Les dessous de la course au majordome virtuel des géants du Net
Cortana, Siri, M, Assistant, Echo… Ces noms ne vous disent rien ? Bientôt, un ou plusieurs d’entre eux vous accompagneront au quotidien, vous donneront des conseils et anticiperont vos moindres besoins. Les mastodontes du Web travaillent activement à la mise en place d’assistants virtuels. Dans le but de vous aider… Mais pas que.
“Attention, lors de votre dernier meeting vous avez accepté d’aller luncher ce midi. Or vous aviez un rendez-vous avec votre collègue Sandra. Voulez-vous que j’envoie un message à Sandra, que j’annule la réservation au restaurant, que je fixe un nouveau rendez-vous lors d’un prochain midi libre pour tous les deux et que je reprenne une table au même resto ?” Ce message, ce n’est pas une secrétaire qui vous le transmet. D’ailleurs, ce n’est même pas un humain : il s’agit d’un robot. Du nom de Siri (Apple), M (Facebook), Cortana (Microsoft) ou Assistant (Google). Certes, les mastodontes de l’Internet ne sont pas encore parvenus à créer cette intelligence suprême qui remplacera une secrétaire, mais ils s’y dirigent. Depuis plusieurs années déjà, ils investissent tous le terrain de l’intelligence artificielle… et des robots. Siri, le système de reconnaissance vocale intégré dans l’iPhone, ne rencontre pas encore, en Europe, le succès qu’il peut avoir dans d’autres pays comme aux Etats-Unis, mais il est l’une des premières représentations de cette tendance grandissante : celle des assistants virtuels que tous les géants du Net veulent proposer.
Pas plus tard que le mois dernier, lors d’une conférence réservée aux développeurs, Google a en effet dévoilé Assistant. Le concept ? Un assistant/robot conversationnel capable de vous répondre (vocalement ou textuellement) et même d’anticiper certains de vos besoins. La firme de Mountain View proposait déjà Now, qui surprend régulièrement les utilisateurs d’Android quand il leur suggère de prendre la route pour arriver à l’heure au prochain rendez-vous. Mais, à présent, Google veut aller beaucoup plus loin : il sera, selon Google, capable de dialoguer et de tenir compte du contexte et de vos besoins. Comment ? Grâce aux innombrables données que Google possède d’ores et déjà sur chacun de ses utilisateurs et grâce à la technique, de plus en plus poussée, du machine learning. C’est-à-dire que le logiciel va s’améliorer en apprenant de ses propres erreurs et de son historique.
A quoi ça sert ?
Cet assistant virtuel, le géant de la recherche en ligne compte le déployer au travers de ses différents services. C’est-à-dire qu’on le trouvera dans son téléphone mais aussi dans de nouveaux produits, comme une petite enceinte audio que l’on installe dans son salon. Un produit similaire à celui lancé l’année dernière par Amazon, baptisé Echo : une petite boîte que l’on installe dans son salon, qui écoute ce qui se passe et peut intervenir pour aider ses maîtres. “Quelle sera la proposition de valeur pour le consommateur ?, réfléchit Simon Castex de la start-up belge de consultance Productize, spécialisée dans les objets connectés. On anticipe que ces objets seront au centre de la maison connectée et aideront à automatiser de nombreuses tâches grâce à l’intelligence artificielle : typiquement, passer des commandes, obtenir des rappels, contacter des services clients, etc.”
