Un fonds pour les entrepreneurs, une alternative fiscalement avantageuse face aux placements en actions
Les plus-values sur actions réalisées par les sociétés seront désormais lourdement taxées. Pas de panique : l’industrie des fonds belge ouvre grand les bras aux investisseurs en quête d’autres solutions.
Les portefeuilles d’actions détenus par des sociétés seront désormais imposés sur les plus-values, sans pour autant que les moins-values soient déductibles. En prenant cette décision, le gouvernement Michel a voulu décourager les petits entrepreneurs de chercher leur salut dans les actions, dont il leur sera dorénavant quasi impossible d’obtenir du rendement. Les sociétés seront donc invitées à investir autrement le cash dont elles n’auront pas un besoin immédiat.
Ceci étant, les actions qui ont une “valeur d’acquisition” d’au moins 2,5 millions d’euros, ou les participations qui représentent 10 % du capital de l’entreprise au minimum, échapperont à la mesure. “Il faut, pour constituer un portefeuille déjà bien réparti, disposer de 25 à 30 millions d’euros au bas mot, calcule Wim Descamps, cofondateur et directeur d’exploitation du gestionnaire de patrimoine Value Square. Pour une PME, de même que pour le boulanger du coin, ce n’est évidemment pas envisageable.”
Revenus définitivement taxés
Les familles suffisamment fortunées, dont les intérêts sont versés dans des holdings, de même que les grandes entreprises, profiteront davantage encore qu’auparavant du régime des revenus définitivement taxés (RDT), puisque la déduction à titre de RDT passera de 95 à 100 %. Ces sociétés mères et ces holdings ne seront donc redevables d’aucun impôt sur les plus-values, pas plus d’ailleurs que sur les bénéfices remontant des filiales. Les personnes physiques et les actionnaires vers qui finiront par affluer les dividendes, seront bien redevables du précompte mobilier.
“Il est quelque part logique que les bénéfices de l’entreprise ne puissent être imposés à plus d’une reprise, raisonne Koen Hoffman, chez Value Square. Imaginez que Bekaert installe une filiale en France, et que celle-ci en ouvre à son tour une en Espagne : sans la déduction à titre de RDT, cette dernière commencerait par payer des impôts sur ses bénéfices en Espagne, après quoi l’entreprise française serait imposée sur ce qui lui resterait du bénéfice espagnol et l’entreprise belge, sur les bénéfices français. Si l’on devait supprimer la déduction à titre de RDT, il ne resterait rien du bénéfice initial et toutes les multinationales fuiraient la Belgique.”
Sicav RDT
La sicav RDT est une solution intéressante pour les petits entrepreneurs, de même que pour les sociétés de management et les holdings dont les moyens financiers sont moins importants. Une sicav (société d’investissement à capital variable) est ce que l’on appelle en langage populaire un fonds d’investissement. Lorsque les investissements sont collectivement organisés par le biais d’un fonds, la condition quantitative des 2,5 millions d’euros par ligne, ou des 10 % de participation, cesse d’exister (pour être remplacée par d’autres). Les fonds RDT investissent autant que possible dans des actions de qualité d’entreprises dont les bénéfices sont soumis à un régime d’imposition normal, ce qui exclut celles ayant des activités dans des paradis fiscaux, par exemple.
Gregory Swolfs (Capfi Delen Asset Management) ajoute que les statuts du fonds doivent préciser que 90 % au moins des revenus et des plus-values réalisées doivent être payés sous forme de dividendes ; le fonds doit donc retourner aux investisseurs 90 % de toutes les sommes qui lui reviennent, déduction faite des moins-values, frais, commissions et rémunérations.
La sicav RDT intéressera tout particulièrement les personnes habituées à investir en actions individuelles. “J’ai toujours exprimé un certain nombre de réserves à propos des sicav RDT, nuance Jan Theus, spécialiste en produits d’investissement pour la Banque J. Van Breda & C°. Ces fonds doivent investir à 100 % en actions. Leurs gestionnaires n’ont donc pas la possibilité de diminuer la pondération des actions s’ils constatent qu’un vent mauvais commence à souffler sur les Bourses. Cette mesure est pourtant bien à la disposition des fonds flexibles. La sicav RDT ne s’adresse par conséquent qu’aux investisseurs dynamiques, aptes à comprendre et à supporter la volatilité des actions.”
