Comme tous les six mois, nous analyserons ici l’évolution prévisionnelle des 10 principales devises du point de vue de l’investisseur belge. Nous passerons donc en revue les quatre dollars (USD, CAD, AUD et NZD), la livre sterling (GBP), les couronnes danoise (DKK), norvégienne (NOK) et suédoise (SEK), ainsi que le franc suisse (CHF) et la lire turque (TRY). Nous reviendrons pour commencer sur le semestre écoulé, avant d’exposer nos prévisions économiques et monétaires pour le reste de l’année.
Nous n’escomptons pas de chute, mais bien un ralentissement du dollar américain dans les mois qui viennent. Quant à la couronne norvégienne, elle devrait enfin pouvoir concrétiser les attentes dont elle fait l’objet.
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Dollar américain (USD)
L’économie américaine a légèrement ralenti entre janvier et juin 2025. L’inflation persistante (2,35%, pour un objectif fixé à 2%) l’a empêchée d’effectuer l’atterrissage en douceur espéré. En maintenant ses taux directeurs entre 4,25% et 4,50%, la Réserve fédérale (Fed) a freiné la consommation et les investissements.
Malgré une légère accélération du chômage, le marché de l’emploi est resté raisonnablement solide. La Fed tente donc de trouver un juste équilibre entre lutte contre l’inflation et volonté d’éviter une récession.
Assez volatil, le dollar a dans un premier temps profité des taux plus élevés que dans la zone euro, dont la politique monétaire avait déjà été assouplie. Les tensions géopolitiques ont incité les investisseurs à se ruer sur ce qui reste une valeur refuge, mais les spéculations au sujet d’éventuelles baisses des taux ont fini par provoquer un affaiblissement progressif du billet vert par rapport aux autres devises.
La Réserve fédérale envisage de revoir ses taux directeurs à une ou deux reprises au second semestre, en fonction de l’évolution de l’inflation. Un atterrissage en douceur de l’économie, sur fond de ralentissement de l’inflation et de croissance positive limitée, est toujours possible. Reste que la pression persistante exercée par les prix, les incertitudes géopolitiques et les velléités protectionnistes sont des sources de risques. Tant que des diminutions de taux seront de l’ordre du possible, le dollar sera fragilisé. Mais comme son statut de monnaie de réserve mondiale continue de le soutenir, il va se déprécier, pas s’effondrer.
Dollar canadien (CAD)
Aux mois de janvier et mars, la Banque du Canada a ramené ses taux directeurs à 2,75%, soit deux points de pourcentage de moins qu’un an auparavant. L’inflation est tombée à 1,74%. L’économie a connu une croissance modérée, accompagnée d’un léger ralentissement du marché du travail.
Le CAD a marqué le pas, en raison, principalement, de l’écart de taux avec l’USD. La volatilité des prix du pétrole, un des principaux produits d’exportation canadiens, a elle aussi contribué à cet alanguissement. L’inflation devrait continuer de refluer, et de nouvelles baisses de taux ne sont pas à exclure. L’économie devrait progresser de 1,5% environ. La faiblesse du CAD persistera sans doute aussi longtemps que la Fed maintiendra ses taux directeurs à des niveaux élevés, mais une hausse des prix du pétrole ou un assouplissement de la politique de la Réserve fédérale américaine seraient de nature à soutenir la devise. Avec un ratio de 1,57 CAD pour 1 EUR, celle-ci est historiquement mal portante.
Dollar australien (AUD)
La Banque centrale australienne a abaissé son taux directeur à deux reprises pour l’amener à 3,85%, un niveau historiquement bas. Si l’inflation n’a plus dépassé 2,4%, l’inflation sous-jacente s’est montrée exagérément élevée. L’économie a souffert de la flambée des coûts et des taux, que les exportations vers la Chine ont en partie compensée.
Soutenu par les exportations de matières premières et les signaux favorables en provenance de Chine, et malgré l’assouplissement de la politique monétaire du pays, le dollar australien est resté relativement stable face au billet vert. L’inflation n’est pas encore totalement maîtrisée, ce qui rend incertaines de nouvelles baisses de taux. L’AUD devrait rester légèrement sous tension, à moins que les prix des matières premières ne se redressent et que la croissance chinoise ne s’intensifie. La devise s’échange actuellement à 1,77 AUD pour 1 EUR, un plancher historique là aussi.
