L’IA dans l’administration peut-elle vraiment faire gagner 4 milliards par an ?

Illustration. © ANP / Richard Brocken
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Si le secteur public en Belgique  adoptait davantage l’IA, cela pourrait dégager 4 milliards d’euros par an C’est en tout cas la conclusion d’un rapport réalisé par Implement Consulting Group et commandé par Google.

Un rapport d’Implement Consulting Group, commandé par Google, présente un argument séduisant : si le secteur public du pays adoptait davantage l’IA, et mettait en œuvre une réelle  vision stratégique, cela pourrait dégager 4 milliards d’euros par an. Sur dix ans, le gain pourrait donc se matérialiser en une augmentation du PIB de 45 à 50 milliards d’euros d’ici 2035.

Certes, calculer la valeur ajoutée d’une administration a donné lieu à de nombreux articles plus ou moins scientifiques, mais on estime par exemple qu’introduire l’IA générative dans l’administration pourrait réduire la charge des entreprises de 700 à 800 millions d’euros par an.

Deux fonctionnaires sur trois n’utilisent pas l’IA

Evidemment, pour y arriver, il y a du chemin. Deux fonctionnaires sur trois déclarent ne jamais, ou très rarement, utiliser l’IA dans leur travail.  Quand on parle de digitalisation du secteur public, la Belgique n’est pas une épée, elle est plutôt dans le fond de la classe. Notre pays occupe actuellement la 16ème place dans l’indice de l’économie et de la société numériques (DESI) de la Commission européenne. Son score de 67% dans l’indice de préparation à l’IA qui est élaboré par le Fonds Monétaire International ne nous place pas parmi les meilleurs non plus. Et le vécu de nombreux usagers, on pense notamment aux gens du chiffres qui doivent se battre quotidiennement avec les sites de l’administration fiscale, vient renforcer ce sentiment.

C’est là qu’intervient l’IA, qui, selon le rapport, pourrait transformer 71 % des fonctions administratives, touchant 320 000 emplois – non pas en remplaçant les travailleurs, mais en les libérant des tâches répétitives.

 En se concentrant sur quelques domaines clés – gestion des dossiers individuels, budgétisation, réglementation – la Belgique pourrait déjà capturer une bonne partie des gains. Imaginez des algorithmes triant les demandes des citoyens, détectant les erreurs dans les déclarations fiscales ou anticipant les besoins en infrastructures. Les chatbots, déjà présents sur des portails comme MyMinfin, pourraient devenir des assistants personnalisés, vous rappelant les échéances fiscales ou vous guidant dans les dédales administratifs. Pour les entreprises, l’IA pourrait réduire les charges administratives d’un milliard d’euros par an, libérant des fonds pour l’innovation.

Mais pour mettre tout cela en œuvre, il faut passer par les arcanes de notre structure fédérale, et ce n’est pas du tout cuit. La fragmentation des niveaux de pouvoir est un obstacle majeur, souligne Implement Consulting Group, aux côtés de l’incertitude réglementaire (merci au nouvel AI Act de l’UE), de la peur des échecs technologiques, de la dépendance aux fournisseurs externes et du scepticisme du public.

Des menaces

Prenons la cybersécurité. Les services numériques ne valent que par leurs défenses, et le eGovernment Benchmark 2025, un rapport comparatif de la Commission européenne, met en garde contre des vulnérabilités persistantes, notamment pour les services transfrontaliers. L’IA peut aider à repérer les menaces, mais des systèmes mal sécurisés pourraient se retourner contre leurs utilisateurs. Tiens, entre parenthèses, c’est là que l’on voit que les dépense de cybersécurité qui font partie du plan de défense de l’OTAN pourraient servir.

Le déficit de compétences est un autre défi à relever. Intégrer l’IA exige une main-d’œuvre technophile. Or, on l’a dit,  66 % des fonctionnaires belges utilisent rarement ou jamais l’IA. Des programmes comme Start AI en Wallonie ou AI Academy en Flandre sont prometteurs, mais ils restent marginaux. Développer la formation – via des MOOCs, l’apprentissage tout au long de la vie – sera crucial.

Infrastructure et IA Factories

Les citoyens, déjà agacés par les ratés bureaucratiques, ne vont pas non plus automatiquement applaudir des algorithmes opaques sans voir des bénéfices concrets – et sans être rassurés par des garde-fous clairs.

Il y a aussi la nécessité d’avoir une infrastructure ad hoc :  l’IA a besoin de puissance de calcul. Les investissements dans des AI Factories et Gigafactories devraient se développer.

Bref, pour automatiser les tâches administratives, déployer des chatbots plus intelligents, et laisser les fonctionnaires se concentrer sur des missions à forte valeur ajoutée, il va falloir investir, en personnes et en matériels. Mais cela vaut la peine d’y réfléchir si c’est pour gagner l’équivalent de 4 milliards par an.

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