Dassault Aviation: une action sous-évaluée dans le secteur de la défense et un challenger de l’avion de combat F-35

Le groupe français Dassault Aviation est un acteur clé du secteur de la défense. Un acteur qui bénéficiera du réarmement en Europe. L’entreprise produit les Rafale, des avions de chasse qui occupent une place croissante dans les forces armées européennes, mais aussi en Afrique et au Moyen-Orient. Pourquoi, malgré cette croissance, Dassault Aviation reste-t-il sous-évalué en bourse. Retour sur son histoire riche, mais singulière.
Depuis le début de l’année, l’action de Dassault Aviation a progressé de 47 %. Cette hausse, bien que significative, reste inférieure à celle d’autres entreprises du secteur de la défense, telles que le français Thales (+73,91 %) ou l’allemand Rheinmetall (+85,43 %). Par ailleurs, son ratio cours/bénéfice demeure relativement bas, à 24,51.
Pourtant, la solidité financière de Dassault Aviation ne fait aucun doute, et l’évolution du bénéfice par action (BPA) témoigne de réelles perspectives de croissance. De 13,46 euros en 2024, le BPA devrait atteindre 13,93 euros en 2025, puis 17,02 euros en 2026 et enfin 19,50 euros en 2027.
Un acteur central du réarmement européen

Dassault Aviation s’impose comme un pilier du renforcement militaire en Europe, notamment en raison de la décision des États membres de l’Union européenne d’augmenter leurs dépenses de défense. À titre d’exemple, la Belgique envisage d’augmenter son budget militaire pour dépasser les 2 % de son PIB.
Chez Dassault Aviation, les carnets de commandes sont déjà remplis pour les sept prochaines années, sans tenir en compte ces dépenses militaires supplémentaires.
La semaine dernière, lors d’un sommet exceptionnel à Bruxelles consacré à la défense et à la sécurité, les dirigeants européens ont approuvé le plan “Réarmer l’Europe” prévoyant jusqu’à 800 milliards d’euros d’investissements sur les quatre prochaines années. Cet accord a une nouvelle fois boosté les valeurs boursières européennes de la défense, qui connaissent déjà une forte hausse depuis le début de l’année.
Bien que les dirigeants européens soient rapidement parvenus à un accord, ce vaste plan a suscité bien des critiques de la part d’experts militaires. En effet, aucune décision claire n’a été prise quant aux équipements et aux appareils qui seront achetés en commun. En ce qui concerne les avions de combat, la France, la Grèce et la Croatie devraient logiquement privilégier le Rafale, puisque ce modèle équipe déjà leurs forces aériennes. La France possède environ 200 Rafale, tandis que la Grèce et la Croatie en comptent quelques dizaines chacun.
Une alternative européenne à la domination américaine
D’autres pays européens pourraient bien être eux aussi convaincus par le Rafale. L’Allemagne, qui possède actuellement des chasseurs F-35 de L’Américain Lockheed Martin, est en train de réévaluer une commande de 35 nouveaux appareils d’une valeur de 8,3 milliards d’euros. Selon Der Spiegel, plusieurs experts de la défense, dont Michael Schöllhorn, président d’Airbus, ont mis en avant les coûts élevés du F-35 ainsi que la forte dépendance stratégique qu’il implique vis-à-vis des États-Unis. De plus, des restrictions s’appliquent à la maintenance, à l’intégration et aux mises à jour logicielles. Jusqu’à présent, ces contraintes n’ont pas été déterminantes pour Berlin, mais elles pourraient le devenir si les relations transatlantiques venaient à se détériorer.
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Ces limitations expliquent également pourquoi de nombreux pays non européens privilégient le Rafale au détriment du F-35. L’Inde, l’Égypte et le Qatar en possèdent chacun plusieurs dizaines. L’Indonésie, avec plus de 40 unités, et les Émirats arabes unis, avec plus de 80 exemplaires, figurent parmi les plus importants acheteurs étrangers.
Le Rafale est en concurrence directe avec plusieurs autres chasseurs de combat : comme déjà mentionné, il y a F-35 américain de Lockheed Martin, mais aussi le F/A-18 de Boeing, l’Eurofighter Typhoon et le Saab Gripen. Parmi ces appareils, seuls l’Eurofighter et le Gripen sont des concurrents européens. En termes de prix, l’avion de Dassault Aviation se situe entre ces deux modèles : il est plus abordable que l’Eurofighter, mais plus onéreux que le Gripen. Ses performances, elles aussi, se positionnent entre celles de ses deux concurrents.
Après-guerre et développement
Un changement de nom après la Seconde Guerre mondiale, conjuguée à l’obstination française, a fait de Dassault le géant qu’il est aujourd’hui. À l’origine, cette entreprise parisienne a été fondée en 1929 sous le nom de Société des Avions Marcel Bloch. Les bombardiers et chasseurs MB qu’elle produisait ont été largement utilisés par l’aviation française pendant la guerre.
Son fondateur, Marcel Bloch, fils de parents juifs, fut fait prisonnier par les Allemands. Après la guerre, il changea son nom de famille en Dassault, en hommage à son frère aîné Paul, ancien général de l’armée française et résistant. Ce dernier utilisait le pseudonyme Chardasso, dérivé du terme char d’assaut. En 1947, l’entreprise adopta le nom de Société des Avions Marcel Dassault, avant de devenir Dassault Aviation.