Dollar néo-zélandais (NZD)
La Nouvelle-Zélande s’est remise de la récession de 2024. Son produit intérieur brut (PIB) a progressé de 0,8% au premier trimestre. Le pays déplore toutefois une fuite massive des cerveaux (plus de 150.000 personnes), souvent au profit de l’Australie. Le ralentissement de l’inflation (2,5% au premier trimestre) a autorisé la Banque centrale à faire tomber, en deux phases, ses taux directeurs à 3,25%.
Ces révisions de taux et une politique très éloignée de la politique américaine ont pesé sur le NZD, que l’augmentation des prix des produits laitiers et la reprise du tourisme ont en revanche partiellement soutenu. Les volumes exportés ont augmenté, tandis que le nombre de touristes atteignait 93% du niveau d’avant la crise sanitaire.
La croissance du PIB devrait atteindre 1,4% cette année. De nouvelles diminutions de taux ne sont pas à exclure. Le NZD reste sensible aux différences de taux, aux prix des matières premières et au sentiment des marchés boursiers mondiaux. Une reprise économique vigoureuse et des prix corrects des produits laitiers seraient de nature à le soutenir, mais aucun renversement structurel de tendance ne semble être à l’ordre du jour.
Livre sterling (GBP)
Aujourd’hui stabilisée, l’économie britannique sort d’une période d’inflation persistante (3,99%). Malgré deux baisses successives, ses taux directeurs sont restés élevés, à 4,25%. Pour le moins tendu, le marché du travail s’est caractérisé par une forte croissance salariale, mais les dépenses de consommation et les investissements sont demeurés timides.
La livre s’est montrée volatile. Elle a bénéficié de la position restrictive de la Banque d’Angleterre, en particulier face aux devises des régions ayant d’ores et déjà opéré un assouplissement. Le rapport GBP/USD est toutefois resté relativement stable – tout au plus s’est-il légèrement resserré.
L’inflation pourrait évidemment inciter la Bank of England à sabrer à nouveau dans ses taux. Elle devrait progressivement s’approcher des 2%, un chiffre qu’elle n’atteindra toutefois vraisemblablement pas encore cette année. La croissance s’accélère légèrement, à 0,75%-1,0%. La livre se montre toujours sensible aux différences de taux. Les diminutions de taux pourraient temporairement l’affaiblir, surtout en regard d’un dollar fort, mais la reprise économique et le ralentissement de l’inflation pourraient la soutenir à terme.
Couronne norvégienne (NOK)
Portée par les excellents résultats du secteur pétrolier et gazier, l’économie norvégienne a fait preuve de dynamisme au cours des six premiers mois de l’année. Si la Banque centrale les a – contre toute attente – abaissés à 4,25% en juin, la Norvège n’en demeure pas moins un des pays où les taux sont les plus élevés. Bien que sa politique monétaire restrictive ait pesé sur la demande domestique, le PIB a continué de croître. Un marché du travail toujours tendu a contribué à la valse des salaires et de l’inflation, laquelle est remontée à 3%.
Les taux plus élevés que ceux des autres pays ont soutenu la couronne, qui s’est appréciée de 0,60% depuis le début de l’année. Simultanément, elle est restée sensible à l’évolution des prix du pétrole et au sentiment des investisseurs internationaux. L’augmentation des prix du pétrole aide la NOK à s’apprécier, là où leur diminution et les tensions géopolitiques la mettent en difficulté. L’avantage de taux et la stabilité des prix de l’énergie ont permis à la devise de faire preuve d’une relative résistance.
Un nouveau ralentissement de l’inflation et une légère intensification du chômage ouvrent la voie à une stratégie d’assouplissement. La croissance économique restera modérée ; elle sera soutenue par le secteur de l’énergie ainsi que, peut-être, par une reprise de la demande domestique.
Les écarts de taux, le cours de l’or noir et la croissance mondiale continueront d’influencer la devise. À brève échéance, les resserrements des taux directeurs pourraient l’affaiblir, mais elle se redresserait très probablement si le pétrole devait rester onéreux et le sentiment mondial, demeurer favorable. La Norges Bank prévoit d’abaisser ses taux (à 4% ou 3,75% sans doute) à une ou deux reprises encore cette année. Nous sommes pleinement optimistes à l’égard de la couronne norvégienne, surtout par rapport à la couronne suédoise et à l’euro, et plus particulièrement encore si la Norges Bank se montre moins agressive vis-à-vis de ses taux que la Banque centrale européenne (BCE). Peut-être la devise pourrait-elle enfin satisfaire, cette année, aux attentes dont elle fait l’objet.
