Les perles méconnues de Proximus

Telesign
Telesign, société californienne basée à Los Angeles, active dans le marché des services CPaaS, a été rachetée en 2017 par Proximus. © P.G.
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Il y a deux Proximus. Celui que nous connaissons, le réseau télécom belge. Et une activité numérique internationale, peu connue. Le CEO du groupe, Guillaume Boutin, espère la rendre aussi importante que l’activité historique de la maison.

Les développements de Proximus ne se résument pas à l’installation de la fibre optique, dont des panneaux publicitaires vantent partout en Belgique la performance, et à la 5G, en plein déploiement. L’héritier de Belgacom (et de la RTT) n’est pas seulement un opérateur de réseaux téléphoniques fixes et mobiles en Belgique. Depuis quelques années, il cherche à se développer dans des services numériques inter­nationaux, au service de huit des dix premiers acteurs digitaux mondiaux, dont Microsoft, Amazon ou WhatsApp (Facebook).

“Nous espérons que, dans quelques années, la moitié du chiffre d’affai­res du groupe Proximus proviendra de nos activités internationales”, annonce Guillaume Boutin, CEO de l’entreprise. En 2022, le chiffre d’affaires consolidé du groupe était de 5,9 milliards d’euros (+5,9%), dont 1,132 milliard à l’international (+13%), les résultats de 2023 seront publiés ce 23 février.

Guillaume Boutin © Olivier Pirard


La part de l’international devrait nettement augmenter avec le rachat, annoncé l’été dernier, d’une société indienne, Route Mobile, spécialisée dans des services de communication digitale. Une opération qui devrait être clôturée dans les mois à venir. Route Mobile est active dans le marché de la transmission de messages d’information liés à des services, comme le statut de la livraison d’un colis, confirmer un rendez-vous chez le médecin, pour l’entretien de la voiture, etc. “Route Mobile est une des meilleures plateformes de communication au monde, elle est en avance sur l’omnichannel. A l’origine, ce type de service passait uniquement par les SMS, Route Mobile l’a aussi développé pour passer sur WhatsApp, Viber, en voice call, notamment”, continue Guillaume Boutin. Ces services sont appelés, dans le jargon du secteur, CPaaS (communication platform as a service). Il conclut : “mon terrain de jeu, ce n’est pas la Belgique, c’est le monde entier”.

Troisième acteur mondial

Route Mobile est une nouvelle pièce d’un puzzle patiemment construit par Proximus pour se diversifier dans des services dont la croissance et la rentabilité dépassent celle de l’activité d’opérateur de réseau télécom. Il avait acquis en 2017 une société californienne, Telesign, basée à Los Angeles, active dans le même marché des services CPaaS. Le ra­pprochement de ces deux entreprises va créer, selon Proximus, le troisième acteur mondial sur ce marché, en volume de messages, derrière Twilio et RingCentral. Telesign est surtout en pointe dans les services de digital identity (identité digitale), l’évaluation de la qualité de l’identité dans les services digitaux, devenue indispensable dans un contexte où la numérisation est désormais la règle et où la fraude est un souci colossal. “Le piratage représente 6.000 milliards de dollars par an. Si c’était une économie, ce serait la troisième mondiale, après les Etats-Unis et la Chine”, avance Christophe Van de Weyer, CEO de Telesign depuis septembre dernier, dans son bureau qui domine le Pacifique à Marina del Rey (Los Angeles). “Avec l’intelligence artificielle générative, les attaques sont plus sophistiquées, le phénomène du SIM swapping se répand, où l’on cherche à vous voler votre numéro de téléphone pour réinitialiser vos comptes sur différents sites, accéder à d’autres informations sensibles ou vous soutirer de l’argent. Nous combattons cela avec la digital identity.”


La digital identity organise un système de notation, basé sur le comportement de l’utilisateur en fonction de sa localisation, de l’adresse IP (internet) utilisée notamment, pour aider les entreprises à valider son identité, en ajoutant en cas de notation faible une procédure supplémentaire, comme l’envoi sur le téléphone d’un mot de passe temporaire. Le tout en une fraction de seconde. “Par exemple si une personne cherche à accéder à un service numérique au départ d’un ordinateur qu’elle n’utilise pas habituellement”, explique Christophe Van de Weyer. Ce service numérique peut sécuriser une boîte de courriels, un logiciel interne à une entreprise, un magasin en ligne, un jeu vidéo, tout ce qui suppose un accès digital.

Le moteur Proximus Opal

La grande idée de Proximus est de rapprocher Telesign et Route Mobile au sein d’un sous-holding, Proximus Opal. Telesign pourra ainsi commercialiser des services de communication digitale CPaaS développés par Route Mobile, lequel vendra les services de digital identity, où Telesign est plus avancé. “Avec l’acquisition de la participation dans Route Mobile, Proximus deviendra l’un des plus grands joueurs du marché CPaaS”, indique KBC Securities dans une note analysant la transaction, qui prévoit une profita­bilité nette potentielle de 165 millions d’euros en 2026 pour Proximus Opal, et des bénéfices dès la conclusion de l’acquisition.

