Partie de poker entre M6 et RTL Belgique
La chaîne de télévision française M6 envisage de s’installer en Belgique pour y glaner des revenus publicitaires. A moins qu’il ne s’agisse d’un coup de bluff destiné à forcer RTL Belgique à débourser davantage pour poursuivre la diffusion des émissions phares du groupe hexagonal…
Sommes-nous en train d’assister à une nouvelle partie de poker dans le petit monde de l’audiovisuel belge? Révélée par nos confrères du journal L’Echo il y a trois semaines à peine, l’information semble se vérifier aujourd’hui sur le tapis vert de toutes les spéculations: la chaîne française M6 devrait débarquer l’année prochaine sur les écrans de télévision belges. Le conditionnel est important. Car pour l’instant, rien n’est encore signé et c’est toujours le grand bluff qui domine.
Autour de cette table de poker, plusieurs joueurs se regardent en chiens de faïence, à commencer par les deux entreprises vedettes qui ont visiblement les meilleures cartes en main. Le groupe français M6, d’une part, qui a bâti son succès (1,35 milliard de chiffre d’affaires en 2022) autour de sa chaîne éponyme non disponible en Fédération Wallonie-Bruxelles. Et RTL Belgique, d’autre part, dont les trois chaînes de télévision (RTL-TVI, RTL Club et RTL Plug) diffusent une dizaine de programmes emblématiques précisément produits par M6 (Top Chef, Mariés au premier regard, Les Marseillais, Maison à vendre, etc.)
Nouvelle donne
Longtemps, les deux joueurs ont appartenu à la même famille. L’actionnaire majoritaire du groupe M6 n’est autre que RTL Group (lui-même détenu à 75% par le conglomérat allemand Bertelsmann) qui possédait jadis RTL Belgique, jusqu’à la vente de la filiale belge, il y a tout juste deux ans, au duo d’éditeurs Rossel (Le Soir, Sudinfo, etc.) et DPG Media (VTM, Het Laatste Nieuws, De Morgen, etc.).
Historiquement, il n’était donc pas question pour M6 d’attaquer le marché belge, étant donné que ses programmes phares se retrouvaient dans les grilles de ses chaînes “cousines”, avec des accords commerciaux où chacune des parties trouvait finalement son compte, sous le regard bienveillant de la maison mère. Mais aujourd’hui, la donne a changé. Les accords commerciaux qui lient M6 à RTL Belgique prennent fin l’année prochaine avec, désormais, cette question en toile de fond: plutôt que de renouveler le contrat actuel, ne serait-il pas plus opportun, pour le groupe français, de lancer enfin sa chaîne M6 en Belgique avec ses émissions à succès et, surtout, une offre publicitaire adaptée à ce marché spécifique?
Dilemme financier
Une chose est sûre: M6 explore actuellement le marché belge pour évaluer la faisabilité d’un tel scénario. Plusieurs acteurs du secteur audiovisuel (régies publicitaires, agences médias, opérateurs télécoms, etc.) nous confirment cet état de fait: le groupe français multiplie en ce moment les contacts en Belgique avec, toutefois, ce dilemme en filigrane: le jeu en vaut-il vraiment la chandelle?
Autrement dit, dans un marché déjà morcelé, les gains publicitaires engrangés avec l’installation d’une “nouvelle” chaîne en Belgique francophone seraient-ils vraiment supérieurs aux coûts engendrés (bureaux, régie, etc.)? D’autant plus que le groupe M6 serait également contraint d’investir dans la production locale, comme le stipule le décret SMA (services de médias audiovisuels) qui impose désormais aux éditeurs locaux et étrangers de contribuer à la production audiovisuelle locale (en consacrant actuellement 2,2% de leur chiffre d’affaires réalisé en Fédération Wallonie-Bruxelles et, progressivement, jusqu’à 9,5% en 2027).