Couronne suédoise (SEK)
Pendant que l’inflation grimpait jusqu’à atteindre 2,28%, la Riksbank a abaissé son taux directeur à 2%. L’intensité des exportations, les investissements et les dépenses de consommation ont soutenu la prudente poursuite de la reprise économique. La couronne est restée stable – elle s’est même légèrement appréciée, malgré les diminutions de taux.
Ces derniers devraient demeurer inchangés jusqu’à la fin de l’an prochain, sauf en cas de ralentissement économique. Le gouvernement a fait tomber ses prévisions de croissance pour 2025 à 1,8%. L’inflation tourne toujours autour de 2%. La couronne suédoise reste sensible aux écarts de taux et à l’évolution de la croissance mondiale. Un vigoureux redémarrage et un climat favorable à la prise de risques pourraient permettre à terme à la devise de se renforcer face à l’euro, mais le creusement du spread avec le dollar constitue un écueil.
Couronne danoise (DKK)
L’économie danoise a affiché une croissance stable grâce, surtout, à l’excellente santé de son secteur pharmaceutique. Son PIB a filé, sur fond de marché du travail dynamique et de faible taux de chômage. La Banque nationale s’est alignée sur la politique de taux de la BCE (2,47%). Après avoir atteint un sommet en février, l’inflation est retombée à 1,52%. Son système de taux de change fixe a permis à la couronne danoise de se maintenir face à l’euro (7,46 DKK environ pour 1 EUR).
Même si la croissance venait à légèrement ralentir, les perspectives demeurent positives. Le PIB devrait progresser de 2,9%, soit bien mieux que la moyenne européenne. L’inflation n’atteindra sans doute même plus 2% ; enfin, le maintien de la politique de taux de change fixe devrait assurer la stabilité de la couronne.
Franc suisse (CHF)
La vigueur de sa devise, entre autres, a valu à la Suisse d’acter une légère déflation (-0,10%), doublée d’un ralentissement de ses exportations. Soucieuse de stimuler la demande domestique et de lutter contre la déflation, la Banque nationale a abaissé son taux directeur à 0% pour la première fois depuis 2022.
Toutes les banques centrales n’ayant pas modifié leurs taux, le franc s’est affaibli, ce qui ne l’a pas empêché de clore le semestre en hausse de 1,5% en glissement annuel. Une croissance économique modérée et une inflation toujours atone, doublées d’une politique stimulante de la Banque nationale, sont attendues pour la deuxième moitié de l’année. Les écarts de taux avec le dollar et l’euro maintiennent la pression sur la devise. Les exportations, le commerce mondial et le marché immobilier sont à surveiller. Le franc reste une valeur refuge, à telle enseigne qu’il s’est apprécié de 12% face à l’euro en cinq ans.
Lire turque (TRY)
La Turquie a enregistré une croissance modérée et une baisse de son taux directeur (jusqu’à 42,50% en mars, avant toutefois de repasser à 46% en avril). L’inflation est tombée de 75% en 2024 à 35,4% en mai 2025. Le tourisme a atteint un niveau record et le gouvernement a su préserver la discipline budgétaire.
La lire conserve une trajectoire descendante. En juin, un euro coûtait 46 lires, soit 31% de plus qu’un an auparavant et 500% de plus qu’il y a cinq ans. L’objectif est de ramener la flambée des étiquettes sous la barre des 20% l’an prochain ; la Banque centrale ne reviendra du reste sur ses taux directeurs qu’en cas de désinflation manifeste. Le renforcement du dynamisme économique passera inévitablement par des réformes structurelles. Malgré de légères améliorations, la lire reste vulnérable à l’inflation persistante, aux incertitudes politiques et au manque de stabilité internationale.
Fluctuations en vue
Cette année, ce sont les Banques centrales qui, avec leur politique de taux et leur stratégie de lutte contre l’inflation, guident l’évolution des marchés des changes. Le dollar conserve sa prédominance mondiale, mais certaines devises ne sont pas en reste. Les matières premières, la situation géopolitique, les relations commerciales et les marchés de l’emploi sont des paramètres déterminants de cette évolution. Quiconque négocie ou investit à l’international doit surveiller non seulement les chiffres, mais aussi, et surtout, la dynamique entre croissance, inflation, taux et sentiment du marché. Les mois qui viennent sont incertains, mais ils seront aussi source d’opportunités pour qui saura réagir rapidement aux fluctuations des marchés des changes internationaux.