Reste qu’aujourd’hui, la technologie n’est pas encore totalement au point. ” Pour l’instant, un assistant virtuel comme Siri laisse croire qu’il est très intelligent, souligne Alexandre De Saedeleer, COO de l’agence Tapptic. Mais en réalité, il est préprogrammé et ne parvient pas à suivre une conversation très poussée. Dès que vous sortez des sentiers battus, il n’est plus vraiment bon.” Mais ce n’est encore que le début de la technologie. Ou plutôt… des technologies, car les assistants virtuels s’appuient sur une série d’ingrédients différents. Par exemple : la reconnaissance vocale, la recherche, l’accès à des bases de données, la compréhension de la requête et des besoins contextuels de l’utilisateur… Il n’est donc pas étonnant que ce soient les géants comme Facebook, Google, Apple ou Amazon – les fameux Gafa – qui soient les plus avancés dans la course à l’intelligence artificielle. D’ailleurs, leurs poches profondes leur permettent d’acquérir les pépites naissantes du secteur. Google aurait ainsi déboursé 500 millions de dollars pour mettre la main sur la start-up anglaise Deepmind. Et les deals se comptent par dizaines…
Mais pourquoi cette ruée sur les assistants virtuels ? Les mastodontes du Net nourrissent bien sûr, tous, des ambitions différentes. Amazon souhaite investir le foyer des consommateurs pour se situer au centre de tous leurs achats : en s’adressant à sa borne Echo, l’utilisateur d’Amazon pourra commander l’une des 200 millions de références dans son catalogue. De son côté, Google compte se servir de ces assistants virtuels pour amener des résultats de recherche toujours plus facilement. Sundar Pichai, le boss de Google, a récemment rappelé que la finalité de sa société était bien de donner accès à l’information. Un accès largement monétisé par la publicité, bien sûr. De son côté, Facebook continue dans sa stratégie de devenir un intermédiaire de choix entre les internautes et les marques. C’est déjà le cas avec la création de pages et les publicités ciblées. Mais au travers de son assistant M et des chatbots – ces systèmes (quasi) automatiques de messagerie qui permettent aux surfeurs de dialoguer avec des entreprises, elle continue dans cette voie. Reste à Apple à montrer son ambition avec Siri.
Enfermer le consommateur
Par ailleurs, “un élément très important dans le développement des assitants virtuels est l’écosystème, souligne Simon Castex de Productize. En effet, chaque géant du Net proposera son assistant au travers des différentes plateformes et des différents appareils. Et pour pouvoir profiter de tout son potentiel, l’utilisateur aura intérêt à ce que l’assistant le connaisse toujours mieux sur base de l’historique et de l’intégration de services associés (e-mails, agenda, alarme de sécurité, etc). Bref, quand on choisira un fournisseur d’assistant, il sera difficile de le quitter…” Un moyen d’enfermer encore un peu plus le consommateur. Et d’en savoir toujours plus sur lui. “Etant donné que le marché des appareils approche de la saturation, les géants du Net comme Apple ou Google cherchent la croissance sur le contenu et l’expérience utilisateur, analyse Alexandre De Saedeleer de Tapptic. Et plus ils savent de choses sur leurs utilisateurs, meilleur devient leur service, et ainsi de suite. C’est d’autant plus vrai avec les assistants virtuels qui, dans le cadre du machine learning, ont besoin d’infos pour apprendre et enregistrer les habitudes des consommateurs. Or les assistants vont permettre de capter de nouvelles données.”
Les assistants des Gafa (encore en phase de test pour beaucoup) sont actuellement gratuits, mais rien n’empêchera une monétisation à un moment donné. Ils restent, tous, dans la stratégie de l’intermédiation, c’est-à-dire qu’ils se positionnent entre le consommateur final et les professionnels (marques, sociétés, etc) en prenant régulièrement la place d’autres intermédiaires. Aussi, si Amazon permet aujourd’hui de réserver gratuitement un Uber ou une pizza au travers de sa borne Echo, rien n’empêchera d’empocher une commission au moment où les volumes deviennent importants. Quant à Google, il trouvera une manière de vous faire parvenir de la pub ou de facturer le lead quand vous utiliserez le service d’un partenaire chez qui il vous a envoyé… Vous ne pensiez pas qu’Assistant et les autres allaient travailler pour le plaisir de se loger dans votre poche tout de même…
Intelligence artificielle
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