Nivelles: futur centre européen du drone?
ID2Move accueille les start-up et les entreprises qui portent des projets liés aux systèmes autonomes. Grâce à son infrastructure unique, l’accélérateur nivellois compte bien devenir une référence européenne dans le domaine du drone.
Pour Patrick Mascart, c’est le terrain de jeu idéal. Ce spécialiste du drone vient régulièrement tester ses appareils dans la zone de vol XXL de l’accélérateur nivellois ID2Move. “Ici, on est dans notre bulle aérienne”, explique le cofondateur de FRTC, une entreprise qui propose des formations en pilotage de drones pour les forces de l’ordre, les pompiers, la protection civile, etc. Patrick Mascart connaît bien les lieux: sa société est membre de l’incubateur et il joue un rôle de consultant externe pour ID2Move dans tout ce qui a trait aux drones.
Cet espace spécialisé se positionne comme un centre de référence dans le domaine des systèmes autonomes terrestres, aquatiques et aériens. Un “circuit” géré par le RACB permet de tester des applications pour voitures autonomes. Et grâce à un partenariat avec l’Euro Space Center, qui dispose d’une piscine anciennement utilisée pour des projets spatiaux, des tests peuvent être menés avec des engins naviguant sous l’eau. Voilà pour les véhicules terrestres aquatiques. Mais le focus principal d’ID2Move, ce sont les véhicules volants, les drones.
Emilien Watelet, le directeur des lieux, ne manque pas d’ambition. “L’objectif est de devenir un centre de référence belge et européen dans le domaine des systèmes autonomes, avance-t-il. Pour attirer les meilleurs projets, nous avons développé une infrastructure unique. Ici, on peut tout faire. Nous disposons de zones de vol, intérieure et extérieure, d’un centre de prototypage pour construire de nouvelles machines, et d’espaces de travail pour les entreprises et les start-up.”
Zone tous terrains
La zone de vol extérieure couvre une superficie de 600 hectares. Dans tout le périmètre, les vols de drones sont autorisés par la DGTA (la Direction générale du transport aérien, qui dépend du SPF Mobilité). C’est un vrai luxe: sur le territoire belge, rares sont les zones où le pilotage de ces engins n’est pas restreint. Ici, à Nivelles, les entreprises peuvent survoler différents terrains: champs, zone industrielle, zone urbaine, routes, chemins de fer… Les drones peuvent être mis en situation en fonction du cas pratique que souhaite étudier la société membre de l’incubateur, par exemple l’épandage sur les terrains agricoles ou la maintenance des infrastructures ferroviaires.
L’objectif est de devenir un centre de référence belge et européen dans le domaine des systèmes autonomes.” Emilien Watelet, directeur d’ID2Move
Pour ajouter une corde à son arc, ID2Move vient de s’associer avec l’aérodrome de Saint-Hubert, à partir duquel les membres pourront survoler une large zone forestière qui vient d’être autorisée par la DGTA. “On pourra y tester des drones sur de longues distances, sur plusieurs kilomètres, pilotés hors vue”, explique Emilien Watelet. En forêt de Saint-Hubert, des tests pourront être menés en matière de recherche de personnes disparues, de comptage d’animaux sauvages ou de contrôle des maladies des arbres. A cette zone forestière s’ajoute une ancienne zone industrielle: l’incubateur a accès au site d’une ancienne carrière, située du côté de Philippeville. Les lieux sont adaptés à des tests de photogrammétrie, une technique de modélisation des espaces en trois dimensions à partir de photographies aériennes, en l’occurrence prises par des drones.
Recherches universitaires
A ces zones de vol extérieures s’ajoute un terrain d’expérimentation intérieur. Il prend la forme d’un vaste hangar de 600 m2 disposant d’une hauteur sous plafond de 7 m. On y retrouve Moaad Yacoubi, doctorant à l’ULB. Il teste actuellement un drôle d’engin muni de cinq hélices. “Il possède une grande poussée et une grande autonomie. Il est capable de transporter une charge utile de 12 kg”, pointe le doctorant. Une performance unique pour un drone de ce type, nous explique Moaad Yacoubi, qui planche depuis plusieurs années sur ce projet.
ID2Move est en cheville avec l’ULB, dont le département ATM (aéro-thermo-mécanique) utilise les infrastructures nivelloises. L’implication de l’ULB se retrouve à la base du projet ID2Move, qui est porté par CAP Innove, un centre européen d’expertise et d’innovation créé dans les années 1980 par des professeurs de l’ULB et financé par les fonds européens Feder. Aujourd’hui, l’actionnariat de CAP Innove se partage entre l’intercommunale du Brabant wallon In BW, l’ULB et le fonds des investissements ferroviaires (SNCB). La structure se consacre à l’accompagnement des entreprises et a décidé de développer plus spécifiquement trois domaines d’expertise: l’alimentation (ID2Food), le développement durable (ID2Green) et les systèmes autonomes (ID2Move).
Un début d’écosystème
Une bonne vingtaine de sociétés ont rejoint l’incubateur en tant que membres permanents. D’autres utilisent les infrastructures à la demande, en fonction de leurs besoins ponctuels. Toute une série de start-up belges actives dans le secteur du drone sont donc rassemblées dans ce qui ressemble tout doucement à un petit écosystème spécialisé. Un des domaines d’application les plus développés actuellement est celui de la sécurité.