Chute des pourcentages de déduction des intérêts notionnels
L’accord de l’été rend les fonds RDT beaucoup plus intéressants. L’augmentation à 100 % de la déduction à titre de RDT les concerne également. A cela s’ajoute la suppression d’une règle qui pouvait constituer une pierre d’achoppement pour les gestionnaires de fonds RDT : “Les gestionnaires de fonds RDT peuvent désormais se contenter de veiller à générer des revenus ‘de qualité’, expose Peter Boelaert, porte-parole de Candriam. Auparavant, ils devaient détenir les actions un an au moins, mais cette règle vient d’être abrogée. Ce qui leur confère davantage de flexibilité et leur permet de mieux réagir aux opportunités. Le rendement est donc comparable à celui des fonds en actions ordinaires.”
A cela s’ajoutent des effets connexes positifs engendrés par d’autres mesures encore. “Les sicav RDT ont toujours dû être déduites de la base de calcul des intérêts notionnels, déplore Gregory Swolfs. La chute des pourcentages de déduction des intérêts notionnels entraînera la disparition, dans une large mesure, de cet inconvénient à partir de 2018.” Ce que Jan Theus confirme, tout en ajoutant qu’un atout fiscal ne peut constituer l’unique argument en faveur d’un fonds donné.
Capfi Delen Asset Management constate que la modification de la fiscalité engendre un accroissement des capitaux investis dans des sicav RDT. “Il ne s’agit toutefois pas d’une ruée, nuance Gregory Swolfs. N’oublions pas que nous avons affaire à des fonds d’actions purs. La plupart des sociétés ne souhaitent pas investir exclusivement en actions. Nous constatons depuis tout un temps déjà que les sociétés sont de plus en plus enclines à se tourner vers les fonds, qu’ils aient ou non le statut RDT.” BNP Paribas Asset Management relève aussi depuis quelques mois “un intérêt plus marqué parmi les investisseurs disposant d’une société”. Le fonds RDT de Candriam suscite depuis peu énormément d’intérêt parmi les entrepreneurs. Quant à Degroof Petercam, il affirme lui aussi enregistrer “davantage de demandes d’entreprises qui souhaitent disposer d’un véhicule de ce type”.
“En principe, le gestionnaire d’actifs retient le précompte mobilier sur les dividendes payés par le fonds, mais l’investisseur peut le récupérer à l’impôt des sociétés. L’impôt sur le dividende est imputable et remboursable ; il peut également avoir valeur de paiement anticipé d’impôt”, expose Jan Theus.
“Le gestionnaire adresse chaque année à l’investisseur une attestation dans laquelle est précisé le pourcentage du dividende issu d’actions de qualité, qui entrent en ligne de compte pour la déduction à titre de RDT, ajoute Jan Theus. Si la plus-value n’est pas encore réalisée, le fonds devra être acté à sa valeur d’acquisition. La société doit émettre un rapport fidèle au sujet des moins-values virtuelles, qui seront comptabilisées parmi les dépenses non admises.”
Nouveaux fonds RDT
L’éventail des fonds RDT s’est étoffé l’an dernier et tout porte à croire que ce n’est pas fini. Le gestionnaire de patrimoine Quaestor, sis à Roulers, va en ajouter un à sa gamme, pour répondre à la demande de ses clients. “Une grande part de notre clientèle est constituée d’entrepreneurs, et chacun cherche, outre à dégager du rendement, à optimiser sa fiscalité, résume le gestionnaire de fonds Bart Baetens. Nous mettons la dernière main au produit, dont la politique d’investissement sera axée sur le volet actions du Conventum Dynamic Opportunities, notre fonds amiral.”