Christophe Van de Weyer


L’importance de l’opération de consolidation avec Route Mobile se lit dans les chiffres. Proximus va racheter la majorité de Route Mobile en cash et aussi par échange de titres Proximus Opal, valorisant ainsi Telesign à 1,4 milliard d’euros. Ainsi Proximus utilise le levier d’une valeur accrue de Telesign pour réduire le coût en cash de l’opération (lire l’encadré “Une bonne affaire ?”).

Une bonne affaire ?
L’opération d’acquisition de Route Mobile par Proximus va consolider l’activité de l’entreprise californienne Telesign à un coût raisonnable. Le groupe belge va obtenir près de 58% de la société indienne, cotée en Bourse, qui sera logée dans un sous-­holding, Proximus Opal, à un coût de 648 millions d’euros. Mais le cash mis sur la table sera moins élevé. Les fondateurs de Route Mobile achèteront jusqu’à 14,5% de Proximus Opal, sur une base de valorisation de 1,4 milliard d’euros, à comparer au prix d’acquisition de Telesign en 2017, de 230 millions d’euros. Proximus bénéficie ainsi d’une plus-value sur Telesign pour limiter la partie cash de la transaction. Le coût final ne sera connu qu’après la clôture de l’opération et l’offre de rachat de titre que Proximus est obligée de faire pour les titres de Route Mobile. KBC Securities évalue le coût pour Proximus, en cash, à 441 millions d’euros. En 2022, Proximus avait envisagé de mettre Telesign en Bourse mais avait dû renoncer en raison d’un marché boursier devenu peu favorable.

Développer moins cher en Inde et en Serbie

“Nous misons aussi sur une complémentarité géographique, continue Christophe Van de Weyer. Telesign est très présent aux Etats-Unis et en Europe, Route Mobile est surtout actif en Inde, en Asie en général et en Amérique latine.” Les marchés connaissent une croissance intéressante. “Pour la digital identity, elle se situe à 20% par an. Pour les services CPaaS, on est plutôt à 10%.”

L’autre dimension de ces opérations concerne les coûts. “Les coûts opérationnels de Route Mobile sont très intéressants car l’essentiel de l’équipe de développement est basée en Inde, avec un accès aux talents à des prix très compétitifs”, note Guillaume Boutin. Telesign n’est pas en reste. Son développement hors Etats-Unis est surtout réalisé à Belgrade (Serbie) où l’entreprise occupe plus de 160 personnes, sur un total de 800 salariés. “Le pays dispose de bonnes universités, nous pouvons y recruter d’excellents ingénieurs en data science“, déclare Christophe Van de Weyer. Les synergies avec Route Mobile devraient, selon Proximus, représenter 90 millions d’euros par an.

Les trois mousquetaires
Bics. Elle a été la première activité internationale de Proximus lancée en 1997. Il s’agissait essentiellement d’un métier de grossiste en capacité de télécommu­nications internationales (voix et données) qui visait au départ une clientèle d’opérateurs de télécoms. Elle est de plus en plus active dans les services clouds et IoT (entre objets connectés).
• Telesign. Entreprise cali­fornienne acquise en 2017 par Promixus, active surtout dans l’identité digitale.
• Route Mobile. Entreprise indienne en cours d’acqui­sition, active surtout dans les services de communication CPaaS, de communication digitale.

Ces activités s’ajoutent à un premier développement international de Proximus dans les télécoms, Bics, lancé en 1997, à l’origine active dans la vente de gros de connectivité pour des opérateurs télécoms, qui évolue ainsi vers la communication des systèmes clouds et des objets (IoT).

Améliorer le profil financier du groupe

Si le scénario annoncé se réalise, Proximus peut espérer plus d’indulgence des investisseurs en Bourse, qui manquent d’enthousiasme pour les opérateurs télécoms dont les cours sont plombés par les gros investissements de modernisation des réseaux et par l’arrivée d’un nouveau concurrent mobile en Belgique.

“Cela nous permet de ‘dérisquer’ nos investissements dans la fibre en Belgique, déclare Guillaume Boutin. C’est un nouveau moteur pour générer du cash-flow dès le premier jour, avec des synergies significatives, sans avoir besoin de réinvestir pour créer de la valeur. Ce sont aussi des métiers qui ne sont pas limités par la géographie. Cette perspective explique sans doute l’arrivée de Xavier Niel, le fondateur d’Illiad Free en France, qui détient 6% du capital de Proximus depuis 2023.

Est-ce que ces développements poseront, demain, la question d’une scission de Proximus en deux entreprises cotées distinctement, comme l’a fait Solvay? Une activité mature de réseau et une autre, à forte croissance, dans le digital ? “C’est une question qui concerne les actionnai­res, en particulier l’actionnaire historique (l’Etat fédéral, qui contrôle 53,51 % de Proximus, Ndlr), conclut Guillaume Boutin. Avant cela, il faudra que nous exécutions le plan annoncé et démontrions notre capacité à intégrer, à gérer un business numérique pérenne.


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