Bruno Colmant : “La Bourse de Bruxelles n’est plus un choix privilégié pour les entreprises”

Bruno Colmant © BELGA
Charly Pohu

EnergyVision devrait être cotée dès ce vendredi. Qu’est-ce que cela dit sur la Bourse de Bruxelles, son attractivité et les perspectives d’autres introductions ? Éléments de réponse avec l’économiste Bruno Colmant.

L’introduction en bourse d’EnergyVision devrait avoir lieu ce vendredi, à la Bourse de Bruxelles. Il s’agirait de la première entrée depuis l’automne 2021 (hors spin-offs d’entreprises déjà cotées, comme Syensqo) pour Euronext Brussels. Une autre se prépare d’ailleurs, celle d’I-Care, mais elle a été reportée en raison de la volatilité accrue liée aux droits de douane de Trump. Ces IPO pourraient-elles ouvrir la voie à d’autres candidats belges ?

Pour Bruno Colmant, ancien directeur de la Bourse de Bruxelles et aujourd’hui professeur d’économie à l’ULB et à l’UCLouvain, les perspectives pour de nouvelles introductions en bourse d’entreprises belges restent plutôt compliquées, et ce pour plusieurs raisons.

Trends-Tendances : L’IPO d’EnergyVision est-elle un bon signe pour l’attractivité de la Bourse de Bruxelles ? Et pour d’autres introductions ?

Bruno Colmant : “C’est un bon signe, oui. C’est une condition nécessaire, mais elle n’est pas suffisante. C’est bien d’avoir des augmentations de capital, mais s’il y a une IPO de temps en temps… la bourse devient alors plutôt une bourse de transaction qu’une bourse d’introduction. La bourse a deux fonctions. Il y a l’introduction, puis une fois que la société est cotée, il y a le marché transactionnel où l’on achète et vend des actions. Une bourse doit avoir les deux pour fonctionner : être liquide et attirer des nouvelles sociétés. Donc c’est un bon signe mais ce n’est pas suffisant. La bourse de Bruxelles n’est aujourd’hui plus un choix privilégié pour des entreprises.

Puis il y a encore un autre élément qui vient s’ajouter, qui pourrait décourager les investisseurs en bourse et les entreprises qui veulent lever des fonds auprès d’eux : la taxation des plus-values, en plus de la taxe sur les comptes titres. Un actionnaire qui achète en bourse va donc subir deux taxations. C’est beaucoup.

Après, bien sûr, il y a des boites qui vont se faire coter. Mais ce sera modique. Cependant, le marché n’est pas mort pour autant. Il y a de la volumétrie, il y a des transactions tous les jours, il y a de grands groupes qui sont cotés, comme AB InBev, KBC, etc. Donc c’est un bon signe, mais l’hirondelle ne fait pas le printemps.”

Est-ce une particularité belge ?

“Non, c’est une particularité des petits marchés. Ce n’est pas la faute de la bourse. Il y a 40 ans, la Belgique était une place financière importante est respectée. Mais depuis qu’on est entré dans la zone euro et qu’on a la même monnaie, le fait d’être dans un petit pays qui a une bourse moins liquide, n’est pas un avantage mais un désavantage. Quand on a abandonné le franc, on a abandonné un particularisme belge. Si je suis une société d’envergure, j’aurais peut-être envie de me faire coter à Paris, voire aux États-Unis. Sur une grosse place financière où il y a beaucoup de volumétrie. Bruxelles est en concurrence avec d’autres places boursières, et bien légitimement d’ailleurs. Pour I-Care par exemple, dont je suis administrateur et dont l’introduction a été reportée car avec Trump, il n’y a pas la moindre prévisibilité politique, l’idée était aussi de considérer le Nasdaq, sans avoir fait de choix définitif.

La Belgique est en plus un marché de PME (petites et moyennes entreprises, NDLR), et même les grosses sociétés belges ont une capitalisation minuscule, d’un point de vue mondial.”

Ces PME ne peuvent-elles pas être des candidates pour une entrée en bourse ?

“C’est plutôt compliqué. Elles sont souvent dans une forme d’actionnariat familial. Qui préfère gérer l’entreprise au sein de la famille, ou ouvrir le capital à d’autres familles, que d’aller en bourse. Car ces entreprises voient des désavantages en bourse : il y a des obligations de reporting et comptables très importantes. C’est une surveillance prudentielle qui est légitime, bien sûr, mais elle est lourde à porter pour une petite entreprise. Puis une fois en bourse, on ne contrôle plus sa boite, mais ce sont les actionnaires. Pour un dirigeant d’entreprise, c’est perdre un peu de sa liberté. 

Quand j’ai dirigé la bourse à la fin des années 2000, on avait commencé à développer un marché de PME cotées mais qui n’a pas vraiment démarré. Les PME cotées s’accommodent mal de toutes les règles de reporting, etc. Ce que j’ai remarqué, c’est qu’une boite petite ou moyenne n’est pas faite pour la bourse. Comme la Belgique est un tissu de PME, naturellement, il n’y a pas un flux important d’entreprise qui veulent se faire coter.”

On peut avoir l’impression d’effectivement plus entendre parler des entreprises qui sont récemment sorties de la bourse ou pourraient être candidates à la sortie, plutôt que de celles qui pourraient y entrer.

“C’est à cause de la réglementation. Ce qui dérange les entreprises, c’est que la liberté d’action du management est bridée. La bourse ne comprend pas toujours bien quels sont les plans à long terme. Si vous êtes un génie inventif et avez une vision tout à fait singulière pour aller d’un point à un autre avec votre entreprise, la bourse ne vous donne pas le temps et n’a pas le temps d’attendre que vous réorganisiez votre entreprise. C’est assez fréquent aux Etats-Unis : des entreprises qui sortent de bourse parce que les patrons se disent que les changements qu’ils veulent faire sont tellement massifs, qu’ils vont perdre tellement de temps à décevoir la bourse parce que c’est un changement structurel auquel elle n’aura pas le temps de s’adapter et que le cours sera en chute. C’était le cas de Dell, par exemple (sortie en 2013 et retour à la bourse en 2018, NDLR).”

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