À l’heure où les autorités s’interrogent sur la capacité des entreprises wallonnes à capter les budgets européens, de nouvelles opportunités s’annoncent.
Erigé depuis en véritable vade-mecum de la compétitivité européenne, le rapport Draghi le soulignait en toutes lettres il y a un an : le soutien public européen à l’innovation disruptive reste trop limité. Dans son analyse, le document pointait notamment un niveau de financement trop bas de l’European Innovation Council (EIC), le Conseil européen de l’innovation, ce fonds d’investissement de l’UE consacré aux PME innovantes.
Ce dernier ne part pourtant pas de rien. Pilier du programme Horizon Europe pour la recherche et l’innovation, il a participé à plus de 300 levées de fonds ces trois dernières années. Sa stature lui permet aussi d’attirer d’autres investisseurs privés à la table des financements auxquels il participe. Dans son réseau d’une centaine de co-investisseurs, on trouve plusieurs acteurs belges ou actifs dans notre pays, dont les fonds imec.xpand, le bras financier de l’institut louvaniste, Sofinnova, KBC Focus Fund ou Omnes.
Hauts risques, forts dividendes, capital patient
Les moyens dont dispose l’EIC restent toutefois largement inférieurs à ceux des ARPAs (Advanced Research Projects Agencies), ces agences américaines de l’innovation dont les missions sont identiques et qui disposent d’un budget de plus de 6 milliards de dollars par an, selon le rapport Draghi. Ses auteurs semblent toutefois avoir été entendus.
Fin octobre, la Commission européenne annonçait en effet une nouvelle enveloppe de 1,4 milliard d’euros annuels alloués à l’EIC. À la façon des ARPAs US, le fonds de l’UE testera notamment une nouvelle approche axée sur les défis de l’innovation avancée, en soutenant des projets à “haut risque et à forts dividendes”. “Il s’agit de schémas différents de ceux, par exemple, liés à la digitalisation. Les enjeux sont sociétaux, les problèmes complexes et les solutions développées font appel à la recherche scientifique avancée, ce qui nécessite plus de moyens et de temps. Du capital patient, avec des horizons de sortie à 16 ou 17 ans”, résume Bart Becks, vétéran de la tech belge et administrateur indépendant de l’EIC.
Pour soutenir l’effort, la Commission a par ailleurs dévoilé un nouveau fonds dédié : Scale-up Europe. Placé sous l’égide de l’EIC, il en complètera l’arsenal. Jusque-là concentré sur des investissements plafonnés à 10 ou 30 millions d’euros selon ses compartiments, le bras financier européen pourra, avec ce nouvel outil, élever ses participations directes à 100 millions d’euros. De quoi entraîner des investisseurs privés, fondations ou fonds de pension dans de très importantes levées. “En moyenne, chaque euro investi par l’EIC correspond à un peu plus de 3 euros investis par d’autres”, précise ainsi Bart Becks.
Opportunités
À ce jour, une trentaine de nos pépites belges ont déjà convaincu le fonds européen de les accompagner. Parmi elles, la bruxelloise moveUP, dont les applications collectent, structurent et synthétisent les données de patients à domicile. Elles permettent aux hôpitaux, sociétés pharma et medtechs de suivre à distance une revalidation ou encore de comprendre l’évolution des symptômes et réactions aux traitements.
En 2020, la scale-up a décroché une intervention du très sélectif programme EIC Accelerator combinant subsides et investissements en fonds propres pour un montant total de 2,7 millions d’euros, lui permettant ainsi de se déployer à l’international. Le fonds européen a ensuite pris part à un nouveau round de financement de 3,65 millions d’euros en 2021. “Clairement, la présence de l’EIC et le montant qu’il a mis sur la table en début de course ont été décisifs. C’est grâce à son poids et sa crédibilité que nous avons pu débloquer l’intervention d’actionnaires privés”, explique Charles-Eric Winandy, directeur et cofondateur.
