L’hôpital et l’IA : “Je ne crois pas à un scénario où l’humain est remplacé”

Intelligence artificielle à l'Hôpital.
Illustration. © Getty Images
Vincent Genot
Vincent Genot Coordinateur online news

À la Clinique Saint-Luc de Bouge, l’intelligence artificielle (IA) s’impose comme un outil d’appui du personnel soignant, non de remplacement. Son directeur général, Adrien Dufour, plaide pour une IA qui “augmente”, encadrée par une gouvernance éthique et mise au service du soin et de la relation humaine.

L’intelligence artificielle s’invite aujourd’hui dans tous les domaines, y compris la santé. Quelle est votre position à ce sujet ?

Adrien Dufour, Directeur de la Clinique Saint-Luc de Bouge.

Adrien Dufour : Il est essentiel de voir l’intelligence artificielle non pas comme un remplacement, mais comme un outil. On parle souvent de métiers menacés, mais je crois davantage à la personne “augmentée grâce à” plutôt que “remplacée par”. Dans le monde hospitalier, l’IA peut soutenir la relation au patient, améliorer l’analyse des données, simplifier des tâches administratives ou aider à la prise de décision médicale. Mais elle ne se substitue pas à la part humaine de la relation de soin.

Cette complémentarité entre humain et machine semble au cœur de votre approche. Comment la définissez-vous ?

A.D. : Oui, c’est une question de valeur ajoutée. Certaines tâches répétitives pourront être automatisées, mais cela nous permettra peut-être de redonner du sens à d’autres fonctions. Le vrai enjeu, c’est l’accompagnement des personnes face à ces changements. Et puis, dans notre métier, il reste une dimension fondamentale : le contact, l’écoute, la compréhension émotionnelle. C’est ce que l’IA ne pourra jamais reproduire pleinement.

Concrètement, comment la Clinique Saint-Luc Bouge utilise-t-elle déjà l’intelligence artificielle ?

A.D. : Nous l’avons intégrée dans plusieurs domaines. Par exemple, au laboratoire, un algorithme analyse les paramètres urinaires pour conseiller les médecins sur l’opportunité de débuter ou non une antibiothérapie. Cela permet de réduire la consommation d’antibiotiques et de lutter contre l’antibiorésistance. Nous travaillons aussi sur la gestion optimisée des lits, grâce à un logiciel qui redistribue les tâches et les ressources en fonction des imprévus. Enfin, nous testons des outils de reconnaissance vocale pour rédiger automatiquement les comptes rendus médicaux. L’objectif n’est pas de remplacer le soignant, mais de lui rendre du temps médical et humain.

Ces technologies posent aussi des questions de gouvernance et d’éthique. Comment les abordez-vous ?

A.D. : Nous avons mis en place un document de gouvernance spécifique à l’intelligence artificielle. Chaque demande d’intégration d’un outil IA doit être soumise à un processus d’évaluation, en lien avec notre délégué à la protection des données et notre service juridique. Cela permet de garder une vision claire de l’écosystème applicatif et de garantir la sécurité et l’éthique des usages. Ce cadre s’appuie sur des principes fondamentaux : transparence, supervision humaine, non-discrimination, protection des données et évaluation permanente. L’IA doit toujours rester un outil sous contrôle humain.

Vous évoquez souvent la nécessité de “garder un esprit critique”. Pourquoi ?

A.D. : Parce que nous entrons dans un monde où le réel se mêle au virtuel. Il faut apprendre à apprendre, et surtout apprendre à questionner. Une bonne réponse, c’est peut-être d’abord une bonne question. C’est cette capacité d’analyse et de recul qu’il faut préserver, notamment dans la formation des jeunes générations. Sinon, on risque d’adopter des solutions automatisées sans se demander si elles sont pertinentes.

L’un des fantasmes liés à l’IA, c’est la disparition de l’humain dans les soins. Est-ce une crainte légitime ?

A.D. : C’est une crainte que je comprends, mais je ne la partage pas. L’IA ne doit pas effacer l’humain, elle doit le renforcer. La technologie peut automatiser certains processus, mais elle ne remplace pas la valeur humaine. Dans un hôpital, la relation patient-soignant reste irremplaçable. Il faut différencier la “valeur humaine” de “l’humain exécutant”. L’IA peut prendre en charge la technique, mais la relation, elle, demeure profondément humaine.

Au-delà du présent, quelles avancées vous semblent les plus prometteuses ?

A.D. : L’IA a déjà prouvé son intérêt en imagerie médicale, en cardiologie ou dans la surveillance de pathologies chroniques comme le diabète. On voit aussi émerger des outils qui prédisent les réadmissions hospitalières à 30 jours avec une précision de 80 %. Cela permet d’agir en amont, pour éviter les rechutes. Un patch peut monitorer plusieurs paramètres ; combiné à des algorithmes d’interprétation et, par exemple, à une pompe à insuline, on observe des stabilisations remarquables de la glycémie. Mais il faut rester lucide : la technologie doit s’inscrire dans une logique de soin et non dans une fascination. Ce qui fait la différence, c’est toujours la capacité humaine à créer de la valeur, à faire preuve d’empathie et à s’adapter.

Enfin, comment accompagnez-vous le personnel dans cette transition numérique ?

A.D. : Nous avons lancé un programme interne de sensibilisation et de formation. Des modules vidéo expliquent ce qu’est l’IA, comment elle fonctionne et quelles sont ses limites. Nous voulons que chaque collaborateur puisse comprendre les enjeux, tester les outils et poser un regard critique. L’idée, c’est de démystifier l’IA, de la rendre accessible et utile. Parce qu’au fond, la question n’est pas de savoir si elle va transformer notre travail. Elle le fait déjà. La vraie question, c’est : comment allons-nous, collectivement, la mettre au service du soin ?

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