliste. « Les chiffres révèlent que l’entreprise est fondamentalement fragile. » Selon lui, même un soutien massif des investisseurs particuliers ne donnera à Gemini que l’apparence d’un meme stock. « On peut éventuellement y réaliser des gains à court terme, mais la société reste fondamentalement en mauvaise santé. »

Pour les investisseurs qui souhaitent néanmoins se lancer dans ce secteur, il préfère mettre en avant d’autres valeurs. « Coinbase fait partie de mes favoris. L’entreprise connaît une croissance solide, profite de l’adoption généralisée et est basée aux États-Unis, ce qui constitue un avantage. Robinhood m’intéresse également, et je compte bien creuser cette piste prochainement. »

Dans le monde de la crypto, les frères Winklevoss ne sont pas vraiment considérés comme des acteurs majeurs. « On parle très peu d’eux. Leur notoriété repose surtout sur l’histoire de Facebook, mais dans la crypto, ils n’ont pas encore obtenu les succès de quelqu’un comme Brian Armstrong chez Coinbase. Ce sont ces personnes-là qui comptent vraiment. »

L’introduction en Bourse de Gemini s’inscrit dans une vague plus large de sociétés cryptos cherchant à se coter. Sous Trump, Circle et Bullish étaient déjà entrées en Bourse, toutes deux avec un solide succès dès le premier jour. En août, Figure Technology Solutions a également levé plusieurs centaines de millions de dollars.

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Laurens Bouckaert

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