Value Square a mis le 1er septembre sur le marché un fonds institutionnel au sujet duquel aucun prospectus n’est requis, puisque le produit n’est pas ouvert aux investisseurs particuliers et que l’apport est fixé à 250.000 euros au minimum. Koen Hoffman caressait déjà l’idée de créer un fonds qui investirait dans des holdings, lorsqu’il fut, à l’été 2016, nommé à la tête de Value Square. “Nous avons réfléchi à ce qui constituerait la meilleure formule pour ce produit, dont nous avons par conséquent décidé de faire un fonds RDT, précise-t-il. Il existe une intelligence naturelle entre les entrepreneurs d’une part et les holdings cotés en Bourse, souvent sous contrôle familial, qui investissent dans des entreprises cotées ou non, d’autre part. Nous nous concentrons sur les holdings qui ont fait leurs preuves en termes de paiement de dividendes, car nous voulons que l’investisseur soit dûment rémunéré. C’est un hasard si la souscription a été ouverte juste après la conclusion de l’accord de l’été ; le projet était en route depuis bien longtemps.”
Capfi Delen Asset Management dispose dans sa gamme de deux fonds RDT, dont l’un a été mis sur le marché pas plus tard que cet été. “Sa gestion repose sur les principes de base traditionnels, expose Gregory Swolfs. Nous cherchons avant tout des entreprises de qualité, génératrices de rendement. Le but est de proposer un potentiel de croissance, qui s’appuie sur une bonne diversification des risques et sur des investissements en actions à long terme. Le filtre des actions RDT vient se poser par-dessus tout cela.”
Certains fonds ont conclu un ruling avec le Service des décisions anticipées en matières fiscales, ce qui leur permet d’avoir la certitude que toutes les actions dans lesquelles ils investissent bénéficieront effectivement, et sans contestation possible, de la déduction à titre de RDT. “Un ruling n’est pas vraiment indispensable, affirme Gregory Swolfs. Le fonds investit autant que possible dans des actions de qualité, dont les dividendes pourraient bénéficier du régime RDT si elles étaient détenues directement. Il peut par contre être utile de s’assurer par ce biais de la qualité de certaines des actions visées.”
“Nous avons soumis à l’approbation de la commission de ruling un univers constitué de 96 holdings sis aux quatre coins du monde, précise Koen Hoffman (Value Square). Nous disposons donc d’une véritable sécurité juridique. Un holding comme Hal Trust, par exemple, ne fait pas partie de la liste, parce qu’il a son siège social sur l’île de Curaçao, laquelle est considérée comme un paradis fiscal. Il s’agit d’un univers restreint, mais qui pourrait s’élargir considérablement. Notre fonds investit par l’intermédiaire de 15 ou 20 holdings dans 200 entreprises actives dans toute une série de secteurs et de régions. Plus l’univers s’élargit, plus il est difficile de répondre entièrement aux conditions du RDT, et plus on est appelé à se tourner vers de grandes entreprises comme AB InBev.”
Pour des raisons de sécurité, la plupart des fonds RDT se concentrent sur l’Europe : l’administration fiscale considère presque automatiquement que les entreprises du Vieux Continent cotées sur un marché régulier européen paient suffisamment d’impôts. Les entreprises dans lesquelles les fonds RDT investissent doivent en effet s’acquitter d’un minimum d’impôts et ne peuvent être représentées dans des paradis fiscaux. Les fonds RDT ne sont pas autorisés à investir dans d’autres fonds d’investissement ou dans des sociétés immobilières réglementées (SIR), qui disposent d’ores et déjà d’un statut fiscal particulier.
Le gouvernement Michel a instauré en 2016 un impôt sur les plus-values qui frappe l’investisseur particulier qui revend ses actions dans les six mois. Cette taxe de spéculation ayant été jusqu’à réduire les recettes de la taxe sur les opérations de Bourse, elle a été supprimée au bout d’un an. Il est toutefois peu probable que l’impôt sur les plus-values qui vise les sociétés subisse le même sort ; de toute façon, les entrepreneurs prévoyants auront cédé avant la fin de l’année les actions qui réalisaient historiquement des plus-values, ou sorti à temps des capitaux de la société – des opérations sur lesquelles il n’est pas aisé de revenir.
Fonds 2018
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