Portées par une croissance économique globalement solide et quelques pépites technologiques, les Bourses d’Europe centrale et orientale dominent la hiérarchie mondiale cette année. L’incertitude géopolitique freine toutefois leur revalorisation.
Une fois n’est pas coutume, les marchés européens surclassent nettement Wall Street en 2025. En cinq mois, l’indice Stoxx Europe 600 affiche une avance record de 18 points de pourcentage sur le S&P 500 en termes de rendement total, dividendes et effets de change compris. Cette performance traduit une rotation marquée des portefeuilles, les investisseurs se détournant des actifs américains, ébranlés par les incertitudes liées à la politique de Donald Trump, qui ont pesé à la fois sur les actions et sur le dollar.
Locomotive polonaise
Du côté européen, la dynamique a été portée par le vaste plan d’investissement dévoilé par Friedrich Merz, nouveau chancelier allemand. Ce soutien a permis au Dax de s’imposer parmi les 10 premières Bourses mondiales cette année.
Mais à l’échelle européenne, l’indice allemand ne se classe qu’en huitième position, devancé par plusieurs marchés périphériques, en particulier ceux d’Europe centrale et orientale. La Slovénie, la Pologne, la République tchèque et la Hongrie figurent ainsi toutes parmi les six places boursières les plus performantes au monde sur les cinq premiers mois de l’année.
La Slovénie, la Pologne, la République tchèque et la Hongrie figurent ainsi toutes parmi les six places boursières les plus performantes au monde cette année.
Une réussite qui s’appuie notamment sur la vigueur économique de la Pologne, dont le PIB affichait une croissance de 3,7% à la fin de 2024.

Karol Nawrocki
Les perspectives économiques de la Pologne apparaissent toutefois plus incertaines à la suite de la courte victoire du nationaliste Karol Nawrocki à l’élection présidentielle de fin mai. Donald Tusk, Premier ministre depuis 2023, devra composer plus étroitement encore avec un président issu de l’opposition, comme en témoigne le vote de confiance du gouvernement, prévu ce 11 juin.
La principale interrogation concerne la place de la Pologne au sein de l’Union européenne. En 2022, la gouvernance du parti nationaliste Droit et justice (PiS) avait conduit Bruxelles à geler 137 milliards d’euros de fonds, en raison de violations de l’État de droit : atteintes à l’indépendance de la justice, insuffisances dans la lutte contre la corruption, pressions sur les oppositions et les minorités, ainsi que sur les médias.
Fonds européens
En février 2024, le gouvernement pro-européen de Donald Tusk a obtenu le dégel des fonds européens, qui doivent être versés progressivement, avec une évaluation clé attendue à l’été 2026. Toute remise en cause du cap actuel pourrait conduire l’Union européenne à suspendre de nouveaux paiements, alors que ces financements ont largement soutenu l’accélération de la croissance polonaise.
La Hongrie est, elle aussi, directement concernée. Bruxelles y a gelé au total 19 milliards d’euros, dont un milliard arrivé à échéance fin 2024, en raison des atteintes persistantes à l’État de droit et de la proximité affichée de Viktor Orban avec Vladimir Poutine. Cette manne perdue pèse sur l’économie nationale : le PIB stagne depuis près de trois ans, malgré un déficit public toujours élevé, à 6% du PIB.
Les élections législatives d’avril 2026 pourraient toutefois rebattre les cartes. Le parti pro-européen Tisza est donné en tête des sondages, avec 42% des intentions de vote contre 36% pour le Fidesz de Viktor Orban, selon l’agrégateur Politico.
Convergence économique
Malgré les incertitudes politiques, la région poursuit son rattrapage à un rythme soutenu. Selon les prévisions du FMI, des pays comme la Slovénie, la République tchèque, la Pologne ou la Lituanie devraient atteindre, voire dépasser, d’ici 2030, le niveau de vie économique de l’Italie, mesuré en PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat. En 2004, année de l’élargissement de l’Union européenne vers l’Est, leur retard variait encore de 33% à 59%.
Autre jalon notable : la Roumanie, longtemps classée parmi les pays les plus pauvres de l’Union, devrait rejoindre le niveau de vie de l’Espagne à l’horizon 2030. Quant à la Bulgarie, qui s’apprête à devenir le 21e membre de la zone euro au 1er janvier prochain, elle n’aura pas encore comblé l’écart, mais enregistre une croissance rapide, avec une hausse estimée de 115% du niveau de vie sur la période 2019-2030.
