Trente-neuf morts et plus de 600 blessés: le drame du Heysel, c’était il y a 40 ans…

Sergio Ninotti © BELGA PHOTO DIRK WAEM

Ce devait être la fête, ce fut le drame. Le 29 mai 1985, Bruxelles accueillait la finale de la Coupe d’Europe des clubs champions, une finale de rêve entre Liverpool, tenant du titre, et la Juventus, les deux meilleures équipes du continent à l’époque. Mais le rêve vira au cauchemar: trente-neuf personnes, majoritairement des supporters italiens, perdirent la vie, dans un mouvement de foule consécutif à une charge des supporters anglais une heure avant le coup d’envoi. Le drame du Heysel fit également plus de 600 blessés.

On parlait de “finale du siècle” pour ce duel entre Liverpool, tenant du titre et vainqueur de quatre des huit dernières finale de la C1, et la Juventus qui comptait alors en ses rangs Michel Platini, double Ballon d’Or et vainqueur de l’Euro 84 avec la France, ainsi que de nombreux joueurs italiens champions du monde en 1982.

   Quelque 60.000 personnes étaient attendues au stade du Heysel, bien vétuste pour un événement d’une telle importance. Pour cette rencontre, 850 policiers étaient mobilisés, dont une cinquantaine seulement à l’intérieur du stade. La police craignait en effet davantage les débordements à l’extérieur de l’enceinte.

Hooliganisme

   Un an plus tôt, Bruxelles avait déjà eu affaire au hooliganisme à l’occasion de la finale de la Coupe de l’UEFA (l’Europa League actuelle) perdue par Anderlecht face à Tottenham. Un fan des Spurs était décédé dans ces violences, qui avaient aussi fait 32 blessés et mené à 220 arrestations.

   Cette même année 1984, la finale de la C1 (aujourd’hui la Ligue des Champions) avait déjà opposé Liverpool à un club italien, l’AS Roma, que les Reds avaient battue aux tirs au but au Stade olympique de Rome. Après la rencontre, de nombreux supporters anglais avaient été tabassés par les Romains dans les rues de la Ville éternelle. Les supporters anglais en avaient gardé un profond ressentiment à l’encontre des supporters italiens.

29 mai 1985

   La journée du 29 mai 1985 se déroule dans le calme. La chaleur est accablante et la bière coule à flots, d’abord sur la Grand-Place où les supporters anglais s’étaient donné rendez-vous, puis aux abords du stade. Les supporters des deux équipes attendent l’ouverture des portes sur les pelouses du plateau du Heysel.

   Celles-ci s’ouvrent à 17h et une demi-heure plus tard, 30.000 personnes ont déjà pris place dans les tribunes. A l’extérieur, les policiers constatent qu’une dalle a été descellée, ce qui a probablement permis à de nombreux fans sans ticket de rentrer dans le stade.

   A 18h, des jets de pierres et des insultes fusent dans les tribunes debout, entre le bloc X réservé aux supporters anglais et le bloc Z, zone tampon normalement réservée aux spectateurs belges neutres mais qui est remplie de supporters italiens ayant acheté leur billet au marché noir. 

Calme avant le drame

   Le calme revient vers 18h30 lorsque les joueurs des deux équipes viennent saluer leurs supporters. Mais les échauffourées reprennent de plus belle vers 19h. Les Anglais lancent des fusées, des objets en verre et en pierre vers le bloc Z. Dix minutes plus tard, plusieurs dizaines de hooligans franchissent le mince grillage séparant les deux blocs. Et ils foncent vers les Italiens. Il n’y a qu’une poignée de policiers pour tenter d’empêcher les fans des Reds de pénétrer dans le bloc Z. Ce qui finit par se produire à 19h20.

   La charge des Anglais provoque un immense mouvement de foule dans le bloc Z. Pris de panique, les Italiens tentent de se réfugier sur la pelouse mais les forces de l’ordre ferment l’accès au terrain. Un millier de supporters se retrouve bloqué dans le bloc Z. Certains étouffent, d’autres sont soit piétinés, soit écrasés contre le mur de la tribune qui s’effondre sous la pression. Les premiers blessés sont évacués sur la pelouse.

   Situés de l’autre côté du terrain, les tifosi de la Juve envahissent le terrain à 19h35 pour en découdre avec les Liverpuldiens. Jusque-là dépassée par les événements, la police intervient pour séparer les deux camps.

