Amid Faljaoui
Le sauvetage du sous-marin Titan, un horrible fait-divers qui montre les travers de notre époque
J’avais terminé l’une de mes dernières chroniques par un « bienvenue, mesdames et messieurs dans l’économie de l’attention ». Je ne croyais pas si bien dire ! Toute l’attention accordée par les médias occidentaux au sauvetage du sous-marin touristique « Titan » en est la preuve supplémentaire.
La forte médiatisation de cette triste affaire surpasse – et de loin – la médiatisation des migrants décédés en Méditerranée. Cela choque pas mal de gens et en premier lieu, au sein même de la profession de journalistes. Plusieurs voix du métier se sont élevées pour déplorer le manque d’intérêt des médias occidentaux et américains en particulier pour le destin des migrants échoués au large de la Grèce, alors que la couverture médiatique de ce sous-marin Titan perdu dans l’Atlantique a requis des moyens médiatiques hors normes.
Le journaliste Alex Taylor a précisé sur son compte Twitter que ce deux poids deux mesures soulevait « un vrai problème déontologique » dans la hiérarchie des journaux télévisés ayant relaté ces informations.
Il faut dire que la débauche médiatique pour sauver 5 personnes contre pas grand-chose pour sauver 750 enfants, femmes et hommes en pleine méditerranée en a choqué plus d’un. Mais, faut-il s’en étonner ou juste constater une dérive qui existe hélas depuis quelques années déjà ?
D’abord, l’information obéit à des règles qui ne sont pas toujours sympas. Les journalistes apprennent très jeunes la règle du mort au kilomètre. Autrement dit, un ou des morts dans votre ville ont plus d’impact sur notre cerveau reptilien que des dizaines de morts au bout du monde. Et là, pas besoin d’explication pour comprendre la fascination des médias américains qui respectent à la lettre cette règle bien connue des journalistes. Qu’elle choque est un autre aspect du débat, mais c’est une règle journalistique qui devrait être connue de tous.
Ensuite, la présence des chaines de télévision en continu – un phénomène lui aussi récent – montre ou démontre que ce sont des machines qui ont toujours faim, qui ne sont jamais rassasiées.
Sous prétexte d’informer le public en direct et à chaud, elles participent en réalité à l’économie de l’attention. Surtout que les études l’ont montré : une information chasse l’autre dans notre esprit reptilien. Les informations négatives sont 7 fois plus virales que les informations positives.
Jacques Attali, l’intellectuel bien connu s’est également fendu d’un commentaire sur cette médiatisation de sous-marin touristique. Il y explique, à sa manière, que cet horrible fait-divers montre les travers de notre époque. D’abord, la fascination pour le spectacle de la mort, le goût illimité des plus riches pour la consommation la plus luxueuse et pour les sensations fortes et ensuite la passion des médias pour la vie des riches, et in fine, la folie dispendieuse des puissants faisant tout pour sauver leurs proches ».
Pendant ce temps, cet intellectuel estime que le drame médiatique du sous-marin Titan parti voir de près les vestiges du Titanic ne nous incite pas à nous poser les bonnes questions. A savoir, que nous n’avons sans doute pas plus de deux décennies – autant dire rien – pour effectuer ce qu’il appelle le « grand virage ». Il parle bien sûr du réchauffement climatique. Si aujourd’hui, nous n’avons pas encore coulé – ni comme le Titanic ni comme le Titan ni comme ce bateau de pêche anonyme qui a sombré en méditerranée –nous ne sommes, pour autant, pas loin de la catastrophe selon lui.
Pourquoi ce pessimisme de la part de Jacques Attali ? Parce que les autorités politiques et économiques se « contentent de rassurer les vivants d’aujourd’hui avec quelques mesures de façade qui n’empêcheront pas le monde de devenir, à très court terme, un enfer invivable ». Selon lui, sans agir rapidement dans cette fenêtre de tir réduite de 20 ans, nous serons les « fossoyeurs, sinon les assassins de nos petits-enfants ».
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