Mais le constat est amer : l’équipement militaire français était en retard sur celui de l’Allemagne et du Royaume-Uni. Les avions MB étaient plus lents, moins maniables, moins fiables et faiblement armés. Ainsi après la Seconde Guerre mondiale, l’État français investit massivement dans son industrie de défense, avec des subventions à la recherche et au développement, ainsi que des commandes publiques.
Grâce à ces nouveaux moyens, Dassault créa en 1954 une division électronique dédiée au développement de radars, de systèmes de navigation et de missiles guidés. Dès 1956 et jusqu’aux années 1960, l’entreprise parisienne lança avec succès la série des avions Mirage, une gamme de bombardiers et de chasseurs qui marqua l’histoire de l’aviation militaire.
En 1967, Dassault accéléra sa consolidation avec l’acquisition de son concurrent Breguet Aviation. Cette opération permit de renforcer la recherche et développement du groupe et d’ouvrir la voie à de nouvelles coopérations, notamment avec la conception du chasseur Jaguar, fruit d’un partenariat franco-britannique dans les années 1970.
En 1977, Dassault développa également son premier jet privé.
L’obstination française
La coopération européenne dans le domaine des avions de combat prit forme en 1983, lorsque la France, l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni et l’Allemagne de l’Ouest lancèrent un programme commun qui allait aboutir à l’Eurofighter Typhoon. Le projet initial de Dassault, qui reposait sur un chasseur léger, polyvalent et exportable, fut rejeté par les Britanniques, qui privilégiaient un avion plus lourd et avec un plus large rayon d’action.
Ce refus marqua un tournant décisif : la France quitta le projet, garantissant ainsi à Dassault son indépendance. En 1986, l’entreprise dévoila le Rafale, son produit phare actuel, largement inspiré de la proposition initiale pour l’Eurofighter.
Deux ans plus tard, Dassault Aviation fut introduit en bourse dans le cadre de la privatisation progressive de l’industrie française de défense. En 1998, sa division électronique fut intégrée à Thomson-CSF, qui devint ensuite Thales, l’autre géant français du secteur. En échange, Dassault Aviation prit une participation de 24,6 % dans Thales. Cette participation est aujourd’hui valorisée à environ 12 milliards d’euros. Ce portefeuille constitue une assurance supplémentaire pour Dassault, en plus d’un carnet de commandes déjà bien rempli et de solides perspectives de croissance.
Dans un avenir plus lointain, vers 2040, la question est de savoir si l’histoire se répétera. À cette date, l’Europe développe conjointement une nouvelle génération d’avions de combat dans le cadre du projet Future Combat Air System (FCAS). Cette initiative est le successeur spirituel du projet Eurofighter des années 1980.
Le choix d’un chasseur unique pourrait permettre aux industries de défense européennes de mutualiser les coûts et de mieux rivaliser avec leurs concurrents américains. Dassault Aviation est impliqué dans ce programme aux côtés d’autres grands noms du secteur. Mais reste à savoir si le FCAS marquera une avancée vers une véritable coopération européenne, ou si l’obstination française finira une nouvelle fois par l’emporter.
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