Tipbox, un nouveau lanceur d’alerte pour aider la presse
Fondateur de la plateforme Storify, le Belge Xavier Damman s’apprête à lancer Tipbox, un outil qui permettra au citoyen de livrer des informations exclusives aux médias sans devoir révéler son identité.
Mondialisée et numérisée, l’information se partage désormais en quelques clics de souris. Une aubaine pour les internautes qui possèdent des dossiers sulfureux et pour les journalistes avides de révélations. Mais encore faut-il garantir la protection des sources. Ça tombe bien : de nouvelles plateformes sécurisées existent comme celle qui sera bientôt lancée par l’entrepreneur belge Xavier Damman.
Célèbre pour avoir fondé la plateforme Storify à San Francisco en 2009 et surtout pour l’avoir revendue en 2013 à la société américaine LiveFyre, ce jeune trentenaire diplômé de l’UCL développe actuellement un projet baptisé Tipbox. Proche de la plateforme Sourcesûre dans ses objectifs mais différent dans son approche, ce nouvel outil en phase de test permettra aux lanceurs d’alerte non plus de s’adresser de façon anonyme à un média en général, mais bien à un journaliste en particulier, de manière cryptée, via une simple adresse web.
“L’idée n’est pas de faciliter le contact entre un citoyen et un média en général ou plutôt une institution, mais bien de se mettre directement au niveau du journaliste, précise Xavier Damman. Moi, je crois beaucoup plus aux individus. Je veux redonner la parole aux gens et Tipbox est justement un outil gratuit qui va leur rendre le pouvoir. Au 20e siècle, la presse jouait le rôle de contre-pouvoir. Au 21e siècle, c’est au peuple d’assurer ce rôle et le journaliste va agir en fait comme un community manager. Ce qui ne l’empêchera pas de revenir aux fondements de sa profession qui est de faire le tri dans les informations qui lui sont adressées pour mieux mener son enquête. Mais une chose est sûre : Tipbox permettra certainement de réduire le coût du journalisme d’investigation.”
Viser un idéal
Concrètement, Tipbox devrait être officiellement lancé dans le courant du mois de juin grâce à l’aide financière de la Knight Foundation, une association caritative américaine dont l’objectif est de promouvoir le journalisme de qualité et qui a d’ailleurs injecté 35.000 dollars dans l’aventure. A l’heure actuelle, Tipbox occupe déjà une demi-douzaine de personnes mais pour Xavier Damman, il n’y a “aucun business model à défendre” étant donné qu’il s’agit avant tout d’un service offert à la population.
L’homme, il est vrai, est un idéaliste dans l’âme et il ne s’en cache pas. Jeune étudiant, il avait déjà lancé le magazine Tribal en 1998 pour “offrir un espace d’expression aux jeunes qui ne pouvaient pas s’exprimer”. A 25 ans, il a fondé Storify, une plateforme qui permet à tout un chacun de raconter une histoire sur le Web à partir d’informations piochées ici et là sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, le projet d’un outil visant à doper le journalisme d’investigation s’inscrit exactement dans le même esprit : “Il est important de vivre dans une démocratie saine et c’est pour cette raison que j’ai toujours été animé par la volonté de donner la parole à ceux qui en sont privés, enchaîne Xavier Damman. Le but ultime de Tipbox, c’est d’améliorer la société. Aujourd’hui, nous avons besoin de beaucoup plus d’Edward Snowden pour dénoncer les abus, les actes immoraux et les corruptions organisées. La meilleure façon de contribuer à cette mission, c’est de donner les bons outils aux gens et de les aider à devenir producteurs de contenus. Si, grâce à Tipbox, on arrive à mettre fin à un seul scandale et donc à améliorer la vie des personnes concernées, on aura déjà gagné.”
Relancer les ventes
Professeur à l’UCL et chercheur sur les usages des nouvelles technologies, Thierry de Smedt souligne l’importance du modèle collaboratif qui sous-tend les plateformes comme Sourcesûre et Tipbox. “Avant, l’information ne pouvait passer que si elle était reprise par le système, précise ce docteur en communication sociale. Avec les médias sociaux et l’avènement de ces nouvelles technologies, on sort de Citizen Kane et le journaliste peut désormais valider des infos émanant d’une source non autorisée. Le potentiel de valeur ajoutée du journaliste se trouve d’ailleurs là : transformer une source non autorisée en une source autorisée par le média, grâce à un travail de sélection, de vérification et d’organisation de l’information que lui seul peut faire. Cette mission lui redonne une qualification que le Web avait justement un peu écrasée ces derniers temps.”
C’est précisément cette valeur ajoutée qui pourrait redonner un coup de fouet à une presse qui s’endort. Avec l’aide bienvenue des lanceurs d’alerte, certains médias ont l’opportunité de revenir un peu plus sur le terrain déserté du vrai journalisme d’investigation. Et donc de sortir plus de scoops et redorer quelque peu leur blason. De là à relancer les ventes ? Pour l’expert du monde des médias Jean-Clément Texier, on peut effectivement considérer la chose avec un certain optimisme : “Aujourd’hui, pour faire payer de l’information qui est de plus en plus abondante et gracieuse sur le Net, l’investigation représente de la haute valeur ajoutée qui peut être monétisée, conclut celui qui est aussi CEO de la Compagnie financière de communication. Et petit à petit, je pense que le public et le Net vont redécouvrir les basiques de la presse, à savoir que l’on est prêt à payer de l’information que tel ou tel titre est le seul à vous donner.”
Une opinion aujourd’hui illustrée par le succès du pure player français Mediapart : en 2014, le média en ligne payant fondé par Edwy Plenel a en effet dégagé un chiffre d’affaires de plus de 9 millions d’euros (soit 27 % de plus qu’en 2013) avec un bénéfice confortable de 1,5 million d’euros. Le cheval de bataille de ce “journal” qui compte 112.000 abonnés prêts à payer 9 euros par mois pour accéder aux articles ? Le journalisme d’investigation, tout simplement.
Frédéric Brébant
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