C’est ainsi qu’on retrouve à Nivelles la start-up Sky-Hero. Cette jeune pousse se focalise sur les drones d’intervention à destination des forces de police. Elle conceptualise de petits engins volants capables de se faufiler à l’intérieur des bâtiments où les policiers s’apprêtent à intervenir, afin de leur apporter des images en temps réel sur la disposition des lieux et la localisation des éventuelles cibles ou de leurs victimes. La start-up vend ses appareils, conçus en Belgique et fabriqués en Lituanie, aux services de police belges et étrangers. Elle compte dans ses clients une grande agence fédérale américaine qui s’occupe de la sécurité intérieure du pays. Elle a déjà vendu plusieurs milliers de drones.
Chez ID2Move, Sky-Hero a pu tester ses prototypes dans la zone de vol intérieure mise à disposition par l’incubateur nivellois. “Au départ, c’était un bâtiment industriel vide, brut de décoffrage. Puis le bâtiment a fait l’objet de travaux, il était parfois très poussiéreux… Bref, c’était parfait pour tester nos drones dans tous les environnements possibles”, souligne Alexis Franck, directeur de Sky-Hero. Dans la nouvelle salle de vol fraîchement remise à neuf, les équipes pourront tester un nouveau dispositif. Le hangar est désormais bardé de capteurs de précision, du sol au plafond, qui mesurent toute une série de paramètres de déplacement des drones. L’espace est notamment équipé de caméras de motion capture qui étudient les mouvements des machines.
Autre société active dans la sécurité, Cybrid Thrust conçoit des systèmes autonomes visant notamment à protéger des infrastructures critiques (port, centrale nucléaire, site Seveso, etc.). “Nous proposons des interfaces de contrôle qui peuvent envoyer à un drone le signal d’intervenir de manière autonome, lorsqu’un senseur se déclenche”, explique Matteo Baronio, fondateur et CEO de Cybrid Thrust. Sa société développe aussi des systèmes d’interception automatique de drones non autorisés dans un périmètre défini.
D’autres start-up présentes sur place se spécialisent dans d’autres sous-secteurs, comme la réparation de matériel (Drone Clinic), la cartographie de surfaces agricoles (Helodrone), la livraison médicale (Hdrones), la capture de vues aériennes (Scorpix, Look4Drone), etc. Une école de formation pour pilotes de drones s’est aussi installée dans l’incubateur nivellois. Pour certains types de vols et pour l’utilisation de certains appareils, la législation oblige en effet les pilotes à obtenir une licence professionnelle. “Nous avons formé la moitié des pilotes de drone en Belgique”, pointe Matthieu Gérard, CEO de l’European Drone School. L’école de pilotage développe des cours théoriques et des cours pratiques en ligne. Soutenue par le réseau de business angels BeAngels et par le fonds Digital Attraxion, elle vient de lever 230.000 euros pour s’attaquer au marché international, avec l’ambition de devenir leader européen de son marché.
Bientôt le transport de marchandises?
A côté de ces start-up se positionnent quelques grandes entreprises spécialisées dans les systèmes autonomes. La société automobile japonaise Aisin, active notamment dans les systèmes de navigation des véhicules, est membre de l’incubateur. De même que la société chinoise Yike, qui importe des drones. La Sabca (aérien) a déjà utilisé les infrastructures de manière sporadique. AGC Automotive (automobile) et Proximus (connectivité) ont montré des marques d’intérêt.
Le marché du drone est encore jeune mais il est prometteur. Chez ID2Move, forcément, on croit très fort dans son potentiel. “C’est un business où certains projets ressemblent encore à de la science-fiction. Mais dans certains pays, ça avance très vite. Par exemple, en Espagne, certains centres logistiques se préparent déjà à la livraison par drone alors que le marché n’est même pas encore ouvert!”, constate Emilien Watelet. Selon le responsable d’ID2Move, il y a encore une certaine frilosité en Belgique alors que les domaines d’application se multiplient. “La sécurité, c’est déjà un business important. L’analyse des sols dans le domaine agricole, c’est aussi un secteur en pleine croissance. Et la surveillance des infrastructures difficilement accessibles et dangereuses pour l’homme, comme les éoliennes offshores, c’est également un domaine qui a beaucoup de potentiel.”
Emilien Watelet veut voir encore plus loin. Pour lui, le futur, c’est le transport de marchandises par drone. Le secteur médical pourrait être le premier à utiliser ce nouveau système. “Le transport de marchandises par drone souffre d’un problème d’acceptation sociale, estime Emilien Watelet. Les gens ne sont pas encore prêts à voir des drones de livraison se multiplier. Mais si c’est pour la bonne cause, pour des applications médicales, ce verrou pourrait sauter.” Des tests sont actuellement en cours pour la livraison de médicaments d’urgence à des maisons de repos. Certains transports d’organes pourraient aussi s’avérer plus efficaces s’ils sont réalisés par drones. Et dans le domaine de la logistique, certaines usines ont commencé à tester le transport de petites pièces d’un bâtiment à un autre. La livraison de pizzas par drone, ce sera sans doute pour plus tard.
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