Dans ce cas, ne serait-il pas plus intéressant pour M6 de pérenniser les accords actuels avec RTL Belgique, mais à un prix plus élevé? C’est là, précisément, que le poker s’installe. Si le principal intéressé préfère jouer sa partie en silence (sur ce dossier, “no comment” chez M6 à Paris), son “partenaire-adversaire” ose toutefois une timide sortie: “RTL Belgique est engagé avec M6 pour la diffusion de certains de leurs contenus jusqu’en 2024, répond sobrement son directeur de la télévision Erwin Lapraille. Pour la suite, nous sommes, comme chaque année, en discussion commerciale avec M6, avec qui nous entretenons de très bonnes relations.” Bref, un grand semblant de rien sur l’éventuelle arrivée de la chaîne M6 en Belgique…
Le grand bluff
D’autres joueurs plus discrets se risquent toutefois à un commentaire: “Il y a clairement un bras de fer qui existe entre les deux parties, note Yves Gérard, CEO de RMB, la régie publicitaire de la RTBF. Comme RTL Belgique ne fait plus partie de sa famille, M6 fait monter le prix de ses programmes. Sa menace de venir en Belgique peut dès lors être vue comme un coup de poker dans les négociations. Ou peut-être pas. Car il ne faut pas oublier que M6 s’est installée en Suisse il y a plus de 20 ans déjà avec ses programmes et une offre publicitaire locale qui donne des résultats.”
Si M6 sort son carré d’as d’un lancement en Belgique l’année prochaine, l’impact sur le marché ne sera pas anodin.
Bluff ou pas, le groupe français est bien en train de sonder le marché belge avec cette autre question sur le tapis vert: si M6 s’installe chez nous, va-t-elle créer sa propre régie ou va-t-elle confier la commercialisation de ses écrans publicitaires à un acteur existant comme RMB, DPG Media, Transfer ou encore Ads & Data? La question s’était déjà posée pour TF1 lorsque la chaîne privée avait décidé fin 2016 de monétiser son audience en Belgique. Finalement, la régie flamande Transfer avait remporté la mise avant que TF1 ne décide de changer de partenaire commercial en confiant ses écrans belges à IP, l’ancienne régie de RTL Belgique absorbée depuis par son nouveau propriétaire DPG Media.
“Il serait étonnant que M6 monte sa propre régie, réagit Bernard Cools, chief intelligence officer à l’agence médias Space. Le marché belge est trop petit et cela occasionnerait trop de frais. Tout se jouera sans doute entre RMB et Transfer qui est favori, selon moi, avec un modèle davantage adapté aux petites chaînes (cette régie flamande commercialise déjà les espaces de la chaîne française C8 en Belgique, Ndlr).”
Bataille en vue
Si M6 sort son carré d’as d’un lancement en Belgique l’année prochaine, l’impact sur le marché ne sera pas anodin. Selon les experts du secteur audiovisuel, la chaîne française pourrait rapidement atteindre les 5% de parts d’audience en grignotant un gâteau publicitaire non extensible. Cette concurrence frontale, sur un marché déjà fort morcelé, serait davantage problématique pour RTL Belgique.
Lire aussi | Sale temps pour la télé
“En 2022, les revenus publicitaires en valeur brute générés avant, pendant et après les programmes de M6 sur les chaînes de RTL Belgique représentaient plus de 56 millions d’euros, note Thierry Brynaert, CEO de l’agence média WaveMaker Belgium, soit plus de 15% de ses revenus engrangés en télévision selon l’institut Nielsen (pour la valeur nette, il convient de réduire ce montant de 50 à 60%, Ndlr). Si M6 se lance en Belgique, il est clair que les régies existantes, francophones comme néerlandophones, se battront pour l’obtenir dans leur portefeuille.”
Dans la grande partie de poker qui se joue actuellement, l’influence de ces acteurs de l’ombre n’est donc pas à minimiser. Même si, évidemment, ces montants seront fortement revus à la baisse dans le scénario d’une nouvelle chaîne qu’il faudra installer dans un marché publicitaire belge qui ne cesse de se contracter en télé (-13% en 2022). Toutefois, selon Bernard Cools de l’agence Space, cette commercialisation d’une “M6 Belgique” pourrait facilement rapporter entre 6 et 7 millions nets au groupe français en “année de croisière”. Un gain non négligeable sur le tapis vert.
- L’Echo
- M6
- Fédération Wallonie-Bruxelles
- RTL Belgique
- RTL-TVI
- RTL Club
- RTL Plug
- Les Marseillais
- Maison
- RTL Group
- Bertelsmann
- Rossel
- Le Soir
- Sudinfo
- DPG Media
- VTM
- Het Laatste Nieuws
- De Morgen
- SMA
- Erwin Lapraille
- Yves Gérard
- RMB
- RTBF
- Transfer
- Ads Data
- TF1
- IP
- Bernard Cools
- Space
- C8
- Ndlr
- Thierry Brynaert
- WaveMaker Belgium
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici