Les risques et les limites de l’intelligence artificielle (IA) pour les entreprises
Depuis l’arrivée de ChatGPT, l’intelligence artificielle (IA) intègre de plus en plus le monde des entreprises. Avec les potentialités mais également les risques et les limites que comprend cette nouvelle technologie.
Cinq jours. Cinq jours seulement ont suffi à l’assistant conversationnel ChatGPT, lancé en novembre 2022, pour atteindre un million d’utilisateurs. Là où il a fallu deux mois et demi à Instagram, 10 mois à Facebook ou encore deux ans à Twitter, aujourd’hui rebaptisé X. Autant dire que nous assistons à un véritable tsunami de l’intelligence artificielle générative qui touche les particuliers, mais également les entreprises.
“J’ai coutume de dire que j’ai connu trois révolutions, note Alain Ejzyn, responsable du département ‘management des systèmes d’information’ à l’Ichec. La première a été l’arrivée du web, la deuxième le mobile et aujourd’hui l’IA. Au sein des PME, qui constituent par leur diversité un monde à part, l’IA suscite beaucoup de questionnement. Pour ma part, elle doit être considérée comme un couteau suisse. Vous bénéficiez de nombreuses fonctionnalités, mais vous ne disposez pas du mode d’emploi. Les PME doivent dorénavant dépasser le stade de la rédaction d’un texte ou d’un post sur LinkedIn. En d’autres termes, elles doivent passer de la phase de découverte à une phase d’expérimentation.”
“L’IA doit être considérée comme un couteau suisse. Vous pouvez bénéficier de nombreuses fonctionnalités sans pour autant disposer du mode d’emploi.” – ALAIN EJZYN (ICHEC)
L’IA s’étend dans les PME
Avant de plonger plus avant dans l’utilisation de l’IA au sein des PME, dressons d’abord un succinct état des lieux sur la base des données disponibles. Selon des chiffres fournis par le SPF Économie, les dernières statistiques sur la digitalisation des PME et des indépendants en Belgique pour l’année 2023 révèlent des tendances importantes dans l’adoption des technologies numériques au sein de ces entreprises, notamment en ce qui concerne l’expansion de l’IA.
En 2023, 23% des entreprises de taille moyenne ont intégré cette technologie, soit une hausse de 6 points de pourcentage en deux ans et de 10 points en trois ans. Toutefois, elle est utilisée par à peine 7,5% des micro-entreprises et 10,6% des petites entreprises. Un tiers des PME, quelle que soit leur taille, y ont recours pour assurer leur cybersécurité. L’IA est également souvent utilisée pour assurer la gestion logistique et les processus de gestion au sein des PME.
Les types d’IA les plus fréquemment utilisés comprennent l’analyse du langage écrit, les technologies d’automatisation des flux de travail ou d’aide à la prise de décision, les technologies de génération de langage écrit ou parlé. Parmi les obstacles qui freinent l’adoption de l’IA figurent d’abord, en particulier pour les plus petites entreprises (moins de 10 travailleurs), le manque d’expertise. Viennent ensuite les questions techniques, telles que le manque de disponibilité ou la faible qualité des données, ainsi que l’incompatibilité avec les équipements, logiciels ou systèmes existants. Les difficultés liées à la protection des données, au respect de la vie privée et aux conséquences juridiques sont également considérées comme un frein pour près de quatre PME sur dix.
Une expertise indispensable
Afin d’utiliser avec le maximum d’efficience l’IA sous ses multiples formes, qui dépassent ChatGPT, il est indispensable de faire appel à des spécialistes qui vont pouvoir vous accompagner et vous sensibiliser aux limites et aux risques que comporte cette nouvelle technologie. Experte en transformation digitale et fondatrice de Vucable, spécialisée dans les solutions numériques centrées sur l’humain qui développe mAIté, une solution govtech utilisant notamment l’IA pour rendre les services publics plus accessibles, Helen Tueni pose un regard lucide sur l’utilisation de l’IA dans les PME.
“Beaucoup emploient l’IA générative pour créer des contenus sans être correctement formés à ces nouveaux outils. Ils n’en connaissent pas les limites et manquent par ailleurs souvent d’esprit critique. À leur décharge, il faut reconnaître qu’il y a derrière ces outils une certaine opacité, notamment par rapport aux sources. Il est important pour les PME de recourir à l’expertise de professionnels qui vont les conseiller et les former à utiliser les technologies spécifiquement adaptées à leur métier.”
“Il est important pour les PME de recourir à l’expertise de professionnels qui vont les conseiller et les former à utiliser les technologies adaptées à leur métier.” – HELEN TUENI (VUCABLE)
“Toutes les entreprises sont impactées par l’IA, intervient Valérie Zapico, fondatrice de Valkuren qui développe des solutions big data basées sur l’analyse de données et l’intelligence artificielle. Actuellement, une PME sur six utilise déjà l’IA en Belgique, et pour les grandes entreprises la proportion atteint les 50%. En ce qui concerne les plus petites entreprises, beaucoup ne sont pas encore conscientes de la valeur ajoutée que peut leur apporter l’IA. C’est pourquoi, je confirme qu’elles doivent être accompagnées par des experts pour améliorer dans un premier temps la communication, le marketing, les ventes, etc., et dans un second temps, automatiser certains process comme des réponses à des mails ou préparer des devis, par exemple. Aujourd’hui, on dispose déjà de nombreux outils qui s’améliorent sans cesse et permettent de répondre à des demandes de plus en plus pointues.”
“En ce qui concerne les plus petites entreprises, beaucoup ne sont pas encore conscientes de la valeur ajoutée que peut leur apporter l’IA.” – VALÉRIE ZAPICO (VALKUREN)
Sensibilisation et formation
Quelle que soit la taille des entreprises, on considère qu’une bonne moitié des salariés ont déjà utilisé ChatGPT soit à des fins privées, soit à des fins professionnelles. En d’autres termes, l’IA a déjà infusé dans les PME. Dans cette optique, le deuxième baromètre des pratiques managériales innovantes que réalise actuellement l’Ichec, en collaboration avec Intys, livre des premiers résultats provisoires relatifs aux usages de l’IA soulignant quelques tendances intéressantes.
“Sans entrer dans les détails, on constate que ce sont souvent des employés ou le middle management qui est à l’origine de l’utilisation de l’IA au sein de l’entreprise et plus rarement la direction, analyse Alain Ejzyn. Autrement dit, ce sont souvent des initiatives individuelles plutôt qu’une décision d’un dirigeant. Maintenant, on constate ensuite qu’une fois que l’IA est utilisée, la direction encourage son développement d’autant plus que cela ne représente pas un coût important pour une PME.”
On observe également que dans nombre de PME, l’acquisition de connaissances et de pratiques de l’IA se fait d’abord via l’auto-apprentissage (recherches personnelles, expérimentations) plutôt que par des formations en entreprise ou externes. Or, la formation à cette nouvelle technologie est indispensable afin d’en retirer le maximum de bénéfices.
“Il s’agit de former, mais également de sensibiliser l’ensemble des collaborateurs à l’utilisation de l’IA, confirme Baptiste Conchin, cofondateur avec Eliot Parmentier de Virtura. Nous fournissons aux entreprises un accompagnement concret et personnalisé avec pour premier but de simplifier l’adoption de l’IA. Ensuite, nous allons déterminer avec elles, selon leur secteur d’activité et leurs objectifs, une vision et une stratégie qui intègre l’IA. Il est primordial également de conscientiser le personnel aux limites et risques de l’IA, notamment en ce qui concerne la confidentialité.”
L’IA complémentaire à l’humain
Lorsque vous formulez une demande à l’IA sous forme de question plus ou moins détaillée, celle-ci enregistre vos informations afin d’améliorer la qualité de ses réponses présentes et futures. Il est donc essentiel de veiller à ne pas lui confier des données stratégiques concernant votre entreprise. Or, cela arrive encore très souvent.
“Certains confient l’analyse de leur fichier client, d’un business plan ou d’une stratégie à l’IA, pointe Helen Tueni, sans se rendre compte que ces données confidentielles peuvent ainsi profiter à d’autres, dont éventuellement des concurrents.” Sans oublier le respect de la vie privée. Tout en gardant à l’esprit que les données que l’on fournit alimentent des sociétés qui sont pour l’essentiel américaines et moins regardantes en matière de protection des datas. Un autre point à souligner est l’importance de l’expertise de l’utilisateur de l’IA afin qu’il puisse détecter des informations erronées présentées comme des faits, connues sous le nom d’hallucinations.
“Si l’on veut rester qualitatif dans le monde de demain, on aura toujours besoin de l’humain pour vérifier l’IA.” – BAPTISTE CONCHIN (VIRTURA)
Même si ses performances ne cessent de s’améliorer à chaque instant, l’intelligence artificielle n’a pas encore remplacé l’humain. “Mais il est important qu’il conserve son esprit critique, ajoute Alain Ejzyn. Et qu’il demeure dans son domaine de compétences afin d’être capable de vérifier la qualité et la pertinence des réponses que lui fournit l’IA.”
En s’entourant d’experts et en investissant dans la formation, les PME vont être capables de relever le défi de l’IA et d’en retirer du profit. “Elles vont alors améliorer leur efficience et libérer du temps pour que leurs collaborateurs puissent se consacrer à d’autres tâches à plus forte valeur ajoutée”, ajoute Valérie Zapico. En conclusion, les PME ont donc tout à gagner à utiliser les potentialités qu’offre l’IA sous toutes ses formes, à condition de conserver non seulement un regard critique mais également les clés de leur entreprise.
“De toute manière, si l’on veut rester qualitatif dans le monde de demain, on aura toujours besoin de l’humain pour vérifier l’IA”, conclut Baptiste Conchin.
Intelligence artificielle
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