Télécommunications par satellite: la souveraineté européenne au cœur des discussions

“Nous sommes la seule alternative à Starlink en orbite basse”: face aux craintes d’un retrait de l’entreprise d’Elon Musk en Ukraine, la directrice générale de l’opérateur français de satellites Eutelsat réaffirme auprès de l’AFP être prête à couvrir les besoins militaires du pays.
Eva Berneke, arrivée à la tête du groupe en janvier 2022, voit les regards braqués sur son entreprise depuis la montée de tension entre Kiev et Washington, qui a poussé fin février les autorités ukrainiennes à déclarer travailler à une “alternative” à Starlink, filiale de SpaceX.
Musk, membre éminent de l’administration Trump, a depuis promis de ne pas suspendre son réseau de télécommunications par satellite – qu’il a qualifié de “colonne vertébrale” de l’armée ukrainienne. Mais la question de la souveraineté européenne est revenue au cœur des discussions.
De quoi faire bondir l’action d’Eutelsat, deuxième opérateur mondial de satellites en orbite basse: début mars, son cours a été multiplié par 5, avant de redescendre à environ 3,5 fois sa valeur par rapport au mois de février.
Priorité militaire
Eva Berneke l’assure : son groupe offre une “couverture parfaite” sur le territoire ukrainien. Avec toutefois “moins de capacités” que Starlink.
La constellation de la filiale de SpaceX disposait de quelque 6.000 satellites en orbite basse début 2024. Sa concurrente, avec sa constellation OneWeb, en compte plus de 600.
“Je pense que ce n’est pas très grave (…) Pour les besoins militaires importants, la capacité qu’on a aujourd’hui en Ukraine suffit largement”, estime la Danoise.
Elle souligne aussi que la constellation d’Eutelsat, dont l’orbite est plus éloignée de la Terre que celle de SpaceX, a besoin de moins de satellites.
Mais pour couvrir la population, le réseau de télécommunication terrestre ayant été en partie détruit depuis l’invasion russe, la marche est trop haute. L’entreprise n’a “ni les terminaux” terrestres, ni le nombre de satellites suffisants.
Une orientation assumée par le groupe français.
Tandis que Starlink a créé un “produit phénoménal” pour le grand public, selon les mots de la dirigeante, Eutelsat s’est orienté vers le “B to B”, en proposant ses services aux entreprises, “que ce soit pour les opérateurs mobiles, pour les gouvernements, pour tout ce qui est mobilité maritime et aérien”, détaille Eva Berneke.
Souveraineté européenne
Une expertise qu’elle entend faire peser dans les échanges sur la souveraineté des moyens de communications européens.
“Ce sont des discussions qui sont très actuelles avec l’Ukraine mais qui devraient avoir lieu partout”, commente la dirigeante, alors que l’Italie s’est retrouvée en proie à un vif débat entre le gouvernement de Giorgia Meloni et les partis d’opposition autour d’un potentiel contrat de télécommunications sécurisées avec Starlink.
“De manière générale, on est en train d’ouvrir beaucoup de discussions avec d’autres (pays) parce que, même si on n’est pas dans une situation de guerre en France, en Allemagne ou chez moi au Danemark, on se dit que c’est une bonne idée d’avoir une alternative.”
Mais la question de la souveraineté se pose aussi s’agissant des services d’Eutelsat, et plus largement de l’industrie spatiale européenne.
De la construction de satellites à leur lancement, SpaceX s’est offert la maîtrise de la quasi-totalité de sa chaîne de production.
Un savoir-faire dont dépendent en partie ses concurrents : la vingtaine de nouveaux satellites de la constellation OneWeb a été lancée en octobre grâce à la fusée Falcon 9 de l’entreprise d’Elon Musk.
Eutelsat continuera-t-elle à recourir aux services du géant américain ? “Très probablement, répond Eva Berneke, parce qu’aujourd’hui, c’est SpaceX qui fournit plus de 90% des capacités sur le marché des lanceurs.”
La question du renforcement des capacités spatiales européennes et de la souveraineté sur l’ensemble de la chaîne de valeur a déjà obtenu un début de réponse, avec la désignation par l’UE mi-décembre d’un consortium d’entreprises, dont Eutelsat, pour déployer la constellation multi-orbitale Iris².
“Une grosse partie du raisonnement d’Iris², c’est d’assurer qu’en Europe, on construit, on produit (…) Maintenant, ça prend un peu de temps”, rappelle la Danoise.
La mise en service de cette nouvelle constellation n’est en effet pas attendue avant 2030.
D’ici là, l’opérateur français a prévu de lancer dans un premier temps 100 satellites, commandés à Airbus, puis 340. Une “deuxième génération” destinée à assurer la continuité de OneWeb.