Disparités et énergie
Toutefois, comme en témoigne la montée du populisme dans plusieurs pays d’Europe de l’Est, ce développement reste inégal et nourrit certains ressentiments. En Slovaquie, par exemple, le PIB par habitant atteignait 146% de la moyenne européenne à Bratislava en 2022, contre seulement 52% dans l’est du pays, soulignant de fortes disparités territoriales.
Pour généraliser et accélérer l’amélioration du niveau de vie, l’un des enjeux clés réside dans l’approvisionnement énergétique. La région doit à la fois s’affranchir du gaz russe et répondre à une forte demande d’électricité, tant des ménages que des entreprises. Dans ce contexte, les projets de centrales nucléaires se multiplient en Pologne, en République tchèque, en Roumanie, en Bulgarie, en Slovaquie, en Slovénie ou encore en Hongrie. Une stratégie ambitieuse, mais qui ne portera ses fruits qu’à long terme.
Valorisation attractive
Les investisseurs restent toutefois confiants dans la capacité de la région à poursuivre sur sa lancée. Ces dernières années, l’Europe centrale et orientale a su attirer des capitaux internationaux, tant par les flux d’investissements directs étrangers que sur les marchés financiers. L’indice Px de la Bourse de Prague affiche ainsi un gain impressionnant de 142% sur cinq ans, soit près de trois fois la performance du Stoxx 600 paneuropéen. Moins spectaculaire en apparence, le Wig 20 polonais s’est néanmoins envolé de 128% depuis son point bas de septembre 2022, contre 42% pour le Stoxx 600 sur la même période.

Malgré ces hausses marquées, les valorisations restent globalement raisonnables, ce qui contribue à compenser les incertitudes pesant sur certains pays. L’indice MSCI dédié à l’Europe centrale et orientale (hors Russie) présente un ratio cours/bénéfices réalisés de 11, et même de seulement 9 sur la base des bénéfices attendus à 12 mois. Les écarts restent toutefois significatifs selon les marchés : les actions tchèques se négocient autour de 15 fois les bénéfices réalisés, contre 7 fois seulement pour les titres hongrois. La Pologne et la Slovénie se situent quant à elles proches de la moyenne régionale.
Nouvelles technologies
Au-delà du mouvement de convergence économique et du rôle de base arrière industrielle assumé par plusieurs pays, l’Europe centrale et orientale se distingue également par son dynamisme dans les nouvelles technologies. Des réussites comme Vinted (Lituanie), la fintech Wise et la plateforme de VTC Bolt (Estonie), l’éditeur de jeux vidéo CD Projekt et la marketplace Allegro (Pologne), ou encore Avast et Kiwi.com (République tchèque), illustrent la vitalité de cet écosystème.
Les perspectives restent globalement positives, même si les économistes d’ING soulignent l’accentuation de certaines divergences au sein de la région. Celles-ci tiennent notamment aux dynamiques d’inflation, aux orientations de politique monétaire et surtout aux incertitudes géopolitiques, qu’il s’agisse de la guerre en Ukraine, des droits de douane de Donald Trump ou des résultats électoraux locaux.
Dans ce contexte, il reste préférable de diversifier ses investissements dans la région.
Il reste préférable de diversifier ses investissements dans la région.
Peu d’alternatives
L’offre de produits d’investissement dédiés à l’Europe centrale et orientale s’est considérablement réduite ces dernières années. Historiquement, la région incluait la Russie et la plupart des fonds ont été fermés en 2022 à la suite de l’invasion de l’Ukraine. Depuis, peu d’acteurs se sont risqués à relancer des produits centrés sur la région, en dépit des performances boursières solides enregistrées dans la région.
Côté fonds actifs, l’offre est particulièrement restreinte. En Belgique, la catégorie “Actions Europe émergente hors Russie” recensée par Morningstar ne compte qu’un seul compartiment, géré par la banque suédoise SEB. Celui-ci souffre d’une faible notation et d’une nette sous-performance depuis son lancement en 2023.
Du côté des fonds indiciels, l’éventail n’est guère plus étoffé. L’ETF proposé par Amundi se décline en deux versions : capitalisation (ticker CEC sur Euronext Paris, frais annuels de 0,50%) et distribution (ticker ESTE sur la Bourse de Francfort, frais identiques). Cette dernière a versé en 2024 un coupon correspondant à un rendement de 4,4%. L’ETF de capitalisation, pour sa part, bénéficie de volumes d’échanges plus importants et d’une meilleure liquidité, avec un écart cours acheteur/cours vendeur plus resserré.
Dans les deux cas, ces produits répliquent l’indice MSCI Eastern Europe Ex Russia. Ce dernier reste toutefois concentré sur trois marchés : la Pologne (69%), la Hongrie (20%) et la République tchèque (11%).