Le match est maintenu

   Le calme revient peu à peu, alors que 400 millions de téléspectateurs découvrent en direct les premiers cadavres et le champ de ruines qu’est devenu le bloc Z. Il n’est plus question de football, pourtant la finale aura bien lieu. L’UEFA, l’Union européenne de football, et les autorités belges décident de faire jouer la rencontre. Elles craignent qu’une annulation du match ne cause encore plus de problèmes.

   Le match débute avec une heure de retard et la Juventus l’emporte 1-0 grâce à un penalty de Michel Platini. Le numéro 10 français célèbre son but, ce qui lui sera reproché par la suite.

Le drame du Heysel a fait au total 39 morts:
– 32 Italiens,
– 4 Belges,
– 2 Français
– 1 Nord-Irlandais
– plus de 600 blessés.

– Liverpool sera interdit de toute participation à une compétition européenne pendant 10 ans, une peine finalement réduite à six ans.
– Les autres clubs anglais seront interdits de Coupe d’Europe durant trois ans (peine qui passera à cinq ans après les débordements des hooligans anglais lors de l’Euro 1988 en Allemagne).

Procès et condamnations

   Le “procès du Heysel” débute en octobre 1988 et délivre son verdict en avril 1989. Quatorze hooligans sont condamnés à trois ans de prison avec sursis de cinq ans pour la moitié de la peine. Et à une amende de 60.000 francs belges (1.500 euros).

   Albert Roosens, secrétaire général de l’Union belge de football, est condamné à six mois de prison avec sursis. Le capitaine de gendarmerie Johan Mahieu écope de neuf mois avec sursis, peine réduite à six mois en appel.

En appel

   En juin 1990, la cour d’appel alourdit sensiblement les peines des supporters anglais. Les plus lourdes vont jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et le sursis dont ils avaient bénéficié tombe pour certains d’entre eux. La cour retient la circonstance aggravante de la préméditation à l’encontre de trois prévenus.

Le capitaine de gendarmerie Johan Mahieu voit sa peine de prison réduite de trois mois.

La peine d’Albert Roosens est confirmée. L’UEFA est déclarée civilement responsable et son secrétaire général Hans Bangerter est condamné à trois mois de prison avec sursis. Le pourvoi en cassation introduit par Albert Roosens, Hans Bangerter, le capitaine Mahieu, les parties civiles et l’UEFA est rejeté en octobre 1991.

 La Belgique se voit interdite d’organiser la moindre finale européenne pendant dix ans.

Rénovations du stade

Le stade du Heysel est rénové totalement au début des années 1990 et rebaptisé Stade Roi Baudouin en 1993. L’enceinte accueille son premier match international en août 1995, un match amical Belgique-Allemagne. Un an plus tard, on rejoue une finale au pied de l’Atomium. Le PSG y remporte la Coupe des Coupes face au Rapid Vienne.

   Le Stade Roi Baudouin sera ensuite le théâtre de cinq rencontres de l’Euro 2020, dont le match d’ouverture Belgique – Suède et la demi-finale France – Portugal.

Un mémorial avec 39 lumières a été construit en face du stade en hommage aux victimes, dont les noms sont repris sur une plaque posée sur la façade de la tribune principale. Un hommage aux victimes sera rendu par la ville de Bruxelles ce jeudi, 40 ans jour pour jour après le jour le plus noir de l’histoire du football belge.

   Il a un moment été question de remplacer le Stade Roi Baudouin par le nouveau Stade national sur le parking C du Heysel. Mais ce projet est finalement resté dans les cartons. Le stade accueille toujours certaines rencontres des Diables rouges, les finales de Coupe de Belgique, le Mémorial Van Damme et plusieurs grands concerts.

“J’aurais pu être le 40e mort”

Le drame du Heysel a coûté la vie à 39 personnes et fait plus de 600 blessés. Sergio Ninotti était l’un de ceux-ci même s’il aurait pu être la 40e victime de cette tragédie.

Sergio Ninotti a 15 ans en 1985. Il est arrivé à Bruxelles trois mois avant la finale de la Coupe des clubs champions entre Liverpool et la Juventus, “un événement qui unissait tous les Italiens”. Il achète des tickets pour la finale avec ses deux frères et se retrouve dans le bloc Z, réservé en principe aux supporters neutres mais où l’on trouve de nombreux Italiens ayant dégoté leur ticket au marché noir.

