Paul Vacca
Zoom ou la téléportation à la portée de tous
En plein confinement, soudain, le miracle s’est produit. Séparés, isolés, dispersés, nous allions pouvoir communiquer à distance aussi bien qu’avant. Mieux même. Adieu réunions chronophages, apartés inutiles et temps perdu dans les transports. La téléportation enfin à la portée de tous et partout. Enseigner, donner des cours de yoga, échanger des recettes de cuisine, partager des apéros… Tout cela était désormais possible où que l’on soit grâce à un nouvel outil magique : Zoom.
Pour certains, Zoom sonna comme une révélation : pourquoi dès lors envisager – dans le “monde d’après” – de retourner au bureau? On décréta la mort de cette survivance archaïque des temps grégaires. Assez vite, pourtant, des ronchons s’invitèrent à la fête en évoquant des problèmes de sécurité quant aux données. Puis, l’euphorie des apéros Zoom se mua en “Zoom fatigue”, ce sentiment d’épuisement physique (et moral) consécutif à une réunion vidéo.
Les technophiles invoquent notre manque d’habitude. Pas d’inquiétude, ces effets indésirables s’estomperont. Pourtant, il suffit de prendre le temps de zoomer pour voir que les problèmes sont inhérents à l’outil lui-même. Car finalement, Zoom porte bien son nom, il rencontre un double problème : de focale et de mise au point. Un défaut de focale, puisqu’il délimite le cadre de toute communication à l’écran en éliminant tout le hors-champ, à savoir les apartés et les éléments de contexte. C’est ce qui confère paradoxalement à certaines réunions Zoom cette illusion d’efficacité : tout ce qui dépasse est coupé. L’accessoire, voire le parasite, à savoir le sel de toute réunion créative, disparaît.
On pourrait décider de couper l’image pendant les réunions Zoom et ainsi réinventer la conversation téléphonique. Car finalement, il vaut mieux ne pas voir que mal voir.
Mais au-delà, Zoom rencontre aussi un problème de mise au point. Un manque flagrant de netteté avec tous ses artéfacts comme l’image qui frise, qui se pixélise, qui floute ou se bloque. Ou bien le son qui se désynchronise ou devient inaudible. Des éléments qui, même si l’on n’en a pas nécessairement conscience, influent sur la nature des conversations. Echanger avec une personne revient à composer un puzzle à partir d’un fourmillement d’expressions, dans le regard, au coin de l’oeil ou à la commissure des lèvres, essentielles à la compréhension de l’autre. Or, dans la pratique, problème de bande passante ou pas, ces expressions sont lissées dans les vidéos pixélisées ou, parfois pire, figées ou retardées sans compter les micro-décalages sonores. Un brouillage qui met nos neurones en surtension – d’où notre fatigue – pour tenter de percevoir ce qui nous échappe, comme un puzzle dont il manquerait des pièces.
Zoom tient plus du mirage que du miracle. Il nous donne le sentiment de voir les gens alors qu’en réalité, on ne les voit pas. C’est parfait pour “établir la communication” – ce que le linguiste Roman Jakobson qualifiait de fonction phatique du langage – où le contenu a moins d’importance que le seul fait d’être ensemble et de partager un moment. Mais c’est désastreux dès qu’il s’agit de “communiquer quelque chose” : une information, un raisonnement, une idée, une émotion et même une blague…
Il y aurait bien un remède à cela. Pour éviter les brouillages, on pourrait décider de couper l’image pendant les réunions Zoom et ainsi réinventer la conversation téléphonique. Pour peu que la liaison soit bonne, la voix seule transporte toutes les informations nécessaires. Un micro-silence, une intonation et puis le continuum d’une discussion qui crée un lien plus charnel entre les interlocuteurs. Car finalement, il vaut mieux ne pas voir que mal voir.
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