“Clairement, la présence de l’EIC et le montant qu’il a mis sur la table en début de course ont été décisifs.” – Charles-Eric Winandy (moveUP)
“Les avoir à bord est un vrai sceau de validation, reconnu jusqu’aux États-Unis”, confirme Laurent Martinot, CEO de Sunrise. La société namuroise, spécialisée dans les tests du sommeil à domicile, compte le fonds européen parmi ses actionnaires depuis 2023 et se déploie à grande vitesse outre-Atlantique. “Par ailleurs, il s’agit d’un investisseur de long terme. Dans des conditions de marché moins favorables, on sait qu’ils peuvent continuer à aider.”
Même si l’EIC impose des audits réguliers et des exigences en matière de gouvernance, “le dialogue est ouvert et l’approche est alignée avec celle d’un fonds privé, basée sur la confiance, explique Charles-Eric Winandy. Les représentants sont réactifs et avisés. Le format de reporting est identique à celui demandé par les autres investisseurs, il n’y a donc pas de formalisme exagéré.”
Sélectivité et simplification
Cette confiance, toutefois, se mérite. L’EIC ne finance en effet que 4% des dossiers qu’il reçoit. “C’est probablement le programme deeptech le plus compétitif au monde. Le process est très exigeant. Les projections financières et analyses de marché doivent être très étayées. La présentation aux décideurs du fonds est très courte, mais elle doit être solidement préparée”, souligne Laurent Martinot.
Pour les années à venir, l’EIC promet des processus à la fois plus simples, rapides et robustes. Les formulaires de proposition seront réduits de 50 à 20 pages. Le rythme des évaluations sera resserré à deux mois plutôt qu’à six. Les due diligences technologiques préalables aux investissements seront, quant à elles, approfondies. “À travers ses services d’accélération, l’EIC va aussi s’impliquer plus activement dans la guidance des sociétés. Comme nous l’avons fait avec les fonds d’investissement, nous allons également fonder un réseau de grandes entreprises qui souhaitent investir dans les deeptechs et qui pourront s’appuyer sur notre expertise”, promet Bart Becks.
À la croisée de la science et du marché
À celles et ceux qui rêvent d’impliquer l’EIC dans leurs tours de table, Charles-Eric Winandy recommande la persévérance. Il a dû s’y reprendre à trois fois avant d’être sélectionné. “Même si nous nous sommes fait accompagner par les experts de hub.brussels, nous avons rédigé nous-mêmes le dossier afin qu’il reflète fidèlement notre cœur de métier et notre plan stratégique, plutôt que de chercher à cocher toutes les cases.”
Laurent Martinot rappelle pour sa part la vocation de l’EIC à soutenir des projets. Ceux-ci répondent aux priorités de compétitivité et de souveraineté de l’UE, des matières premières critiques à l’IA, l’adaptation au changement climatique, l’énergie, la santé, la fusion nucléaire ou la défense. “Démontrer qu’on répond à un enjeu systémique, et pas seulement à une opportunité commerciale, est important”, précise encore Laurent Martinot.
“Démontrer qu’on répond à un enjeu systémique, et pas seulement à une opportunité commerciale, est important.” – Laurent Martinot (Sunrise)
Tout comme le fait de développer un narratif “du labo au marché”. Un narratif qui combine innovation de rupture, “scalabilité”, vision et impact. “Les représentants du fonds ne sont pas que des experts scientifiques, mais aussi des investisseurs dans l’âme”, ajoute-t-il. L’EIC Summit, organisé les 3 et 4 juin prochain à Tour & Taxis et auquel toute entreprise peut s’inscrire, sera probablement une belle occasion de s’en convaincre.
Philippe Beco
Suivez Trends-Tendances sur Facebook, Instagram, LinkedIn et Bluesky pour rester informé(e) des dernières tendances économiques, financières et entrepreneuriales.