Ses frères sont eux parvenus à échanger leur billet et se retrouvent à l’autre bout du stade, avec les tifosi italiens. Arrivé en retard, Sergio Ninotti est donc seul dans le bloc Z. Il y est entré sans que son ticket ne soit contrôlé. “L’atmosphère était très étrange dès le départ”, se souvient-il. “Je voyais de nombreux Anglais qui entraient sans billet en portant des caisses de bière. Ils buvaient, étaient très agressifs et nous insultaient. A Rome, il y avait un important dispositif policier à chaque match mais là je ne voyais personne à part quelques policiers. Je n’étais pas rassuré du tout, dès le départ, je ne me suis pas senti en sécurité.”

“J’étais en train de mourir”

Seul un mince grillage sépare les blocs anglais et italien. “Les hooligans ont réussi à faire tomber le grillage, un mince filet de poulailler, et ont commencé à agresser violemment des gens. Il n’y avait toujours pas de policiers. Je me suis éloigné vers la partie du stade à côté du mur. Les Anglais continuaient à frapper des gens. Cela a créé un mouvement de panique et les gens se sont concentrés dans la partie de la tribune où je me trouvais.

J’ai fini par ne plus savoir bouger. L’image qui m’est venue à l’esprit était ‘L’Enfer” de Dante: des gens enlacés et des visages de peur. Des gens sont tombés sur moi et je me suis retrouvé écrasé au sol. J’étais asphyxié, je ne respirais plus et n’avais plus aucune sensation, si ce n’est une forte angoisse et un profond désespoir. Je me suis rendu compte que j’étais en train de mourir.”

Sergio Ninotti a eu la chance d’être parmi les premières personnes secourues. “Je me suis retrouvé à l’hôpital Brugmann. C’est là que j’ai retrouvé mes esprits. C’était comme un hôpital de guerre, on était tous par terre. Je suis rentré tout seul chez moi”, raconte-t-il. “Ma mère était complètement tétanisée quand elle a vu ma tête.”

Aucun moyen de prévenir ses proches

Pas de GSM à l’époque, et donc pas de moyen de prévenir ses proches. “Mon frère est venu me chercher parmi les morts du bloc Z. Cela l’a marqué pendant des jours”, se souvient Sergio Ninotti, qui n’a pas tardé à retourner à l’école. “C’est à l’école que j’ai réalisé ce qu’il s’était passé, en voyant les réactions des autres élèves, leurs peurs, leurs angoisses. C’est aussi là que j’ai appris qu’il y avait eu 39 morts et que j’aurais pu être le 40e.”

Des années de reconstruction

Physiquement, Sergio Ninotti, qui pratiquait l’athlétisme, s’est assez vite remis sur pied. Psychologiquement, cela a pris des années avant qu’il puisse réellement tourner la page.

“Pendant l’été 85, j’ai eu une sensation de suffocation en mangeant quelque chose et j’ai arrêté de manger pendant plusieurs mois. J’ai vu une psychologue en septembre 1985 mais on n’a même pas parlé de l’événement. C’était une autre époque… J’ai fini par m’en sortir tout seul. A 23 ans, j’ai fait une dépression nerveuse et cela m’a permis de replonger vraiment sur ce qui était arrivé et d’aller au-delà de ce grand choc.”

Sergio Ninotti a “partiellement” suivi le ‘procès du Heysel’ quatre ans après le drame. “Les autorités ont une grande responsabilité. Elles n’étaient pas préparées et n’ont pas réagi immédiatement. On a laissé les hooligans à côté de gens pacifiques, dans un stade qui ressemblait à un stade de D4 en Italie. On a parlé de responsabilité partagée, de provocation entre les deux camps. Cela m’a écoeuré. Certains hooligans ont agi comme des assassins. Dans les événements de groupe, il y a toujours des suiveurs mais je suis convaincu qu’il y avait un dessein. Peut-être pour se venger de ce qui s’était passé à Rome un an plus tôt (les violences en marge de la finale entre l’AS Rome et Liverpool, ndlr). Ils étaient trop bien organisés. Certains n’ont pas payé pour ce qu’ils ont fait, c’est impardonnable.”

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